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Stan Sakaï : « Mon souci est que mes lecteurs apprennent en s’amusant »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 30 juillet 2007                      Lien  
A l’occasion de Japan Expo, nous avons rencontré Stan Sakaï, un dessinateur américain d’origine japonaise qui réalise depuis plus de vingt ans les aventures de Yusagi Yojimbo, le lapin-samouraï.
Stan Sakaï : « Mon souci est que mes lecteurs apprennent en s'amusant »
Usagi Yojimbo
aux éditions Paquet.

Né à Kyôtô en 1953, Stan Sakaï quitta le Japon avec sa famille à l’âge de 2 ans pour venir habiter dans l’île paradisiaque de Hawaï où il vécut jusqu’à l’âge de 24 ans. Il y fait des études d’art et de dessin qu’il poursuit à Pasadena en Californie, où il réside encore aujourd’hui avec sa femme Sharon et ses deux enfants Hannah et Matthew. Il est le créateur de la célèbre bande dessinée Usagi Yojimbo, un héros créé au détour d’un comic-book en 1984, qu’il réalise seul, sans assistant, depuis. Aujourd’hui traduite en neuf langues, sa série a récolté de nombreux prix dont un des fameux Eisner Awards en 1999. La série Usagi Yojimbo a fait l’objet d’une spin off futuriste : Space Usagi, où le descendant des samouraïs se retrouve combattant des étoiles. Ses albums sont publiés en France par les éditions Paquet.

Votre enfance à Hawaï ne vous a pas coupé de la culture japonaise ?

Non, car il y avait une grande communauté américaine d’origine japonaise là-bas. J’ai grandi aussi bien avec la culture japonaise qu’avec la culture américaine. Quand j’étais enfant, je lisais aussi bien des mangas que des comics.

Comment se fait-il que vos parents sont allés habiter Hawaï ?

Mon grand-père paternel avait emménagé là-bas. Mon père qui était né à Hawaï avait résidé un temps au Japon après la guerre. C’est là qu’il a rencontré ma mère. C’est pourquoi je suis né dans ce pays. Le truc marrant, c’est que ma grand-mère maternelle était opposée au mariage de sa fille avec un citoyen américain, non pas à cause de la guerre, mais parce qu’il était un paysan ! Elle était d’une classe sociale élevée et cette mésalliance la choquait davantage que le fait qu’il soit américain.

Usagi Yojimbo
(C) Stan Sakaï

Qu’est-ce qui a fait de vous un créateur de comics ?

J’adorais les comics, j’adorais le cinéma. Je suis d’ailleurs plus influencé par le cinéma que par la bande dessinée. Dans mon enfance, je lisais aussi bien les œuvres d’Osamu Tezuka que celles de Jack Kirby. Les influences viennent des deux côtés.

Quand avez-vous commencé à publier vos comics ?

Assez tard, en fait. Ce n’est que quand je suis sorti du lycée que je me suis rendu compte que l’on pouvait gagner sa vie avec cela. Mais, dans ce temps-là, la plupart des comics étaient publiés à New-York, et New-York, c’était loin de la Californie ! Ce n’est que lorsque Jack Kirby a déménagé ici que j’ai compris que moi aussi, je pouvais créer des comics là où je me trouvais ! J’ai donc produit l’une ou l’autre bricole pour des éditeurs. L’une d’entre elles était Usagi. Je m’étais inspiré de la vie de Miyamoto Musashi (1584-1645) que j’avais découvert en lisant des livres et des films à son sujet. Je pensais même faire sa biographie en bande dessinée. Et puis, quelqu’un qui avait vu mon carnet de croquis où j’avais dessiné un lapin en samouraï, m’a suggéré de faire d’en faire une série.

Usagi Yojimbo en 1982
(c) Stan Sakaï

Y a-t-il eu une espèce de vogue japonisante dans ces années-là, lorsque Frank Miller s’est mis à dessiner Rônin ?

Oui, c’est est arrivé juste un peu avant. Mais ce qui a provoqué cette vogue, c’est sans aucun doute la série télé Shogun (1980). Cela a été un succès incroyable ! Je me souviens de restaurateurs qui se plaignaient parce que les gens ne sortaient plus de chez eux : ils préféraient regarder la série à la télé. J’ai donc créé un lapin samouraï dans un style très simple et je me suis inspiré pour ses aventures de celles de Miyamoto Musashi. Il a été publié dans Albedo Anthropomorphics comics N°2. Aujourd’hui, sur Ebay, ce numéro coûte plus de 500 US$ ! Après cette première publication, les éditeurs ont commencé à me contacter et à me commander des histoires d’Usagi. La série est publiée sans interruption depuis 1984 chez différents éditeurs parmi lesquels Thoughts and Images, Fantagraphics Books, Mirage Studios, Radio Comix, et aujourd’hui Dark Horse Comics. La série a 22 volumes aux États-Unis [1].

Usagi Yojimbo
(c) Dark Horse Comics

Votre travail est en quelque sorte un pont entre les conceptions de la BD de Jack Kirby et de Tezuka ?

J’ai fait des recherches extrêmement fouillées sur l’histoire japonaise, mais ma façon de raconter et de dessiner est surtout occidentale. Il y a une grande différence entre les deux façons de raconter, comme vous le savez.

Avez-vous été publié au Japon ?

Non. Je parle assez peu le japonais. Je vis en Californie depuis trente ans. Quand je reviens au Japon, j’ai le plaisir de converser avec des Japonais. Il n’y a jamais eu au Japon de succès significatif imputable à une bande dessinée occidentale.

Stan Sakaï
Photo : D. Pasamonik

Mais avec votre background, vous n’avez jamais tenté de vous implanter sur ce marché ?

Non, ma façon de raconter est occidentale. J’ai tenté de le faire. Mais c’était très difficile.

Vos personnages japonais ont-ils été bien accueillis par les Américains ?

Très positivement. La preuve, c’est que cela se publie depuis près de 23 ans maintenant.

La tendance actuelle est de dessiner des mangas américains…

Oui, j’ai quelque peu anticipé la tendance ! (rires). Mais cela ne m’intéresse que peu. J’ai toujours écris et dessiné les histoires que j’avais envie de lire. Il est possible que si j’avais dessiné des super-héros, j’aurais aujourd’hui plus de lecteurs. Mais je ne l’ai pas fait, j’ai préféré développer Usagi qui est aujourd’hui diffusé dans une douzaine de pays. Je suis très étonné de me voir traduit en Croatie ou en Pologne. Dans ma jeunesse, je voyageais peu car Hawaï était loin de tout, et c’était coûteux. Mais maintenant que mes albums sont publiés partout dans le monde, je me rattrape.

Pensez-vous que la « mangamania » aide à la reconnaissance internationale de votre travail ?

Je ne sais pas. Le fait que mes livres se trouvent dans le format des mangas doit certainement aider, c’est sûr. Le prix est très raisonnable, comme pour les mangas.

Un dessin simple mais néanmoins documenté en ce qui concerne les costumes, les décors, les armes.
Usagi Yojimbo par Stan Sakaï. (C) Dark Horse Comics

Vous êtes très attaché à l’exactitude historique.

J’ai essayé d’introduire le plus de détails véridiques possible sur la vie quotidienne au Japon de cette période. Mais n’oubliez pas qu’il s’agit d’un lapin-samouraï, donc cela reste un peu fantaisiste. Néanmoins, certains de mes livres sont étudiés en classe aux États-Unis précisément en raison de cette documentation. Ils sont référencés dans les bibliothèques. J’ai rencontré quelqu’un cette après-midi à Paris qui me disait que mes livres étaient dans les bibliothèques ici aussi. Je trouve cela très bien. Mais avant toute considération de documentation, c’est avant tout une histoire, et c’est cela qui m’importe en premier. Je suis en faveur de la lecture et de l’éducation, mais mon souci est que mes lecteurs apprennent en s’amusant.

Usagi Yojimbo par Stan Sakaï
(c) Dark Horse Comics

Vous avez rencontré Tezuka.

Oui, à deux reprises, lorsqu’il a rencontré des dessinateurs américains à la fin des années 80. En 1988, j’ai été l’invité des studios Tezuka à Tôkyô. C’était un grand honneur. Il y a eu un symposium avec quelques autres artistes occidentaux. Il m’a présenté des mangakas et des animateurs de renom. Nous avons passé de bon moments ensemble. C’est un grand souvenir. Lorsque j’étais enfant, j’avais lu Astro Boy,puis, plus tard, Bouddha, Phoenix. Ma série préférée est celle qu’il n’a jamais achevée : Dororo…

Propos recueillis à Japan Expo et traduits de l’américain par Didier Pasamonik, le 8 juillet 2007.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[112 volumes sont parus à ce jour en français aux éditions Paquet. NDLR.

 
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