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Stephen Desberg : « La question des personnages est fondamentale »

Par Nicolas Anspach le 4 juin 2007                      Lien  
Avec des succès publics comme {Le Scorpion} et {IR$}, {{Stephen Desberg}} fait partie des auteurs recherchés par les éditeurs. Cela ne l’empêche pas de mener certaines réflexions sur le métier et sur la politique internationale, qu’il partage aujourd'hui avec nous.

Vous publiez chaque année cinq ou six titres, ce qui est relativement peu par rapport à d’autres scénaristes. Ecrivez-vous dans la douleur ?

Pas du tout ! Il y a quelques années, cela aurait semblé beaucoup. Aujourd’hui, plusieurs scénaristes réalisent plus d’une dizaine d’albums par an, et donc effectivement, cinq ou six titres par an, ce n’est pas grand-chose. Je consacre en moyenne un mois et demi à l’écriture d’un livre. Ce qui est peu, si on veut s’accorder le temps de réfléchir à l’intrigue et au développement des personnages. Et puis, il est important de se consacrer à d’autres choses : lire, voyager,... histoire de se ressourcer tout simplement
L’année 2008 sera différente, puisque je publierai en plus de mes séries habituelles, les six albums d’Empire USA, une série qui sera dessinée par des auteurs différents. Ce qui portera donc ma production à une douzaine de titres. Mais il est encore un peu tôt pour vous en parler…

Stephen Desberg : « La question des personnages est fondamentale »La qualité de vos échanges avec vos dessinateurs vous est-elle importante ?

Oui. Je ne travaille par sur commande. Je serais incapable d’écrire un scénario pour un éditeur, qui se chargerait ensuite de l’envoyer à un dessinateur. Je passe beaucoup de temps avec mes dessinateurs, à discuter afin que nos personnages soient les plus vivants possibles. C’est quelque chose qui me tient très à cœur. Avec la surproduction, certains auteurs lancent des concepts articulés, le plus souvent, sur des recettes qui ont déjà fait leur preuves : le thriller financier, l’Héroïc-Fantasy, etc. Beaucoup oublient que la question des personnages est fondamentale. Le lecteur a envie de retrouver des héros pour lequel il a de l’empathie. Il doit avoir l’impression de vivre, en quelque sorte, avec eux le temps de la lecture. Quand j’étais plus jeune, j’avais cette relation avec des séries telles que Spirou & Fantasio ou Gil Jourdan. Je suis certain que les grandes séries télévisées américaines ont du succès pour cette raison. Elle offre une large galerie de personnages à laquelle le téléspectateur s’identifie. Ces intervenants sont travaillés en profondeur et ont une vraie personnalité. Celle-ci évolue le plus souvent. Au cours d’une saison, un personnage antipathique peut devenir sympathique, vice et versa…

Quelles sont les séries télévisées que vous appréciez ?

J’essaie de ne pas en suivre trop pour ne pas trop mélanger ces histoires avec mes propres univers. Mais j’aime beaucoup Rome et Grey’s Anatomy. Je me force à ne pas regarder 24 heures chrono car je sais que je risque d’être piégé : j’aurais envie de les regarder toutes les semaines. Il y a un côté « BD » dans ces séries : dans la connivence avec les personnages, dans l’envie d’avoir la suite. C’est très séduisant !

Extrait de Black Op T2
(c) Labiano, Desberg & Dargaud.

Le monde l’édition s’inspire de cela. Plusieurs séries sont aujourd’hui découpées en saisons …

Les éditeurs et les auteurs y réfléchissent, effectivement. Mais je ne suis pas certain que cela soit la bonne piste. Mon côté américain me fait peut-être percevoir ce phénomène autrement. J’ai l’impression que l’on ne retient que la diffusion régulière du feuilleton américain. Certains éditeurs tapent sur le clou en maintenant pour certaines séries une grande présence. Si l’histoire n’est pas terrible et que les personnages ne sont pas attachants, ce n’est pas en sortant cinq ou six albums sur l’année que cela va rendre la série plus intéressante pour le lecteur. L’intérêt du feuilleton télévisé réside dans les personnages, pas dans le rythme de diffusion. C’est sur quoi j’ai le plus travaillé dans Empire USA.

Est-ce la polémique du comptage des voix de la première élection de George W. Bush en 2000 qui vous incité à créer Black Op ?

Cette élection m’a un peu influencé. Mais cette série est surtout née des réflexions que j’ai eues après les évènements du « 11 septembre 2001 ». Ces attentats m’ont marqué puisque je suis un Américain qui a grandi en Europe. En dehors du terrorisme et du rôle d’Al-Quaida, j’ai été frappé par le comportement et les interrogations des Américains. Ceux-ci pourraient se résumer en une question : « Pourquoi le monde nous déteste-t-il ? ». Ils font preuve de très peu d’autocritique, en tout cas dans certains milieux. Or, les USA ont une propension à s’allier avec des personnes qui vont plus tard se transformer en ennemi. Je songe à Ben Laden ou à Mobutu, par exemple. C’est l’une des constantes de la politique américaine de ces dernières décennies. J’avais envie de parler de ce paradoxe : un pouvoir républicain, très puritain, qui prétend avoir les bonnes valeurs et avoir Dieu à ses côtés, et qui en sous-main se permettent d’orchestrer des opérations qui ne correspondent pas à leur morale !

Extrait de Black Op T2
(c) Labiano, Desberg & Dargaud.

Vous avez donc construit une histoire de collusion entre CIA et mafia russe au moment de la guerre froide…

Oui. C’est le même principe. Les USA, dans Black Op, ont aidé la mafia russe à renaître de ses cendres pour qu’elle attaque et déstabilise le communisme. La conséquence est qu’aujourd’hui la mafia russe est le premier groupe criminel sur le sol américain. Authentique. On a, dans cette histoire, un agent secret américain qui est relativement âgé, et qui revient régler ces comptes quelques décennies plus tard. Il a participé à la renaissance de ce groupe criminel en Russie et connait bien ceux qui tirent les ficelles aux USA actuellement, tant sur le plan politique que criminel. Le récit se déroule aujourd’hui, mais via les flash-backs, on remonte l’histoire …

Combien de tomes va compter cette série ?

Six ! J’ai rédigé un synopsis global d’une trentaine de page. Je sais où je vais. Hugues Labiano et moi-même en publierons un par an, ensuite on prolongera la série avec des cycles de deux albums. Le personnage de Floyd Withman, l’ex-agent de la CIA vieillissant, ne sera plus le personnage principal de ces récits. Mais nous traiterons toujours des « Black Op » de la CIA. Cela n’aurait plus beaucoup d’intérêt de mettre Floyd en scène dans d’autres aventures…

L’Etoile du Désert
Une intégrale disponible chez Dargaud

Pourquoi ?

Les six livres raconteront l’essentiel de sa vie. Du moins, ce qui est le plus intéressant dans son itinéraire. C’est comme pour L’Étoile du Désert, les évènements qu’a vécus Montgomery sont d’une telle intensité que ce que nous pourrions lui faire vivre ensuite n’aurait pas la même force. C’est une question de narration. Certains personnages comme le Scorpion ou Larry B. Max (IR$) sont conçus pour vivre leur vie, en se développant, et en ayant d’autres aventures.

Dargaud fait un gros effort pour la promotion de Black Op…

Les ventes du premier tome avoisinent les trente mille exemplaires. Ce qui est bien compte tenu du contexte actuel. Mais je ne m’attends pas à ce que cette série atteigne les ventes du Scorpion. Black Op est assez dense et demande un certain effort au lecteur. Mais on peut progresser et atteindre sans doute des chiffres proches de cinquante mille exemplaires au titre.

Pendant de nombreuses années, vous avez réalisé des BD tous publics, avec des séries comme Tif & Tondu, Billy The Cat ou Jimmy Tousseul. Vous avez ensuite sauté le pas et réalisé des œuvres d’auteur avec « Le Cercle des Sentinelles » ou « le Crépuscule des Anges ». Pourquoi avoir aujourd’hui abandonné ce style de série ?

J’aimais beaucoup mettre en scène des personnages relativement jeunes, leur faire vivre des aventures, et ainsi voir comment leur personnalité évoluait. Mais aujourd’hui, le public a besoin de séries qui sont relativement codées : il veut savoir s’il est intéressé par l’univers que les auteurs leur proposent. J’ai eu beaucoup de reproches par rapport au Sang Noir. Les lecteur disaient : « Ah ! Desberg fait encore une série avec des adolescents ». Cela m’a agacé que ces séries ne trouvent pas un certain public. J’ai donc travaillé autrement mes scénarios et mes personnages. Il fallait que mes histoires ne commencent que quand la personnalité du héros était constituée : Peu à peu, on dévoilerait des éléments de son passé. J’ai travaillé de la sorte avec IR$, un thriller financier où le personnage est ultra décidé, passant à travers tout pour réussir sa mission. Petit à petit, on explore ses failles et on analyse son comportement. Cette réflexion était judicieuse, si j’en crois le succès de cette série.
Lorsque l’on est auteur, on envie d’être lu. Le succès apporte de la confiance. Je n’ai pas tourné le dos à une BD d’auteur, mais je me suis posé des questions sur le dialogue que j’avais avec le public. Je pense traiter des mêmes thématiques, mais ma manière d’aborder l’histoire et la narration a changé.

Vous publiez ces jours-ci Cassio, une nouvelle série aux Éditions du Lombard. Elle met en scène une archéologue qui enquête sur un crime qui a été commis sur Cassio, un homme qui a vécu en 145 après Jésus-Christ…

Les deux histoires vont se rejoindre. Le principe de la série consiste en la résolution d’un meurtre qui a été commis durant l’antiquité par une conjuration de quatre assassins. Qui sont ces quatre assassins ? Pourquoi se sont-ils alliés pour abattre Cassio ? Dans chacun des quatre premiers albums, l’archéologue va dénicher des éléments qui vont lui permettre de comprendre les raisons de cette conjuration. Chaque tome abordera une partie de la vie de Cassio et la découverte de l’identité de l’un des assassins. Le lecteur découvrira, à la fin du premier album, qu’il a réchappé à un assassinat. Les enjeux de celui-ci sont fortement liés à notre présent. Je vous rassure, je ne remettrai pas les fondements de l’Église en cause (Rires). Le cinquième album sera axé sur la conjuration, et les évènements qui ont poussés les assassins à s’allier. Après, nous aborderons sans doute la vengeance de Cassio. La série s’étalera, au minimum, sur une dizaine de titres, si le public suit.

Extrait de Cassio T1.
(c) Reculé, Desberg & Le Lombard.

Vous préparez également un one-shot avec Bernard Vrancken pour la collection Signé du Lombard …

Effectivement. L’album ne sortira que dans trois ou quatre ans car Bernard Vrancken donne la priorité à IR$. Il dessine quelques planches entre chacune des nouveautés de cette série. L’histoire a lieu à la fin de l’Empire romain, en 476 après Jésus-Christ, dans un monde où la mythologie germanique est présente. Et les invasions barbares également… Bien que l’on soit dans la réalité, il y aura dans ce récit de légères touches fantastiques.
Bernard a également commencé à dessiner le dixième album d’IR$. L’évolution entre Larry et Gloria progresse encore. Quand on a une série qui reçoit un bon accueil, il faut faire évoluer les personnages : Larry B. Max ne sera pas toujours agent de l’IR$. Ses positions politiques et sociétales, vont l’amener vers un autre combat. Cette évolution logique du personnage sera naturelle. Mais elle ne s’opèrera pas tout de suite …

Il paraitrait que vous scénarisez également des one-shots autour de la série IR$ ?

J’ai commencé à les écrire. Nous avons trouvé deux excellents dessinateurs pour illustrer les premiers récits parallèles à IR$ : Alain Queireix (Celadon Run) et Pasarin (Les Fils de la Louve). Ces histoires traiteront d’éléments importants qui se sont déroulés dans la vie de certains personnages de la série mère. Larry B. Max interviendra dans ces récits, mais plutôt en tant que personnage secondaire.
Le premier one-shot IR$, par exemple, sera lié au diptyque Liaisons Romaines /La Loge des Assassins. Alors qu’il vient de boucler une partie de son enquête, liée à un citoyen américain qui est responsable de la banque du Vatican, Larry remet des informations à un Européen pour résoudre le pendant "Vatican" de cette affaire.
La Loge des Assassins, toujours dessiné par Bernard Vrancken, sortira en mai 2008. Le premier « one-shot IR$ », illustré par Pasarin, sera publié en octobre 2008. Au début de l’année 2009, on verra dans les librairies celui de Queireix.

Ces one-shots seront-ils dessinés par des auteurs différents ?

Pas nécessairement. Pasarin s’est engagé à en dessiner trois !

Pourquoi avoir lancé ces one-shots IR$ ?

Il n’existe aucune collection de récit complet, en un ou deux albums, où le thriller puisse trouver sa place. Ces collections ne sont réservées qu’à des œuvres d’auteur. C’est fort dommage. Les one-shots permettraient de donner une orientation différente à certains thrillers ou récits policiers, comme c’est le cas dans un roman. Il est impossible, par exemple, dans une série, de transformer le méchant de l’histoire en narrateur. IR$ me permettait de combler cette envie car il y a des histoires, dans le monde de la finance, qui peuvent s’inscrire dans cet angle.

(par Nicolas Anspach)

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✍ Stephen Desberg ✏️ Hugues Labiano ✏️ Enrico Marini
 
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