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Sylvain Runberg : "La comédie de mœurs est un exercice à risque"

Par Nicolas Anspach le 28 septembre 2005                      Lien  
Sylvain Runberg a fait parler de lui dans la profession bien avant d'avoir publié le moindre album. Ce jeune scénariste alors débutant avait envoyé une poignée de projets à plusieurs maisons d'édition qui, pour la plupart, ont accepté de les publier. Si bien que ce scénariste frais émoulu signera pas moins de six albums l'année prochaine.

Cette année-ci, le scénariste a publié Astrid La Petite Vandale, un album regroupant des histoires courtes pour la jeunesse aux éditions Soleil, ainsi que le remarqué Les Colocataires chez Dupuis. Nous avons rencontré ce jeune scénariste en phase avec son temps. Son talent est évident et nul doute que l’on reparlera de lui dans les prochaines années.

Pourquoi avoir voulu raconter la vie quotidienne de jeunes colocataires d’un appartement ?

J’ai vécu six années à Aix-en-Provence. Je partageais un appartement avec trois ou quatre amis, suivant les périodes. Cette expérience m’a profondément marqué et correspond à une partie de mes années d’études en faculté universitaire, mais aussi à mes débuts dans le monde du travail. Aix est une ville universitaire et la colocation y a été très courante dès la fin des années 80. La phénomène s’est d’abord imposé dans les milieux estudiantins avant de gagner des couches plus larges de la population. La présence de nombreux étudiants étrangers dans cette ville a aussi aidé à y accentuer le phénomène. La colocation est une pratique qui s’est développée dans certains pays européens, comme par exemple l’Angleterre, depuis bien plus longtemps qu’en France. Mais depuis nous avons rattrapé ce retard !

Vous êtes-vous servi de votre propre expérience pour écrire ce récit ?

Le contexte est autobiographique. Pas mal de situations ont été vécues par des amis ou par moi-même. Le thème de la colocation me permettait de décrire certaines facettes de la société dans laquelle nous vivons et ce, à travers le regard de quatre jeunes adultes au parcours distinct. La colocation est un phénomène particulier : il s’est développé en raison d’une crise du logement de plus en plus aiguë, quand il est devenu impossible pour une partie de la population de se loger seule faute de moyens financiers. Cela a d’abord touché les étudiants, puis le phénomène s’est étendu à des gens plus âgés, à des salariés.
Ces difficultés ont, en parallèle, permis le développement d’un mode de vie qui a tendance à rompre avec l’individualisme ambiant qui règne en maître depuis quelques années. C’est peut-être un bien pour un mal.

Sylvain Runberg : "La comédie de mœurs est un exercice à risque"
Les Colocataires, premiers essais
(c) Runberg, Christopher & Dupuis

Les Colocataires est en fait une comédie de mœurs où l’on retrouve une atmosphère de franche camaraderie, proche du cinéma de Cédric Klapisch. Est-ce facile à retranscrire en BD ?

La comédie de mœurs est un exercice à risque, que cela soit dans le cinéma, la bande dessinée ou le théâtre. Pour ce qui est la BD, on peut y retranscrire absolument toutes les gammes de sentiments existants, sans exclusion ! Après c’est une question d’alchimie scénario/dessin, qui fonctionne ou pas !

Luc Brunschwig, le scénariste de Makabi et du Pouvoir des Innocents, vous a aidé dans l’écriture de cet album, n’est-ce pas ?

Il m’a suivi en tant que « script-doctor », avec l’accord de Dupuis, afin de m’aider sur certaines techniques d’écritures liées précisément à ce type de récit. Cette aide me fut précieuse et m’a permis de sortir de certaines ornières bien délicates. Je pense que cette pratique devrait être plus répandue dans le monde de l’édition BD, notamment auprès de jeunes auteurs. C’est courant dans le cinéma et dans le roman. Si cela tire la qualité des ouvrages vers le haut, je ne vois pas pourquoi on s’en priverait pour la bande dessinée.

Comment est née cette rencontre avec Christopher ?

J’avais proposé le synopsis à Sébastien Gnaedig, qui était alors responsable éditorial chez Dupuis, je n’avais pas encore d’idée précise sur le type de trait qui serait le mieux adapté au récit. La rencontre avec Christopher s’est faite par l’entremise de Luc Brunschwig. Ils se connaissaient et habitent tous les deux à Tours.
Christopher et moi-même, nous nous sommes aperçus que nous avions vécu à Aix-en-Provence durant la même période, au début des années 90. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, alors que nous avions des connaissances communes. C’est plutôt amusant comme coïncidence.
C’est un vrai plus pour la série : collaborer avec quelqu’un comme lui qui connaissait le milieu dans lequel évolue les personnages, est un avantage indéniable. Après cela, des essais ont été faits. Tout le monde a été satisfait et la collaboration a été entérinée.

Extrait des Colocataires T1.
(c) Runberg, Christopher & Dupuis

Christopher intervient-il dans le scénario ?

Le scénario du premier album était déjà rédigé lorsqu’il a commencé à le dessiner. Il y a quelques interventions de sa part qui concernaient plutôt la structure du récit. Il m’envoie un découpage illustré au fur et à mesure. Nous en discutons afin de voir les changements qu’il faudrait réaliser, pour ma partie comme pour la sienne. Cela me permet de finaliser mes dialogues en fonction de son dessin : une mimique ou une attitude particulière peuvent en effet conduire à modifier une expression, un mot ou une phrase.
Je termine actuellement l’écriture du deuxième album. Nous avons aujourd’hui un véritable échange scénaristique. Je lui envoie au fur et à mesure ce que j’écris et lui me fait part de ses remarques, ce qui est d’ailleurs très stimulant !

Hammerfall, la série qui rendra hommage aux vikings
(c) Talijancic, Runberg & Dupuis

Vous publiez une impressionnante « play-list » au début de l’album. Pourquoi avoir mentionné de la sorte vos groupes et chanteurs préférés ? Votre album recèle également des références cinématographiques et BD.

Nous sommes fans de musique. Et puis, la série met en scène des jeunes adultes qui sont encore à une période de leur vie où la musique et le cinéma peuvent être aussi des signes d’appartenance sociale à un groupe. Cela nous a donc paru évident de mettre ces éléments en avant. Cela nous amusait tout simplement de rajouter cette play-list en début d’album.
C’est une pratique répandue sur nombre d’albums d’artistes que nous écoutons. On s’est dit : « Pourquoi pas nous ? ».

Lequel de ces quatre garçons vous ressemble-t-il le plus ? Et le plus à Christopher ?

Si le contexte est autobiographique, les personnages sont eux imaginaires ! Disons que celui dont je suis le plus éloigné me semble être Jean-Michel. J’ai fais des études d’histoire et j’apprécie la musique, comme Toine. J’ai pratiqué le skate et participé à pas mal de fêtes, comme Max. Et j’aime la bande dessinée, comme Julien. Pour le reste, je ne pense pas ressembler à l’un des quatre en particulier.
Et pour Christopher, cela me semble être du même ordre, mais le mieux serait de lui demander son avis sur la chose !

Extrait de Orbital
(c) Pellé, Runberg & Dupuis

Il me semble avoir lu une intervention de Luc Brunschwig dans un forum, où il expliquait que vous êtes un véritable phénomène : le scénariste débutant qui a signé le plus de contrats avant même d’avoir publié le moindre album. Comment expliquez-vous cet engouement des éditeurs ?

Je ne me l’explique pas vraiment. Il faudrait leurs poser la question. Mais c’est évidement très réjouissant. Pour ma part, ma manière d’envisager l’écriture est assez simple : il s’agit de traiter d’une histoire que j’aimerais moi-même lire, mais que je n’ai pas encore lue ailleurs.

Justement, quels sont ces projets ?

Plusieurs projets chez Dupuis : commençons par Hammerfall dans la collection Empreinte(s), avec Boris Talijancic au dessin. Il s’agit d’une saga historique/fantastique qui se déroule au VIIIe siècle, en Scandinavie et dans le royaume franc. Ce sera l’occasion de montrer ce qu’à pu être la civilisation Viking autrement qu’aux travers des clichés : celui notamment les présentant comme des barbares assoiffés de sang. Ils ne l’étaient résolument pas. Pas plus que les autres à l’époque en tous cas.
Chez Repérages, il y a Orbital, avec Serge Pellé, un projet de science-fiction qui traitera notamment d’un thème récurrent dans le genre, mais dont on ne viendra sans doute jamais à bout, celui de l’altérité.
Chez Soleil, je réalise en ce moment le sixième volet de la collection Kookaburra Universe. Le Sourire de Myra sera dessiné par Eduardo Ocana. C’est une belle opportunité que m’ont donnée Jean Wacquet et Didier Crisse. J’ai également un autre projet dans cette maison d’édition, mais c’est encore un peu tôt pour vous en parler...
J’ai aussi en préparation un projet chez Futuropolis, sous la direction éditoriale de Luc. Nous n’avons pas encore trouvé le dessinateur. Mais des essais sont en cours. C’est là aussi plus où moins autobiographique : deux jeunes Français qui partent en Angleterre pour tenter leur chance, ce que j’ai fait avec un ami il y a quelques années, et où ils vont finir par intégrer le mouvement des travellers, ces nomades lié au mouvement techno en rupture avec la société thatchérienne. C’est un projet qui me semble d’autant plus d’actualité à l’heure où l’on nous présente souvent l’Angleterre - un pays pour lequel j’ai beaucoup d’affection au demeurant - comme un exemple à suivre en terme de réussite économique et sociale, alors que la Grande-Bretagne caracole toujours en tête des plus mauvais résultats concernant la pauvreté, les inégalités de revenus et la criminalité en Europe. Quant aux chiffres officiels du chômage anglais qu’on nous ressort à longueur de plateaux télés, rappelons qu’à côté des neuf cent mille chômeurs officiels, près de deux millions de personnes supplémentaires sont également privées d’emploi là-bas, mais pas comptabilisées car ne dépendant pas de l’assurance chômage... Euh, je m’égare un peu là...
Pour revenir à mes projets, il y a enfin Mic Mac Adam, série sur laquelle j’ai la chance de collaborer en tant que co-scénariste depuis le quatrième album, qui sortira l’année prochaine. Tout ça devrait donc être publié en 2006, le deuxième tome des Colocataires inclus. Et puis je prépare encore deux autres projets qui seront présentés aux éditeurs l’année prochaine, avec dès le départ, deux dessinateurs à mes côtés cette fois-ci.

Extrait de Kookaburra Universe T06 : Le Sourire de Myra
(c) Ocana, Runberg, Crisse & Soleil

Est-ce facile de se glisser dans l’univers de Luc Brunschwig & André Benn ?

J’aimais beaucoup Mic Mac Adam. Je ne me suis donc pas posé de questions lorsque Luc m’a proposé de faire des essais pour collaborer avec eux. De plus, travailler avec des auteurs aussi confirmés offre un véritable confort pour un débutant comme moi ! Nous avons beaucoup discuté, Luc et moi, de la structure de l’histoire. Une fois que nous sommes tombés d’accord, je me charge, en général, des premiers jets et des découpages dialogués. Luc vient ensuite y apporter sa touche personnelle, en affinant, modifiant ou réécrivant si nécessaire. Une très belle expérience pour ma part. Je les en remercie !

(par Nicolas Anspach)

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