Tout le monde a entendu parler de Lucy « la femme la plus vieille du monde », née il y a plus de trois millions et demi d’années, découverte en 1974. Plutôt que de raconter la genèse de cette aventure paléontologique, Patrick Norbert a choisi de rapprocher cet évènement d’une autre énigme survenue quatre ans plus tard.
En 1978, une anthropologue anglaise découvre, quelque part en Tanzanie, des traces de pas fossilisées laissées par trois australopithèques deux adultes et peut-être… leur enfant. La scientifique constate que ce dernier a décidé à un moment, de marcher dans les pas de ses parents. Cela correspond-il à un jeu ou s’agit-il de la toute première facétie de l’histoire ? En étudiant de plus près, l’anthropologue est amenée à supposer que la mère s’est retournée pour observer quelque chose, qu’a-t-elle vu ?
Intrigué et émerveillé, le producteur et scénariste Patrick Norbert entreprend de mener l’enquête rétrospectivement à travers l’écriture d’un scénario qui tente de faire la synthèse de ces deux découvertes majeures et en prenant appui sur le personnage emblématique de Lucy.
Ce qui devait être à l’origine un film pour la télévision devient alors une bande dessinée rythmée, pédagogique sans être didactique, poétique et sans être mièvre ou pétrie de bons sentiments.
Malgré une abondance de récitatifs, (« ceux qui marchent debout » depuis peu, n’ont pas encore inventé le langage !), le récit reste fluide et très captivant. Adossé à un solide cadre scientifique, sous le contrôle bienveillant du célèbre professeur Yves Coppens, découvreur de la vraie Lucy, Patrick Norbert livre un récit à la fois sensible et humaniste, original, parfaitement crédible et d’un réalisme à couper le souffle !
Le recours à Liberatore pour le dessin contribue largement à valoriser le propos de cette saga préhistorique. Son graphisme proche d’un hyperréalisme quasi photographique pouvait faire craindre un cours d’anthropologie un peu laborieux et un peu désuet. Il n’en est rien ! Si la mise en page est plutôt sage, le découpage, la mise en couleur et l’extraordinaire précision du trait nous font entrer de plain-pied dans l’univers de Lucy. De nombreuses scènes insistent sur des jeux de regards d’une vivacité prodigieuse, le réalisme du dessin ne recouvre pas l’émotion du récit, le format de cet album valorise encore davantage la qualité des planches.
On avait perdu de vue Liberatore depuis qu’il s’était orienté vers le cinéma en collaborant notamment avec Alain Chabat ; on le retrouve ici dans une série totalement maîtrisée aussi bien sur le plan du dessin que sur celui d’une rigueur scientifique sans faille.
Le père de Ranxerox, héros d’une BD culte et ultra violente parue chez Albin Michel, a troqué ses feutres, ses crayons de couleurs soumis à une technique inédite pour l’époque contre une utilisation intelligente et parfaitement contrôlée de l’ordinateur et de ses possibilités. Le résultat est très éloigné de ces productions souvent froides, sans chaleur ni personnalité qui inondent parfois les bacs de nos libraires.
En délaissant les aventures du plus déjanté des humanoïdes des années 80, le dessinateur italien se met au service d’un récit poétique et humaniste tout en ne cédant rien à la rigueur d’un discours fortement cautionnée par Yves Coppens, professeur du collège de France. Avec Lucy, il signe là un retour à la BD exigeant, remarquable et ….remarqué.
Ce livre qui raconte la première histoire d’amour de l’humanité se présente sous la forme d’un album au format atypique, à l’aspect particulièrement soigné pour ne pas dire luxueux, ce qui séduira sans doute un autre public que celui traditionnellement acquis à la BD.
Une belle histoire, une belle BD, dans un beau livre.
(par Patrice Gentilhomme)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lucy T1, L’Espoir - Par P.Norbert et T. Liberatore - Editions Capitol
En complément, on pourra consulter le site consacré à l’album.
Participez à la discussion