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Stephan Caluwaerts (Flouzemaker) : « Raymond Macherot était un contemplatif »

Par Nicolas Anspach le 10 octobre 2008                      Lien  
Stephan Caluwaerts est l’éditeur des plusieurs albums de "Sibylline", de "Mirliton" et du "Père La Houle" parus aux éditions Flouzemaker . Il aborde avec nous la personnalité de Raymond Macherot, son œuvre mais aussi les projets de sa maison d’édition.

Que représentait Raymond Macherot dans le monde de la bande dessinée ?

Raymond était un poète. Un auteur qui n’a jamais voulu se mettre à l’avant-scène. Lorsqu’il a pris sa retraite, il a décidé de vivre hors du monde de la BD, tout en étant toujours ouvert aux visiteurs imprévus, comme aux dessinateurs débutants qui le sollicitaient pour avoir des conseils. Il était en retrait, mais ne vivait pas en ermite. Il était ouvert au monde, même s’il n’allait plus vers lui …

Stephan Caluwaerts (Flouzemaker) : « Raymond Macherot était un contemplatif » On retient essentiellement de son œuvre l’aspect contemplatif, bucolique et champêtre de Chlorophylle et Sibylline … Était-il comme cela dans la vie ?

Oui. J’aime beaucoup le terme contemplatif que vous utilisez. Raymond Macherot l’était, c’est sûr ! L’année dernière, il m’expliquait que son plus grand plaisir était de regarder son jardin. Or, celui-ci était devenu complètement sauvage. Il ne cessait d’être émerveillé tant par ses fleurs que par les « mauvaises » herbes qui peu à peu envahissaient son lopin de terre. De la même manière, il adorait contempler sa vallée de son fauteuil qui, au fil des saisons, le faisait toujours rêver.
Un jour, j’ai remarqué qu’il possédait une collection de petits galets peints. Il m’a raconté qu’ils dataient de l’époque ou en compagnie de Will, ils s’amusaient à les récolter dans la Hogne, la rivière qui traverse son village, et qu’ensuite, ils les décoraient de peintures naïves.
Raymond était un homme proche de la nature et c’est dans ses livres qu’il lui a rendu son plus bel hommage même s’il faut savoir qu’il aurait, avant tout, aimé raconter des histoires de pirates. Piraterie et nature sauvage sont, de toute façon, synonymes de liberté.

Pourtant, le style réaliste ne lui convenait pas !

C’est vous qui le dites ! Il a dessiné de manière réaliste au début de sa carrière pour différentes histoires courtes parues dans Tintin et en créant Le Chevalier Blanc. Poussé par Raymond Leblanc, il s’est, par la suite, essayé à la bande dessinée animalière. La mode, à cette époque, était à Disney et on peut imaginer qu’en voyant Mission Chèvrefeuille, un récit animalier qui préfigure Chlorophylle, son éditeur l’a poussé dans cette voie… Et il y a fait carrière ! C’est amusant car si, à première vue, cela ne correspondait pas à ses aspirations premières ou à son « moi » profond, la nature faisait aussi partie de sa vie. Pour le bonheur de tous ces lecteurs, il y a trouvé son épanouissement d’artiste.

Mais pourquoi les pirates ?

C’est une passion nourrie par les lectures de son enfance et particulièrement par l’île au trésor de R.L. Stevenson. Il avait une bibliothèque assez fournie en la matière, tant historique que romanesque. Il possédait aussi le DVD de Pirates des Caraïbes dont il raffolait. La seule planche de bande dessinée qui trônait en bonne place dans son salon, en dehors d’une illustration de Sibylline (qui servira de couverture à notre premier album), était une page tirée de l’île au trésor illustrée par Beuville, un artiste qu’il plaçait au-dessus de tout. Elle provenait d’un récit publié dans Tintin en 1950. A la fin de l’été 2006, lors d’une conversation à bâtons rompus, je lui raconte qu’en compagnie de mon fils, nous sommes allés au cinéma, voir le deuxième volet de Pirates des Caraïbes. Rarement, je ne l’ai senti aussi passionné et je n’ai pas dû beaucoup insister pour le faire sortir de sa tanière et l’emmener à la ville. Sa petite fille qui nous accompagnait lui a même dit : « Bon-papa, je ne t’ai jamais vu marcher aussi vite…  » Il faut savoir qu’il n’était plus allé au cinéma depuis 1976 où il avait vu les Dents de la Mer ! En sortant de la projection, il m’a confié : « Tu vois, ce film me donne à nouveau l’envie de faire de la bande dessinée ».

... Du macherot réaliste.
(c) Macherot.

Comment expliquez-vous qu’il ait sombré dans l’oubli jusqu’aux années 2000…

Quand il arrête Sibylline, en 1990, la mode n’était plus à ce genre de bandes dessinées car les éditeurs de l’époque se focalisaient nettement plus vers la BD ados-adultes. Les trois dernières histoires publiées dans Spirou ne verront même pas le jour en album. Autant dire, qu’à cette époque, il ne faisait plus que de l’animation dans le journal. Il a donc pris sa retraite, et peu à peu, les albums ont disparu des rayons des librairies. Par faute de rééditions, ils ont finalement complètement disparu. Les éditeurs n’ont plu cru en Raymond Macherot ou n’ont tout simplement plus eu envie de s’intéresser à son travail. Ils étaient passés à autre chose. Pour ma part, j’étais certain que l’on pouvait toujours toucher un large public avec Sibylline, tout comme avec ses autres personnages d’ailleurs. Quand nous avons publié l’album de luxe contenant les deux derniers longs récits inédits de Sibylline [1], le succès fut immédiat et le livre a été épuisé dans la semaine de sa parution. Je suis très heureux d’avoir eu la chance de le publier, d’autant plus que, selon sa volonté, il a été présenté aux lecteurs en édition grand format noir & blanc. C’est vous dire l’importance qu’il attachait toujours à son travail malgré le fait qu’il aimait s’entendre dire : « c’est loin tout ça… ».

C’était les récits réalisés à la fin des années ’80 où le trait de Raymond Macherot était plus « tremblé »…

Oui. Ce succès était paradoxal. Les amateurs de Sibylline ou de Chlorophylle disaient ne pas aimer ce trait-là … Pour eux, seuls les premiers Sibylline sont bons. Or, le dessin des histoires contenues dans Sibylline déménage est, à mon sens, plus moderne, finalement très proche de la bande dessinée contemporaine. Il faut savoir que Macherot ne reniait absolument pas son changement de style graphique, que du contraire ! Il m’a dit en regardant l’album Sibylline déménage : « Tu vois, Stephan, ça c’est le vrai Macherot ! ».

On dit que Raymond Macherot s’était retiré pour peindre… Quel était son style ?

C’est déjà une légende ! Je crois qu’il a peint durant toute sa carrière, et n’a pas arrêté la bande dessinée pour se consacrer à la peinture. A la fin de sa vie, il me disait parfois qu’il aimerait s’y remettre mais il n’en a plus eu la force. C’était plutôt des peintures naïves bien qu’il se soit aussi essayé à de la peinture plus contemporaine. Cela dit, sa grande passion en matière de peinture était l’art japonais. A ce propos, il disait : « L’art japonais reste une de mes grandes et plus anciennes passions. S’il y a un équilibre dans mes dessins, c’est sans doute grâce à cette influence qui, de manière inconsciente, a agi sur ma façon de travailler ».

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à son œuvre ?

En mars 2005, après avoir fait le tour de la plupart des éditeurs indépendants de la place, j’étais le dernier de la liste ! On m’a contacté pour me proposer d’éditer Sibylline déménage ainsi que Sibylline et le Murmuhr. Alors que tout le monde avait refusé cette proposition, je l’ai acceptée sur-le-champ ! Il faut savoir que je suis passionné par son travail depuis mon enfance et je comprenais mal qu’un tel patrimoine graphique reste si longtemps en jachère. Lors de ma première rencontre avec Raymond Macherot, je lui ai soumis l’idée de donner une seconde vie à Sibylline en réalisant, de nouvelles aventures. Sans hésiter, il a accepté l’idée en me disant qu’il était très heureux de savoir que Sibylline lui survivrait. J’ai donc approché André Taymans dont je connais bien le travail et qui, à ses débuts, avait réalisé une série animalière chez Casteman : Bouchon le petit cochon. Bien que Bouchon soit plus proche de Petzi que de Sibylline, je pressentais qu’il pourrait, assez facilement, s’imprégner du style « Macherot » Il a fait un dessin d’essai, que j’ai soumis à Raymond et Josette Macherot et ils l’ont très rapidement avalisé. Par la suite, André et Raymond se sont rencontrés et ils ont longuement discuté de l’histoire du premier album, de la reprise, de techniques graphiques, etc. André Taymans a réalisé cet album sous son regard attentif. Josette et Raymond ont été à la fois, nos premiers lecteurs et nos premiers critiques.

Vous avez relancé Sibylline. Deux nouveautés sont parues, ainsi qu’une réédition…

Effectivement. Un quatrième album, réalisé par André Taymans sort en novembre : La prophétie de Godetia. Il sera pré-publié dès la mi-octobre dans les pages du quotidien belge Le Soir.

Prévoyez-vous d’autres rééditions ?

Nous planchons depuis plusieurs mois sur une intégrale puisque c’est aux éditions Flouzemaker que Raymond Macherot a confié la plus grande partie des droits afférents à son œuvre.

Mis à part Sibylline, l’œuvre de Macherot est-elle encore intéressante aujourd’hui ?

Bien évidemment ! « Le père La Houle » que nous avons publié dans sa version intégrale et re-colorisée en début de cette année a été une bonne vente. Cela dit, il est certain que les ventes de Sibylline sont plus importantes mais ces deux titres ne sont pas comparables puisque pour l’un, il s’agit d’une réédition et pour l’autre, d’une nouveauté. Par contre, il est intéressant de constater que si les ventes de Sibylline sont excellentes, nous le devons à deux facteurs : d’une part, cela signifie qu’elle reste un bon personnage toujours en phase avec la BD actuelle et d’autre part, nous le devons aussi au talent d’André Taymans qui a parfaitement assimilé le mécanisme d’une reprise difficile. De plus, André Taymans, tout comme Raymond Macherot d’ailleurs, a eu l’intelligence d’adapter ses récits à l’actualité. A l’époque, Chlorophylle et les rats noirs était une parabole de la Seconde Guerre mondiale. À son tour, André Taymans a repris des thèmes de société tels que les animaux exotiques importés dans nos régions dans La ligue des coupe-jarrets, les sans-abris dans Le Secret des Lucioles et le climat dans La Prophétie de Godetia, le prochain album. Sibylline reste un personnage accessible à tous. Les enfants, tout comme les adultes, s’amusent des gags de Flouzemaker et y trouvent une belle histoire saupoudrée de poésie ainsi que d’un zeste de « madeleine ». Je pense que c’est un bon cocktail !

Mirliton continue-t-il ?

Oui. Un album est prévu en 2009. Nous publierons toutes les histoires réalisées par Raymond Macherot et Raoul Cauvin et chacun des albums sera, comme nous le faisons depuis le début, augmenté d’un ou deux récits inédits confectionnés par Cauvin et dessinés par Erwin Drèze. L’aventure ne fait que commencer.

Stephan Caluwaerts et Raymond Macherot
(c) DR.

(par Nicolas Anspach)

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Lire notre article : Raymond Macherot prend définitivement la clé des champs

Photo en médaillon : (c) N. Anspach

[1"Sibylline Déménage", publié en 2005 chez Flouzemaker.

 
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1 Message :
  • Merci pour cette longue interview qui permet d’avoir
    10 octobre 2008 14:19, par François Pincemi

    des éclaircissements sur la longue carrière de René Macherot, ainsi que sur la reprise de Sibylline. J’attends avec impatience la reprise des premiers Sibylline.

    Macherot fait partie des auteurs que je relis avec assiduité, preuve qu’une bonne BD (faite donc avec soin, talent et amour) ne vieillit pas.

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