Une seule trame, presque légendaire. Un seul scénariste, et un dessinateur différent pour chaque one-shot. Une religion constituée uniquement de femmes, décidées à combattre le mal.
À la différence de La Geste des Chevaliers-dragons qui paraissent chez le même éditeur, Succubes ne présente pas un monde d’Heroïc Fantasy où de jeunes vierges combattent des dragons. Ici, le mal est représenté par les hommes. Oh, pas tous les hommes, mais en priorité, ceux qui empêchent les "Filles de Lilith" [1] de prendre la place qui était la leur aux origines, à l’égal de l’homme.
Après la mystérieuse série des Passants du clair de lune, Mosdi & Paturaud proposaient avec le premier tome de Succubes une relecture de la Terreur et de la fin tragique de l’austère Robespierre, dans les coulisses du pouvoir de la Révolution française. On comprend alors que depuis la nuit des temps, cette secte de femmes influence secrètement le cours de l’Histoire de l’humanité.
Si le deuxième one-shot proposait de plonger au cœur du harem de Soliman le magnifique et était servi par le somptueux trait d’Adriano De Vincentiis (Sophia, on eut l’impression que le soufflé retombait après la prometteuse précédente introduction. Trop occupé à réussir ses modèles féminins, le dessinateur restait souvent trop collés à ses personnages, tandis que le scénario de Thomas Mosdi ne donnait aucun élément complémentaire sur la secte elle-même, et prodiguait tout aussi chichement des informations sur le quotidien du grand sultan. Par ailleurs, la personnalité de deux héroïnes qui se partageaient l’affiche apparaissait davantage physique que psychologique...
Heureusement, le bilan fut mieux contrasté dans le tome 3 dessiné par Acciarino. On revint effectivement à la création des "Filles de Lilith" avec la première d’entre elle, la reine d’Ur, torturée et laissée pour morte après qu’un traître ait livré sa ville, son peuple et son époux se retrouvant aux mains de ses ennemis. Le destin de cette femme au caractère trempé mais également doté de fragilité emporte le lecteur dans une passionnante immersion dans un pan méconu de l’Histoire. Dessinateur et scénariste sont alors à l’unisson pour redonner espoir au lecteur.
Le tome 4 qui vient de paraître prolonge ce regain d’énergie. Avec Messaline, il revient en détails sur le destin de la "putain impériale", mariée dès son plus jeune âge à l’empereur romain Claude. En 48 après J. -C., on assiste médusé aux intrigues de Messaline qui se signale par sa fureur de vivre, son appétit sexuel insatiable, son goût pour le pouvoir et le luxe. Cet esprit libre fait également preuve d’un tempérament cruel et manipulateur. C’est donc avec un épicé mélange de sensualité et de frayeur que l’on dévore les pages de cette belle évocation.
Certes, les couleurs de Martinez ne mettent pas toujours bien en avant le travail de Dominici, mais tout cela ne parvient à casser la passion ressentie à la lecture de ses heures sombres de l’empire romain. Entre les personnages historiques, les trahisons, les empoisonnements, les unions et complots, chaque page apporte son lot de surprises, avec un final, certes connu, mais presque émouvant et marqué d’empathie pour ce personnage qui semblait dépourvue de sentiments.
Il reste à espérer que Mosdi trouvera d’autres femmes historiques à évoquer, d’autres coulisses à mettre en scène et d’autres dessinateurs (parfois plus inspirés) pour les réaliser car Succubes détient désormais toutes les qualités nécessaires pour rassembler lecteurs et lectrices, les premiers pour les sculpturales créatures présentées, les secondes pour la place restituée aux femmes dans les mythes collectifs de l’Histoire.
(par Charles-Louis Detournay)
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[1] En terme de mythologie, Lilith est considérée comme la première femme d’Adam, mais serait vraisemblablement une des premières démones, remplie de contradictions.
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