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Sulpice & Richez (éditeurs de Bamboo) : "La dimension affective qu’un auteur peut avoir de son projet n’est pas négligeable"

Par Nicolas Anspach le 1er février 2007                      Lien  
Bamboo est passée rapidement du stade de jeune pousse à celui d'un arbre qui commence à faire de l’ombre aux « majors », en particulier dans le registre de l’humour. 2007 marque les dix ans de cette société fondée par {{Olivier Sulpice}}. Nous avons rencontré cet entrepreneur dynamique en compagnie de {{Hervé Richez}} qui dirige la collection {Angle}…

Hervé Richez, quel a été votre parcours avant de devenir directeur de collection chez Bamboo ?

HR : Je suis un véritable passionné de bandes dessinées, j’ai même été collectionneur de vieilles éditions. A cette époque, je considérais les auteurs de bande dessinée comme des « Dieux » possédant un pouvoir suprême. (Rires).
Un jour, j’ai croisé Alain Dodier. Il s’est révélé être un homme accessible et sympathique. Il fut mon mentor dans ce métier et c’est aujourd’hui un très bon ami... J’ai souhaité passer de l’autre côté de la barrière et j’ai commencé à écrire des scénarios en 1991. La route jusqu’au professionnalisme a été longue, j’ai été pendant douze ans responsable marketing dans une grande banque régionale avant de trouver le courage de tout lâcher pour me lancer totalement dans le métier à la mi-2004.

Vous avez commencé par des projets réalistes ?

HR : Pas du tout ! Pendant des années, j’ai envoyé des projets à la rédaction du journal Spirou. Ils ont été tous refusés ! Je ne regrette pas cette période car j’ai appris le métier en réalisant ces essais. Le court récit et les gags en une page sont une excellente école de création ! A chacun de mes envois, l’équipe du journal Spirou a pris le temps de m’expliquer les raisons de leurs refus… Et depuis, j’ai pu y publier quelques récits courts, ce qui a été un beau cadeau au fan de BD que j’étais.

Comment avez-vous rencontré Olivier Sulpice, le fondateur de Bamboo ?

HR : Une jeune maison d’édition, appelée Cœur de Loup, venait d’éditer Buzzi, mon premier album. Au Festival d’Angoulême en 1999, cette maison avait un stand à côté de celui de Bamboo. A l’époque, seuls Olivier Sulpice et Jenfèvre y éditaient leurs productions. Olivier souhaitait grandir et publier d’autres auteurs. Nous avons donc été parmi les premiers avec Eric Miller à concrétiser un projet chez eux. J’ai ensuite collaboré avec Henri Jenfèvre et nous avons fondé ensemble les séries L’Effaceur et L’Inspecteur Dirty qui sont publiées chez Vents d’Ouest.

Sulpice & Richez (éditeurs de Bamboo) : "La dimension affective qu'un auteur peut avoir de son projet n'est pas négligeable"
Hervé Richez
Photo (c) N. Anspach

Vous avez donc proposé à Olivier Sulpice le synopsis de Sam Lawry ?

HR : Effectivement ! Une vingtaine de dessinateurs avaient fait des essais. J’en avais proposé certains à des éditeurs. Soit, ils les ont refusés, soit le dessinateur mettait fin à l’aventure alors qu’un contrat avait été signé. Je ne croyais plus à ce projet, tellement j’avais rencontré de déveines pour le mettre en chantier. Olivier avait vu l’un de ces essais, et m’a dit : « Le jour où Bamboo aura une meilleure santé financière, je publierai cette histoire ! ». Les ventes des Profs et des Gendarmes ont gentiment augmenté, puis explosé ! Si ces deux séries, qui sont à la base du succès de Bamboo, n’avaient pas été là, Sam Lawry n’aurait probablement pas vu le jour…
En fait, il fallait créer une collection réaliste pour pouvoir accueillir des œuvres de la même trempe que Sam Lawry. Sinon, cette dernière aurait été perdue au milieu d’un catalogue humoristique. Olivier Sulpice a donc décidé de créer la collection Angle, et comme j’étais le seul dans l’équipe originelle à réaliser de l’humoristique et du réaliste, il m’a proposé d’encadrer ce type de série pour Bamboo…

Et ?

HR : J’étais totalement inconscient et inexpérimenté. Je ne me doutais pas de la masse de travail que cette aventure me demanderait ! Ca tient sans doute au fait que je suis avant tout un auteur. Olivier Sulpice et moi-même connaissons bien de ce fait les attentes des créateurs. Ils attachent tous, et c’est normal, une dimension affective importante à leurs projets. Il faut donc être méticuleux et avoir une écoute active et permanente. Il faut aussi parfois pouvoir apporter une aide technique en proposant des solutions narratives, tout en laissant un large champ de travail à l’auteur. C’est plutôt « chronophage ». Sans parler des projets divers et variés que nous recevons.

Vous recevez combien de projets par semaine ?

HR : A peu près 25. J’essaie de tous les lire avec attention. J’ai tellement souffert de ne pas être lu quand je débutais, qu’il me semble normal de leur accorder à tous de l’importance. Je vous avoue que c’est de plus en plus difficile de tous les lire. Mais il y a parfois de grands scénaristes en devenir dans ces envois. Je songe notamment à Christophe Pernoud (La Métaphore du Papillon, Kim). Je suis certain qu’il nous démontrera à l’avenir que nous avons eu raison de lui faire confiance …

Le catalogue Bamboo s’est fortement étoffé avec les collections Angle… Devez-vous lancer obligatoirement un certain nombre de séries ?

HR : Non ! Nous publions nos coups de cœurs. Il faut se donner le temps d’accompagner les projets à tous les niveaux. Et puis, les collections réalistes ne sont pas encore rentables même si nous avons atteint l’équilibre sur une année glissante et que les indicateurs sont plutôt au vert pour l’année à venir. Nous nous devons de faire du développement maîtrisé.

Quelles sont les séries les plus rentables ?

HR : Thomas Silane , Sam Lawry , Le Messager et plus récemment L’Envolée Sauvage. On sent que les choses évoluent très positivement depuis le second semestre 2006.

Olivier Sulpice, vous avez créé la collection « Doki-Doki » où vous publiez des bandes dessinées asiatiques. Editer du manga, n’est-ce pas scier la branche sur laquelle vous êtes assis ?

OS : Bamboo est un éditeur généraliste. Actuellement, les éditeurs ne peuvent pas ignorer l’importance qu’a prise ce genre. Ceci dit, nous préférons axer notre politique éditoriale dans ce domaine dans des œuvres de qualité, plutôt que de publier à tout và…

Les japonais deviennent plus durs en affaire. Nous écrivions l’année dernière que l’on achetait plus une licence comme on voulait…

OS : Vingt-cinq éditeurs se rendent régulièrement au Japon pour acheter des licences. Les japonais sont effectivement plus exigeants que par le passé. Mais si nous leur démontrons que nous sommes un éditeur sérieux, ils nous accorderont plus d’importance. C’est plutôt normal et sain qu’ils fassent jouer la concurrence…

Pour les séries de la collection Angle vous annoncez clairement le nombre d’albums à paraître sur chacune des tranches du livre …

OS : Il nous semblait opportun d’être le plus honnête possible par rapport aux lecteurs et aux auteurs. Si nous nous engageons à publier trois albums d’une série, je peux vous garantir qu’ils sortiront ! Trop de séries ont été arrêtées avant leur terme chez certains éditeurs, décevant ainsi le lecteur. Les lecteurs aiment également savoir en un coup d’œil où les auteurs et les éditeurs en sont dans la série.

Olivier Sulpice, quel bilan tirez-vous de votre année éditoriale 2006 ?

OS : Le bilan a été bon, puisque nos ventes ont globalement augmenté de 15%, ce qui n’est pas si mal dans le contexte actuel.
Les collections Angle de BD réaliste poursuivent leur progression et nous commençons à avoir la reconnaissance du milieu. Preuve en est l’arrivée au catalogue de plusieurs auteurs chevronnés, comme Alain Mounier (Box) par exemple.
Parallèlement, je suis très fier de donner leur chance à de nouveaux talents comme Arno Monin et Laurent Galandon, dont le premier album L’Envolée sauvage a été très bien accueilli. Je crois qu’il faudra compter avec ces auteurs dans les années à venir.

Et Doki-Doki ? Votre collection de mangas ?

OS : Elle a été lancée en avril. D’après ce que j’entends, les lecteurs sont contents de la qualité des mangas et des choix éditoriaux que nous leur proposons. 2007 sera l’année de la confirmation, nous passerons à un rythme de 4 mangas par mois (contre 2 les premiers mois d’existence).

Maltaite fait son entrée chez Bamboo

Quels seront vos grands projets pour 2007 ?

OS : La BD humour reste le fer de lance du catalogue Bamboo et je compte bien encore développer ce domaine. Nous lançons ainsi la collection Les Fondus qui traitera de toutes les passions des lecteurs (le portable, la brocante, le bricolage...). C’est finalement un bon complément aux séries thématiques sur les jobs et les sports. Le concept des Fondus est assez sympa, puisque dans chaque album, les mêmes personnages seront dessinés par un auteur différent (Bloz, Saive, Widenlocher) d’après les scénarios du tandem Richez-Cazenove.
2007 sera aussi l’année de la Coupe du Monde de Rugby en France, les fans de la série les Rugbymen seront aux anges avec 2 albums à paraître (janvier et septembre) et de nombreux événements prévus autour de la série (j’y reviendrai).
Et bien sûr, nous travaillons sur le développement qualitatif du catalogue Angle, avec un équilibre « jeunes auteurs prometteurs / auteurs confirmés ».
Dans la collection Angle de Vue, un des événements sera sans conteste en avril 2007 Le Sacre de l’Homme, qui marque le grand retour d’André Chéret, le dessinateur de Rahan. Le Sacre de l’Homme est l’adaptation BD du docu-fiction événement de France 2 qui s’efforce de conjuguer sens du spectacle (avec Chéret au dessin et Malaterre et Malnati au scénario) et exactitude scientifique (le projet est supervisé par Yves Coppens et Jean Guilaine, deux éminents spécialistes de la préhistoire).

Mis à part l’album de Chéret, quelles sont les moments forts des collections réalistes ?

HR : Chaque livre est évidemment un moment fort. Ce qui n’empêche pas d’avoir une tendresse particulière pour certains. C’est le cas de Borderline, un récit illustré par Nathalie Berr et écrit par Alexis Robin et qui devrait sortir en octobre. Idem avec une sortie en novembre pour l’Héritage du Diable, un récit illustré par Paul Gastine, un jeune dessinateur dont on parlera sans doute beaucoup demain, un livre écrit par Jérôme Félix, un scénariste que j’affectionne particulièrement, comme Damien Marie d’ailleurs qui publiera la suite de Welcome to Hope avec Vanders. Je citerai aussi les suites de Cliff and Co de Thomas Mosdi et Winoc , de Box d’Alain Mounier et de l’Envolée Sauvage de Arno Monin et Laurent Galandon, notre belle surprise de la fin 2006.

Quels seront vos projets pour 2007 en tant que scénariste ? Olivier Sulpice vient de nous parler à l’instant des Fondus…

HR : Il y a effectivement l’aventure des Fondus, une écriture à quatre mains avec Christophe Cazenove avec qui j’avais envie de travailler depuis longtemps.
D’un point de vue du scénario réaliste, j’ai hâte que sorte le tome 2 de Groom Lake qui est dessiné par Jean-Jacques Dzialowski. Et puis il y aura le Sam Lawry 5 avec Denis Chetville. Le retour du Messager avec en fin d’année la sortie du tome 4 dessiné par Mig. Et puis, je ne voudrai pas finir sans parler de L’Effaceur animé par Henri Jenfèvre dont le tome 5 sortira cette année chez Vents d’Ouest. C’est une série qui nous tient particulièrement à cœur. L’écriture du tome 5 m’a d’ailleurs fait retrouver le goût et l’envie de revenir vers la BD d’humour. C’est pourquoi je suis en train de discuter de nouveaux projets dans ce registre avec des dessinateurs que j’admire.

Olivier Sulpice et les "Bamboonettes".
Photo (c) Nicolas Anspach

Vous avez mis en ligne un dessin animé consacré au Profs. Quels sont vos projets dans ce domaine ?

OS : C’est un des axes de développement de Bamboo. Le dessin animé et le multimédia en général permettront aux séries de passer un cap en notoriété, avec toutes les conséquences positives que cela engendrera. Un pilote des Profs est déjà visible sur le site de Bamboo. Il nous permet ainsi de recueillir l’avis des internautes. Nous sommes en cours de négociations avec des chaînes hertziennes et satellites dans l’optique d’en produire toute une série.
Dans le même ordre d’idée, le pilote des Rugbymen a été lancé récemment et suivra très bientôt Raoul & Fernand, dont le côté cartoon, voire un peu trash peut faire des merveilles à l’écran. Une fois encore, les internautes pourront découvrir tout cela sur notre site web. Et pourquoi pas, prochainement à la télé….

Olivier Sulpice, votre regard sur le monde de l’édition a-t-il changé ces dernières années ?

OS : Nous travaillons toujours avec autant de passion. Nous avons acquis de la visibilité dans les librairies, et le regard des lecteurs se modifie face à nos albums. Le succès de différentes séries nous a permis de dégager les moyens pour mieux accompagner les auteurs.
Je constate qu’il y a un écart de plus en plus grand entre les best-sellers et les titres qui ne se vendent qu’à mille exemplaires. Il n’a jamais été aussi grand ! Cela devient de plus en plus compliqué de lancer une série et de la défendre auprès du public et des libraires.

(par Nicolas Anspach)

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