Interviews

Stéphane Piatzszek : "Ce que raconte Eric Zemmour est une farce ; Pétain n’a jamais sauvé les Juifs de France"

Par Christian MISSIA DIO le 8 juin 2015                      Lien  
"Des héros très discrets". Ce titre, inspiré du roman de Jean-François Deniau aurait pu être appliqué à ce one-shot né de l'imagination de Stéphane Piatzszek. Alors que nous venons de commémorer les 70 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le scénariste revient sur cette période de l'Histoire et nous fait découvrir le rôle qu'ont joué les Corses durant l'Occupation.
Stéphane Piatzszek : "Ce que raconte Eric Zemmour est une farce ; Pétain n'a jamais sauvé les Juifs de France"
L’Île des Justes
Stéphane Piatzszek & Espé (c) Glénat

Dans l’Île des Justes, vous racontez l’histoire méconnue de la mobilisation des Corses pour la défense des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale.

Stéphane Piatzszek : En 1942, la situation des Juifs en France s’est encore détériorée. L’état français lance une véritable chasse aux Juifs. Je débute mon histoire en suivant une famille juive française qui souhaite immigrer en Palestine car c’était le refuge pour pas mal de Juifs d’Europe à l’époque. Mais durant leur fuite, le mari est arrêté. Son épouse, Suzanne, et leur fils, Sacha, réussissent à s’enfuir et gagnent la Corse où ils pensaient juste y faire escale, mais les circonstances feront qu’ils resteront sur l’Île de beauté.

Dans son dernier livre intitulé Le Suicide français, le journaliste Éric Zemmour explique que le Maréchal Pétain a sauvé les Juifs de France en sacrifiant les Juifs étrangers. Or, dans votre album, nous apprenons que ces même Juifs français avaient été déchus de leur nationalité...

Ce que raconte Éric Zemmour est une farce. Pétain n’a jamais fait de préférence nationale en sacrifiant les Juifs étrangers au profit des Juifs français. C’est une fable et tous les historiens le savent.
Mon grand-père a été déporté durant la guerre. Je me suis d’ailleurs inspiré de la vie de mes grands-parents en donnant leurs noms à mes personnages. Mon grand-père, qui était un soldat français, un pied-noir qui fut démobilisé à Constantine en 1941, s’est fait rafler à Marseille par la police de Pétain et fut transféré dans un camp de concentration. Heureusement, il a pu s’en sortir. Il me racontait souvent que le plus dur pour lui, ce qui le faisait à chaque fois pleurer, ce n’était pas les camps. Lors du voyage, lorsque les trains arrivaient dans un grand centre de transit en région parisienne, c’était encore la police française qui était à la manœuvre. Elle se chargeait d’aiguiller les trains vers la Pologne. Il y avait aussi des Allemands mais la police de Pétain était bien là et elle participait à cette horreur. Terrifiant !
Toutefois, je précise que ma BD n’est pas non plus une biographie. Même si j’ai puisé des éléments dans mon histoire familiale, cela reste une fiction.

On apprend aussi dans votre BD que beaucoup de Corses ont une ascendance juive. C’est notamment le cas avec le nom Rossi, très répandu en Corse.

En effet. Au XVIIe siècle, un bateau a accosté sur les côtes corses avec six cents juifs à son bord. Ils ont ensuite fait souche dans le pays, à tel point qu’une grande partie des Corses ont des origines juives..

Pourquoi avez-vous particulièrement choisi la Corse pour raconter cette histoire ? On sait qu’une partie des Français ont résisté alors pourquoi la Corse et pas une autre région ?

Premièrement, les Résistants français n’étaient qu’une minorité. Il y avait les collabos de l’autre côté mais la grande majorité de la population française était attentiste. Ils attendaient que cela passe et tentaient de survivre au jour le jour car la situation était très difficile.

Deuxièmement, j’ai choisi de mettre la Corse à l’honneur parce que beaucoup de gens, les historiens y compris, ignoraient que les Corses avaient sauvé beaucoup de Juifs. Vous savez, les Corses sont des gens très taiseux. Je suis tombé sur cette histoire par hasard en lisant un article dans un journal. Les historiens pensaient que très peu de Juifs étaient passé par la Corse. En vérité, trois ou quatre mille Juifs ont été sauvé grâce aux habitants de cette île !
Je rappelle que durant la guerre, la France était coupée en deux, le Nord du territoire était administré par les Allemands et le Sud par le gouvernement de Vichy. La vie était un peu moins difficile dans le Sud. Il faut aussi préciser que les autorités préfectorales qui dépendaient de Vichy n’obéissaient pas toujours aux ordres de Pétain. C’était la même chose avec les policiers. Beaucoup d’entre eux refusaient de rafler les Juifs et ils ne l’ont pas fait, même si, bien sûr, il y avait aussi des collabos en Corse.

Il y a une séquence dans votre album où un homme, un Corse, est assassiné par les membres de son village car celui-ci avait collaboré avec les policiers de Vichy. Avez-vous retrouvé des archives de ce genre de fait divers ou est-ce une séquence inventée ?

J’ai inventé cette séquence mais je me suis appuyé sur les traits de caractère des Corses. La question de l’honneur est très importante pour eux. Si quelqu’un de leur communauté se comporte mal, ils doivent sévir car il en va de l’image de tout le groupe. Et puis, il ne faut pas oublier que c’était la guerre et cela exacerbe beaucoup de choses. L’omerta, le fait de se taire, la notion de groupe prennent un tout autre sens en tant de guerre. Il y a quelque chose qui relève de la mafia dans ces collectivités. La première règle c’est qu’il faut toujours protéger le groupe et si tu ne protège pas le groupe, tu vas le payer très chèrement. L’homme qui été assassiné par les villageois a été tué parce qu’il avait trahit les valeurs du groupe.

Au début de la guerre, Mussolini avait essayé d’annexer des territoires français comme la Savoie et la Corse mais les Corses se sont rebellés.

Les Corses se rebellent contre tout le monde. Là, il s’agit d’un étranger qui menaçait la France. Ils ont alors manifesté leur attachement au territoire français et à leur indépendance.
Les Corses furent les premiers Français à se libérer et c’était en 1943. Ils ont une manière de fonctionner qui fait qu’ils ne se font pas de cadeau entre eux mais ils n’en font pas non plus aux autres.

Que retenez-vous de cet album en tant que scénariste et en tant que Français, en particulier votre regard sur les attentats antisémites en France et en Belgique de ces trois dernières années ?

Au delà du fait d’être juif, je constate simplement que les hommes ne changent pas. En même temps, il faut à chaque fois tout réapprendre, car les gens oublient mais aussi parce qu’il y aura à chaque fois de nouvelles générations d’hommes et de femmes, des jeunes auprès desquels il faudra refaire tout un travail de pédagogie. C’est un éternel recommencement.

Vous allez donner une conférence sur le sujet. Pouvez-vous nous en parler ?

Cette conférence aura lieu le 8 juin au Mémorial de la Shoah à Paris. Il s’agit d’une table ronde intitulée : Le courage des hommes. Je serai en compagnie de Didier Pasamonik, Pat Perna, Fabien Bedouel et Espé.

Quels sont vos prochains projets BD ?

Je continue ma série L’Or avec Frédéric Bihel chez Futuropolis.
J’ai une autre série chez Delcourt/Soleil autour de la Cour des Miracles. C’est une BD qui racontera la fin de la Cour des Miracles sous Louis XIV.
J’ai aussi un autre projet sur le Grand Incendie de Rome sous Néron...

Ce sujet a déjà été traité dans la série Murena...

Oui mais la série Murena s’achève avec cet événement, tandis que moi, je débute mon histoire après le Grand Incendie. Et puis, ce sera très différent de la BD de Delaby et Dufaux.

Je travaille toujours avec Jean-Denis Pendanx. Nous allons sortir un gros livre qui se déroulera également en Indonésie, comme notre précédent projet commun, Tsunami. Et ce sera une histoire d’aventure avec un brin d’écologie.
J’ai encore d’autres projets comme de nouveaux albums avec Espé, sur la Première Guerre mondiale.

Y’aura-t-il une suite aux Premiers ?

Malheureusement non, c’est terminé. Nous n’en n’avons pas vendu assez.

Voir en ligne : L’Îles des Justes sur le site des éditions Glénat

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

En médaillon : Stéphane Piatzszek
Crédit photo : DR

À lire sur ActuaBD.com :
Notre article sur le rôle des Justes durant la Résistance

Commander cet album sur Amazon ou à la FNAC

Journée de conférences sur La bande dessinée et la mémoire au Mémorial de la Shoah.

Le 8 juin 2015 à partir de 10h30.

Mémorial de la Shoah
17, rue Geoffroy-l’Asnier
75004 Paris
France
Standard et serveur vocal
Tél. : +(0)1 42 77 44 72
Fax : 01 53 01 17 44
e-mail : contact@memorialdelashoah.org
site web : www.memorialdelashoah.org

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Christian MISSIA DIO  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD