On ne présente plus Posy Simmonds, illustratrice de presse et auteure de deux graphic novels magistraux. Comblée de distinctions – Prix de la Critique décerné par l’ACBD en 2008 –, la Britannique est notamment membre de la prestigieuse Royal Society of Literature, où elle siège aux côtés des prix Nobel Doris Lessing et V.S. Naipaul.
Tamara Drewe, son deuxième graphic novel, est une adaptation libre de Loin de la foule déchaînée, de Thomas Hardy, dont l’héroïne Barbara jouait de ses charmes pour faciliter son ascension sociale, et choisissait finalement l’amour d’un berger. Chez Posy Simmonds, le cadre bucolique est préservé puisque l’intrigue se déroule au beau milieu de la campagne anglaise, dans une résidence pour écrivains tenue par l’épouse d’un auteur de polars à succès, Nicholas Hardiman. Tamara, enfant du pays devenue chroniqueuse dans un quotidien de Londres, et qui décide de se réinstaller dans la maison de sa mère après le décès de celle-ci, vient perturber l’équilibre local. Chacun est en effet obsédé par la séduisante jeune femme, ses longues jambes et son joli nez refait : certains locataires de la résidence, le maître des lieux lui-même (qui n’en est pas à une liaison adultérine près), et deux adolescentes qui s’ennuient dans le petit village.
Posy Simmonds met son graphisme délicat au service d’une satire aussi acerbe que délicatement ouvragée. Ecrivains ratés à l’ego surdimensionné, auteur de polars qui jouit de son succès tout en étant conscient du mépris que la sphère littéraire lui réserve, épouse bafouée qui trouve mille raisons de tolérer les écarts de son mari, adolescentes collées à leurs téléphones portables et aux magazines people – jusqu’à Tamara et son désir d’ascension sociale facilité par la chirurgie esthétique : tout le monde, si l’on ose dire, s’en prend plein la figure. C’est grinçant, cruel et surtout foisonnant de détails : la part de texte dans les pages de Simmonds est importante et lui permet d’aller au fond des personnages comme des événements.
Avant de découvrir l’adaptation de ce petit bijou, on s’inquiète donc un peu : comment comprimer tout cela en un long métrage, même de près de deux heures ? Bien sûr, c’est Stephen Frears qui est derrière la caméra : l’homme a donné au cinéma un certain nombre de chefs-d’œuvre parmi lesquels Les liaisons dangereuses, parangon d’adaptation littéraire réussie – tous les espoirs sont donc permis. Et puis on est lourdement déçu…
Frears a en effet tiré Tamara Drewe vers la comédie dans le sens le plus burlesque, voire loufoque du terme. Le microcosme littéraire est toujours là, exposé avec drôlerie au début du film, mais on s’en désintéresse malheureusement assez vite. De plus, chez Posy Simmonds, tout le monde se prenait très au sérieux, quitte à se raccrocher péniblement aux rideaux lorsque sa médiocrité était exposée aux yeux de tous ; dans le film de Frears, on a droit à des personnages grotesques qui se comportent de façon grotesque, sans la moindre retenue. Le musicien de rock (l’un des amants de Tamara) est un singe grimaçant, l’auteur de polars un gros naze, et Tamara une bimbo… (OK, dans le livre c’est une bimbo aussi, mais on a droit à ses chroniques, bien écrites et plutôt fines.) La délectation que l’on éprouvait, notamment, en suivant le couple formé par Nicholas et Beth Hardiman s’évanouit puisque, là où dans l’album on avait droit à un vieux beau sournois maltraitant avec cynisme sa femme grosse et complexée, on se retrouve avec un gros lourdaud passablement laid et une épouse belle et simplement dépassée…
Bref, si vous avez envie de vous taper une bonne comédie sans prétention, allez voir le film de Stephen Frears. En revanche, si vous avez lu le livre et adoré sa subtilité… relisez plutôt le livre !
(par Arnaud Claes (L’Agence BD))
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