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Spirou célèbre les 60 ans de Gil Jourdan

Par Charles-Louis Detournay le 19 septembre 2016                      Lien  
En 1956, à la disparition d'Heroïc-Albums, Maurice Tillieux rejoint "enfin" le Journal de Spirou. Dupuis y gagna non seulement l'un de ses meilleurs scénaristes, mais aussi son meilleur détective : Gil Jourdan. Soixante ans plus tard, le Journal de Spirou lui rend hommage !
Spirou célèbre les 60 ans de Gil Jourdan
Le Tome 2 de l’Intégrale. Incontournable.
Ed. Dupuis

Nous n’aurons pas le toupet de présenter Maurice Tillieux à nos lecteurs ! En lui consacrant en moyenne un article complet par an (voir ci-dessous), nous continuons de louer celui qui fut non seulement l’un des plus grands scénaristes de la bande dessinée franco-belge, inventeur d’une sorte de BD policière teintée d’humour, qui ne cesse de faire école.

Dans l’un de ses articles, Didier Pasamonik écrivait :
« Maurice Tillieux vient d’une génération qui a vu l’émergence en librairie de deux courants culturels populaires de « mauvais genre » qui accompagnent le développement du cinéma : le roman policier et la bande dessinée. Dès les années 1930, deux auteurs belges rayonnent dans ces disciplines : Georges Simenon et Hergé. Ce sont les deux modèles de Tillieux.

Une image caractéristique de Gil Jourdan : Les Cargos du crépuscule
(C) Tillieux / Dupuis

[...] Tillieux fait la synthèse entre ces deux courants, mais il y ajoute trois ingrédients : une modernité proprement américaine héritée du Hard Boiled (Tillieux est un grand admirateur de James Hadley Chase) mais aussi des grands classiques américains du 9e Art : Dick Tracy de Chester Gould, paraissant, on l’oublie, dès le premier numéro de Spirou en 1938, Agent Secret X9 d’Alex Raymond & Dashiell Hammett et enfin Terry and the Pirates de Milton Caniff ; une fantaisie grotesque dans le détail héritée de Dubout au travers de celui que l’on surnomma le « Dubout belge », Jean Dratz , rédacteur en chef et principal illustrateur de Bravo ; enfin, une gouaille irrévérencieuse venue en droite ligne des dialogues de cette génération de scénaristes du cinéma français de l’après-guerre qui va de Jean Aurenche (La Traversée de Paris) à Michel Audiard (Les Tontons flingueurs).

Tillieux commence à publier très tôt chez Dupuis (dans Le Moustique dès 1936 et dans Spirou dès 1940) mais on ne lui ouvrit pas franchement la porte. Il fit donc carrière ailleurs, en particulier dans Héroïc-Albums avec sa série Félix, où il domine tous les autres contributeurs de la tête et des épaules. Mais avec la chute du journal de Fernand Cheneval en 1956 à cause de la censure française, il est contraint de rejoindre le giron de Marcinelle où, entre-temps, une dream team s’est constituée autour de Jijé. »

Une planche de la série Félix, ancêtre de Gil Jourdan
(C) Tillieux

Une arrivée remarquée

Si ce ralliement tardif peut sembler malheureux pour Tillieux qui, s’il gagnait quatre fois moins chez Heroic-Albums, pouvait se targuer de ne se soumettre à aucune censure, à part la sienne, c’est pourtant le début d’une grande reconnaissance populaire pour l’auteur. En effet, à la différence d’Héroic-Albums qui ne put justement jamais être diffusé en France pour des raisons de censure, Spirou passait la frontière, et même si les premiers albums de Gil Jourdan furent censurés en France en raison de l’image « négative » qu’ils donnaient de la police, le magazine de la bonne humeur devint le nouveau terrain de jeu de l’enfant terrible de la bande dessinée policière.

Le numéro 4093 du Journal de Spirou qui sort en kiosque ce mercredi 21 septembre rend hommage à cette arrivée remarquée au sein du magazine. Aux côtés de la suite des séries actuelles Tamara, Les Tuniques Bleues, Seuls, Dad, Harmony et L’Aventure de Spirou et Fantasio vue par Zidrou et Frank Pé, le magazine propose pour moitié de multiples hommages aux quatuors d’héros imaginés par Tillieux.

En effet, comme le précise Hugues Dayez dans les Aventures d’un journal, Tillieux n’a fait que transposer ses trois héros de sa série Félix, tout en leur donnant un air plus respectable. Remisé le pardessus presque lugubre de Félix, Gil Jourdan est en costume et nœud papillon. Allume-Gaz et Cabarez ont également soigné leur coupe vestimentaire en se transformant en Libellule et Crouton. Leurs joutes verbales n’en deviennent d’ailleurs que plus savoureuses.

Notre confrère n’avait déjà que trop à dire pour une seule page, il ne put donc expliquer au lecteur que la présence féminine de Queue-de-Cerise est également issue de Félix, alors que Tillieux avait introduit le personnage de Linda dans les derniers épisodes. Pour sa part, Baron Brumaire propose d’ailleurs justement un court-récit de quatre pages mettant en avant la collaboratrice de Gil Jourdan.

Baron Brumaire se demande pourquoi Gil Jourdan fait montre d’un esprit boy-scout ? Pourquoi Queue-de-Cerise se nomme-t-elle ainsi ?

« J’imagine la première rencontre entre Gil Jourdan et Queue-de-Cerise, explique-t-il. Mon idée était de répondre à des questions que je me pose depuis j’ai découvert [la série]. […] En même temps, je voulais écrire une histoire avec un côté vintage, qu’un lecteur de Spirou n’ayant jamais lu Gil Jourdan puisse comprendre sans avoir toutes les références. »

Yann & Schwartz sur la brèche

« En 2005, Yann m’a demandé de lui dessiner un Gil Jourdan, révèle Schwartz. Juste pour rire ? Non, car il avait une idée derrière la tête : reprendre la série ! […] Sur la foi de ce premier essai, Dupuis m’a demandé trois autres pages. Au final, malheureusement, cette reprise n’a pu se faire. Quand, dix plus tard, Spirou m’a demandé un récit en hommage à Gil Jourdan, Yann a proposé que l’on réutilise nos quatre planches et son récit. […] Cette contrainte nous a fait travailler « à la Tillieux », qui, sur sa série Félix, réalisait des histoires d’une dizaine de pages si élaborées qu’il devait les conclure parfois avec de longs textes. »

Yann & Schwartz proposent donc un bel hommage dans la ligne de La Voiture immergée. Non seulement la couverture rappelle l’atmosphère du récit et de son quatrième plat, mais les brumes de Mont-St-Michel et les voitures enlisées sont dans la foulée des mésaventures auto-aquatiques du trio. L’hommage tomberait à plat sans quelques bons jeux de mots de Libellule, ce qui parachève la réussite de l’ensemble : profiter d’un récit charpenté en mettant en avant une fine équipe qui n’a pas pris une ride.

Encarté au milieu du magazine se retrouve un troisième et dernier hommage signé par Bibeur Lu & Fardin. Si le graphisme est loin de rivaliser avec celui de Schwartz, le format et le rythme rapproche ce court récit des aventures de Félix. Situation étrange, presque fantastique et, avant une résolution plus sombre, coup de théâtre et pétarades ; il ne manquait qu’un noir et blanc et une trame pour se rapprocher du prédécesseur de Gil Jourdan. Mais comme l’hommage est bien dédié à ce dernier, les couleurs se sont imposées, et même si certains visages ont très hâtivement réalisés, la gouaille de Libellule permet une fois de plus d’assurer le show ! Notez d’ailleurs les multiples allusions sur les publicités et les commerces à l’arrière-plan.

En digne fan de Maurice Tillieux [1], Frédéric Niffle, le rédacteur-en-chef de Spirou a donc réalisé un beau numéro hommage, en jetant des ponts entre les récits de l’époque et aujourd’hui.

De quoi vous donner envie de replonger dans le collectif d’hommages publié par Soleil en 1989 et qui contient quelques perles signées à l’époque par Turk, Bom, Seron, Walthéry, Dimberton, Desberg, Maltaite, Libens, Laudec, Vittorio, Sandron, Corteggiani, Tranchand & Gauthier, et surtout de relire cette admirable série qui continue de tenir le lecteur en haleine soixante ans plus tard.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[1Frédéric Niffle a nettoyé et publié le dernier tiers des aventures de Félix, dans des recueils numérotés de 5 à 7.

 
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11 Messages :
  • Spirou célèbre les 60 ans de Gil Jourdan
    20 septembre 2016 09:21, par Richard Foin

    Prévenons les lecteurs occasionnels que le Gil Jourdan (fort mal dessiné au demeurant) encarté au centre du journal est réservé aux seuls abonnés.

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    • Répondu par OW le 20 septembre 2016 à  14:38 :

      (fort mal dessiné au demeurant)

      Avis très personnel que je ne partage pas du tout. Le dessin de Bibeur Lu est bien plus intéressant, senti et plus proche de l’esprit original des Félix que le graphisme sclérosé, statique de Schwartz, qui singe les trucs du génial Chaland mais de façon complètement artificielle (et puis je trouve que Schwartz ne sait pas faire jouer ses personnages, on n’y croit pas).

      Après, la notion du "mal dessiné" est toujours suspecte, on a dit ça de Reiser, Macherot, Wasterlain, Sfar, Trondheim, Blain et même Bastien Vivès...

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      • Répondu par Zot ! le 20 septembre 2016 à  22:41 :

        Merci pour l’info, je l’achète dés demain !

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      • Répondu le 22 septembre 2016 à  09:38 :

        "la notion du "mal dessiné" est toujours suspecte"

        Plutôt relative que toujours suspecte, non ?

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        • Répondu le 22 septembre 2016 à  14:40 :

          Non, suspecte, on en arrive à des notions d’Art dégénéré très vite, il suffit de lire les commentaires sur actuabd, on n’en est pas loin parfois.

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          • Répondu le 22 septembre 2016 à  16:21 :

            C’est "toujours" qui me dérange plus que "suspecte". Je préfère relativiser parce qu’il y a plusieurs critères. Le classicisme n’est pas plus à rejeter que la modernité. Prenez le dessin de Chaland, il arrive à conjuguer les deux. Non seulement il dessine bien, mais en plus il dessine bien, non ?

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  • Spirou célèbre les 60 ans de Gil Jourdan
    22 septembre 2016 19:02, par Phildar

    Je n’ai pas réussi à lire le Bibeur Lu & Fardin, trop mauvais, on dirait le boulot d’un gars de 14 ans qui aimerait faire de la bande dessinée mais qui a encore tout à apprendre.

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    • Répondu par Zot ! le 22 septembre 2016 à  20:50 :

      Très déçu par ce numéro. Il y a la BD de Schwartz et Yann, mais bon, il y a des problèmes de cadrage, de positions des personnages, la physionomie de Gil Jourdan est parfois mal rendue. En revanche, la prestation de Baron Brumaire est sympa, mais trop courte (4 pages). A part ça, un petit laïus de Dayez sur moins d’une page. Vous parlez d’un Special 60ème anniversaire ! Heureusement que je n’avais pas amené le gâteau d’anniversaire !

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    • Répondu par Zot ! le 22 septembre 2016 à  20:51 :

      Bah, vendez le sur ebay, vous trouverez bien des non-abonnés pour vous le payez 5 euros !

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    • Répondu par Lusabets le 23 septembre 2016 à  04:58 :

      Ben mon gars, à vous lire, y’en a de sacrés paquets de gars de quatorze ans qui dessinent en ce moment, à ce qu’on peut voir dans les diverses publications !
      Ça fait plaisir.
      On se plaignait que la France vieillissait...

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    • Répondu par Lusabets le 23 septembre 2016 à  15:07 :

      Ben moi, je l’ai trouvé très bien ce "Bibeur Lu".
      Je n’ai pu le lire que ce jour (reçu le n° seulement aujourd’hui), et comme le cite Gil Jourdan dans la dernière vignette : "J’avais l’impression de me retrouver dans un "Héroïc-Album"...
      Tout-à-fait ça.
      C’est l’impression que j’ai tout de suite eue lorsque j’en ai débuté la lecture.
      Quant au "dessins maladroit d’un quatorze ans...", j’ai le sentiment que le dessinateur s’est forcé de réaliser cette bande dessinée dans un temps très court comme le faisait Maurice Tillieux (genre j’ai trois semaines pour faire le truc, je réfléchis deux semaines trois-quarts, et je te dessine l’histoire dans les quelques heures qui me restent avant l’impression, nuit comprise)
      Je trouve que c’est plus un hommage à Félix qu’à Gil jourdan !

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