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Stéphane Oiry : "Pauline s’inscrit dans la longue généalogie d’héroïnes romantiques et névrosées"

Par Nicolas Anspach le 29 juillet 2008                      Lien  
{{Stéphane Oiry}} vient de publier {Pauline (et Les Loups-Garous)} chez Futuropolis. Il nous raconte, avec {{Appollo}}, le destin d’un couple d’adolescents proches de l’âge de la majorité qui fuguent et traversent la France à bord d’une voiture. Les auteurs s’attardent sur les moments vécus, leur désir mêlé de frustration, leur envie de quiétude mais aussi sur leurs traumatismes…

Stéphane Oiry : "Pauline s'inscrit dans la longue généalogie d'héroïnes romantiques et névrosées" Comment est né votre collaboration avec Appollo ?

Il y a quelques années nous fréquentions, sur Internet, un même groupe de discussion consacré à la bande dessinée. Frab était un endroit passionnant et amusant ! À la création du magazine Capsule Cosmique, il m’a semblé tout naturel de faire appel à lui. Nous nous sommes rencontrés "pour de vrai" à cette occasion et le courant est passé. Il y a pour moi une évidence à travailler avec Appollo, tant il existe une rare connivence culturelle entre nous.

Vous pouvez préciser ?

Nous avons un goût commun pour les histoires d’adolescence sur fond de Rock’n Roll.
D’ailleurs deux images ont influencé Pauline et Les loup-garous : La fameuse pochette de Goo, l’album des Sonic Youth, signée par Raymond Pettibon. Inspirée par un fait divers réel survenu en Angleterre, elle représente un couple de tueurs adolescents. Un texte accompagne le dessin : "Within a week, we killed my parents and hit the road". Notre histoire commence précisément après ce dessin. Deux ados s’enfuient sur l’autoroute...
L’autre dessin est une fausse couverture, que j’ai réalisée pour la Lucha Libre. J’y évoque le concert des Rolling Stones à Altamont où les Hell’s chargés de la sécurité avaient assassiné un spectateur noir. Sur ce dessin, les Hell’s sont représentés sous forme de loups garous.

(c) Raymond Pettibon

Votre histoire est née de ces deux images ?

Oui. Nous avions donc un motif glamour, qui a déjà été utilisé maintes fois par le cinéma et la littérature noire : celle du couple d’ados en cavale. Le souvenir encore cuisant de notre propre adolescence nous dictait un déroulement ironique à cette trajectoire. L’adolescence peut être associée à l’ennui, la frustration, etc. Notre vision de cette période de la vie est assez moche. Cela a induit le prosaïsme des situations et des décors sur lesquels vont s’échouer nos personnages : la Vendée, le camping municipal, Gastromer, la conserverie de soupe de poisson, etc.
En fait, c’est surtout l’ironie d’Appollo qui m’a convaincu de travailler avec lui. Il a inclus à ce récit une ironie douce et grise, tendre et déprimée.

Pourquoi utilisez-vous le loup garou pour représenter les peurs de Pauline ?

Le loup garou est une figure archétypale récurrente du cinéma pour adolescents, comme le reflète par exemple I Was a Teenage Werewolf. C’est un symbole sexuel puissant qui représente l’animalité primitive, les pulsions barbares refoulées, etc. Il est souvent associé au mythe de la horde sauvage. Naturellement, notre meute de motards, les Hell’s Angels, que croisent nos personnages, choisit le loup-garou comme emblème.
Et puis le loup autorise parmi les interprétations ludiques possible à ce récit, celle d’une relecture rock’n’roll du petit chaperon rouge.

Crayonné pour "Pauline"

Comment l’avez-vous représenté ?

J’ai délibérément choisi de le dessiner sans museau, comme les loup-garous de série Z dans un film d’horreur. Nous adhérons sincèrement à ce genre. Nous ne voulions pas tomber dans la parodie. Ce fut d’ailleurs l’objet de discussion avec notre éditeur, Sébastien Gnaedig, qui a craint le second degré, l’humour potache. Nous l’avons rassuré sur nos intentions.

Avez-vous trouvé rapidement le ton juste pour dessiner cette histoire. Vos planches sont plus noires, et vos couleurs plus sombres…

Directement ! L’utilisation de la technique de l’encrage au pinceau me semblait couler de source. C’est également un moyen de retrouver les origines de mon inspiration, de ma vocation. J’ai adoré les classiques américains que signaient Chester Gould, Milton Caniff, Charles Burns, etc. Je ne me sentais pas capable, auparavant, d’assumer de telles influences. Le fait de travailler en confiance avec Appollo m’a permis de franchir cette étape.
J’aime penser que dans les « Passe-Murailles », je dessinais unplugged, sans encrage. Pour Pauline, j’ai branché l’ampli et je dessine électrifié. Et plutôt qu’un gros ampli Marshall, ce serait un vieil ampli Vox à lampe, au son rétro, un peu « garage punk ».
Concernant les couleurs, j’étais partagé entre la volonté naturaliste de représenter l’absence de lumière – la monotonie- de l’hiver et le désir nostalgique de retrouver les couleurs Benday [1] des bandes dessinées de mon enfance.

D’ailleurs, pour les lieux, je me suis également souvenu de mon enfance, et des vacances passées en Vendée. L’hiver, les stations balnéaires sont vides et ressemblent à des villes fantômes. Et à des décors de cinéma en carton pâte…

Ex-Libris pour "Pauline"

Le rythme du récit est assez lent…

Il est plutôt flegmatique, proche du tempo des films d’Aki Kaurismaki. Nous avions peur à certains moments de lasser le lecteur, mais nous voulions relever le défi ! Il y a un contraste ironique entre la sauvagerie et l’énergique Rock’n Roll des Hell’s et cette lenteur. Cela entraîne un effet poétique et comique. Le territoire français est trop restreint pour nous permettre une longue cavale à la Bonnie and Clyde. Alors, forcément, nos deux personnages en fuite allaient s’échouer, s’enliser…

Vous dévoilez peu à peu les raisons de la fuite de ces deux adolescents. Pourquoi fallait-il que Angus soit également en souffrance …

Pauline est la seule à être névrosée. Angus ne l’est pas ! C’est un adolescent frustré sexuellement, comme finalement un bon nombre d’adolescents.
Angus rêve d’être une sorte de Marlon Brando, en « Wild One » [2]. Mais il se retrouve coincé dans un camping municipal, avec une petite amie qui refuse de faire l’amour. Cela craint ! Heureusement, la serveuse pulpeuse d’un bar country du village lui renvoie une image plus reluisante …
Pauline, elle, s’inscrit dans une longue généalogie d’héroïnes romantiques et névrosées. Celle qui comprend des jeunes filles en fleur dont les récits d’horreur sont peuplés. L’origine de la névrose est délibérément peu abordée.
Appollo a suggéré, sur le blog de Li-an, parmi les possibles sens de lecture de Pauline, celle d’un avatar moderne du bovarysme. J’aime cette idée. Le romantisme contrarié des deux personnages inspire la forme polymorphe du récit, à la frontière entre plusieurs genres. … Comme si la forme même du récit était contrariée.

Quels sont vos projets ?

Après quelques années passées à travailler dans l’animation, puis en étant rédacteur en chef adjoint de Capsule Cosmique, j’ai accumulé beaucoup de frustrations de ne pas pouvoir développer mes propres histoires. Si bien, qu’aujourd’hui, je suis devenu boulimique. Je termine cet été Ronchon et Grognon, un recueil de strips scénarisés par ma compagne Suzanne Queroy, qui paraîtra en janvier dans la collection Shampooing de Delcourt.
J’entame, avec Appollo, un récit d’errances nocturnes, dans la veine du roman de Salinger, L’Attrape-Cœurs. Nous dirigeons également, à deux, un collectif consacré à Motörhead, à paraître chez Dargaud. Et nous participons à l’ouvrage Bande de rockers, dirigé par Vincent Brunner pour Flammarion. Nous développons le parcours de Johnny Thunders, dans un court récit.
Je suis également très heureux de reprendre ma collaboration avec Jean-Luc Cornette. Nous réaliserons, pour Futuropolis, un mélodrame…
Enfin, avec mon vieux complice Trap, nous avons l’audace de prétendre reprendre les Pieds Nickelés. Nous sommes sur le point de boucler un dossier. Nous espérons qu’il sera suffisamment convaincant pour nous permettre ce hold-up et réaliser un fantasme…

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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- Pauline (et les loups-garous)
- Les Passe-Murailles T1 et T2

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Photos (c) DR.
Illustrations (c) Oiry, Appollo & Futuropolis. Sauf mention contraire.

[1ndlr : Il s’agit là d’une technique où les trames d’une couleur sont superposées pour obtenir un autre ton.

[2Ndlr : l’auteur fait référence au film L’équipée sauvage

 
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