L’île des Sables, un îlot perdu au milieu de l’Océan indien dont la terre habitée la plus proche est à 500 kilomètres... À la fin du XVIIIe siècle, un navire y fait naufrage avec à son bord une "cargaison" d’esclaves malgaches. Les survivants construisent alors une embarcation de fortune. Seul l’équipage blanc peut y trouver place, abandonnant derrière lui une soixantaine d’esclaves.
Les rescapés vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les tempêtes. Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin récupérera les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois. Une fois connu en métropole, ce "fait divers" sera dénoncé par Condorcet et les abolitionnistes de l’esclavage, alors que la Révolution Française se prépare...
Max Guérout, ancien officier de marine et créateur du groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), a monté plusieurs expéditions sous le patronage de l’Unesco pour retrouver les traces du séjour des naufragés. Ses découvertes démontrent une fois de plus la capacité de l’homme à s’adapter et à survivre dans les conditions les plus extrêmes.
"Avant ma première expédition en 2006, nous explique l’archéologue, J’avais déjà consacré deux ans à ces recherches en amont, afin de déjà mieux comprendre ce qui s’était passé sur Tromelin. Les fouilles archéologiques en sont l’aboutissement, le seul moyen de comprendre comment ces esclaves ont pu survivre quinze ans sur l’île. Tout cela ne s’est pas fait en une seule campagne : après 2006, nous y sommes retournés en 2008, 2010 et 2013."
"Max Guérout a réalisé sa première expédition en 2006, nous explique l’auteur de la bande dessinée Sylvain Savoia. J’avais lu un entrefilet à ce propos dans Le Monde, et je l’avais contacté dans la foulée. Nous avons sympathisé et j’ai alors décidé de faire partie de l’expédition suivante, celle de 2008. J’ai été immédiatement touché par les thèmes de l’esclavage, de l’exil, ainsi que ce travail de recherche archéologique qui représente un passionnant travail de mémoire. Et surtout par l’aspect humain et tragique de cet abandon sur cette île déserte. C’est ce qui m’a poussé à travailler sur ce sujet."
À la poursuite des esclaves perdus
L’archéologue a invité le dessinateur à les rejoindre lors d’une expédition d’un mois sur Tromelin. Ce n’est bien entendu pas la première fois qu’un auteur de bande dessinée accompagne ainsi une expédition scientifique et en réalise un album. Emmanuel Lepage est d’ailleurs devenu une référence dans ce domaine, explorant des contrées tout aussi inhospitalières.
La particularité des Esclaves perdus de Tromelin est de mêler ce récit "à hauteur d’humain" (on découvre cette tragédie du point de vue d’une jeune esclave, l’une des survivantes sauvées par le chevalier de Tromelin) avec le journal de bord de la mission archéologique dans l’Océan indien.
Pour caractériser nettement les deux parties, Sylvain Savoia a travaillé le carnet de bord à l’aquarelle, tandis que les planches proprement historiques utilisent un encrage plus dense et une mise en couleurs traditionnels.
Le récit des esclaves malgaches est bien traité : le jeu des dialogues et des silences fait passer le manque de communication et de considération entre les "esclaves" et les Blancs, pourtant logés à la même enseigne. Le sentiment d’abandon est bien présent, et on ne peut s’empêcher de trembler lorsque les événements et éléments se déchaînent sur les survivants, dont le nombre se réduit inexorablement.
La partie archéologique est plus délicate, et bien d’autres auteurs de bandes dessinées documentaires s’y sont déjà cassé les dents. Malgré le fait que Savoia s’y exprime à la première personne, il faut un certain temps pour appréhender ses sentiments personnels. Peut-être parce qu’il n’explique pas d’emblée ce qui l’a touché dans cette histoire (in-) humaine.
La densité de ses propos produit également une certaine lenteur dans cette première partie autobiographique. Les cases aquarellées à bords perdus, les textes se situent parfois au-dessus et/ou au-dessous de l’image, ce qui crée une certaine confusion dans l’ordre de lecture.
Le pari de l’éditeur était de réunir deux modes de narration en un seul. Peux-être plus parce qu’il est plus à l’aise dans l’expression de ses sentiments, ou simplement parce qu’il se trouve en phase avec la langueur et, paradoxalement, l’excitation régnant sur l’île, Savoia inverse presque l’équilibre la seconde partie du récit : la mission et des moments vécus par l’auteur prennent le pas sur l’histoire des Malgaches. Les traits d’humour, l’es discussions écologiques, et la distance qui se crée entre l’île et le monde réel passionnent le lecteur. Même si la lecture de cet ouvrage nécessite une lente entrée en matière, le temps conséquent passé aux côtés de l’auteur et des esclaves suscite une pointe de regret lorsqu’on atteint les dernières pages du livre. Il est largement compensé un passionnant dossier de douze pages détaillant les découvertes historiques et archéologiques faites par l’expédition.
En dépit de quelques lenteurs, principalement en début d’album, Sylvain Savoia parvient à toucher et intéresser, tant par le destin tragique de ces esclaves que par la mission archéologique qu’il a vécue. Réalisant ici son premier album en solo, avec sincérité et émotion, il a réussi son pari.
(par Charles-Louis Detournay)
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