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Tarek : "le dosage entre la fiction et la réalité doit être pensé bien avant de passer à l’écriture "

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 novembre 2006                      Lien  
Avec {Baudelaire} (Mosquito), {{Les 3 Petits cochons}} et {{Tengis}} (EP Éditions) dessinés par Aurélien Morinière, {Les Chaussettes trouées} (avec Batist), {Raspoutine} (avec Vincent Pompetti, chez EP Éditions) et {Le Tsar fou} dessiné par Lionel Chouin (EP Éditions), Tarek aligne de front un nombre impressionnant de nouveautés cette rentrée. Rencontre avec un des scénaristes marquants de la nouvelle génération.
Tarek : "le dosage entre la fiction et la réalité doit être pensé bien avant de passer à l'écriture "
Les 3 Petits cochons avec Aurélien Morinière
EP Editions.

Vous êtes un des auteurs vedettes de cette fin d’année : On compte pas moins de huit titres parmi les nouveautés. Si on ne vous connaît pas, par quoi conseilleriez-vous de commencer ?

Il m’est difficile de donner le titre par lequel il faudrait commencer... Mais si je devais absolument orienter la lecture d’une personne ne connaissant aucun de mes albums, je lui conseillerais en BD jeunesse, certainement Les Trois petits cochons (EP jeunesse), un récit enjoué et plein de tolérance dont le graphisme est d’une grande qualité. En BD adulte, deux possibilités : Sir Arthur Benton (EP éditions) ou Baudelaire ou le roman rêvé d’E.A. Poe (récit complet en noir et blanc chez Mosquito), ces deux histoires, selon moi, donneraient au néophyte l’envie de mieux connaître mes autres albums. Enfin, pour le très grand public, j’inviterais à lire Tengiz ou Le tsar fou, deux séries chez EP éditions... qui, d’après moi, (et d’après ce que je constate lors des séances de dédicaces) touchent autant les ados que les adultes.

La série Sir Arthur Benton connaît un certain succès. Elle repose sur une vision particulière de l’espionnage, à la fois simple (un duel entre deux maîtres espions) et compliquée (une imbrication des politiques et des alliances à un moment de l’histoire où rien n’est décidé). Comment faites-vous pour vous y retrouver, pour ne pas travestir l’histoire ?

Sir Edouard Benton avec Stéphane Perger
EP Editioons

Cette série connaît, en effet, un succès populaire et a obtenu également la reconnaissance de plusieurs organismes institutionnels comme l’office national des anciens combattants ou d’autres encore... Cela me réjouit énormément !
Cependant, en écrivant Sir Arthur Benton, je ne cherchais pas la reconnaissance, mais je voulais avant tout construire une histoire d’espionnage durant une époque très particulière, en l’occurrence la Seconde Guerre mondiale. Cette période me passionne depuis près de vingt ans. Le double récit, mélangeant la réalité et le fictif, mais aussi l’imbrication d’une chasse à l’homme autour d’enjeux politiques majeurs rendent cette trilogie très atypique dans la production actuelle et dans les albums publiés traitant de cette époque. D’autant plus que les nazis ne sont pas montrés autrement que comme ils étaient, c’est à dire, racistes et fanatisés par leur leader charismatique : Adolf Hitler. Le récit d’espionnage pour être compréhensible par le plus grand public doit avoir des points de repère ; ici, ce sont Marchand le Français et Benton l’Anglais qui jouent ce rôle. Ainsi, cette partie qui semble simple, pour vous citer, est la plus difficile à mettre en œuvre, car pour la rendre élémentaire, il faut que le cadre dans lequel se joue cette tragédie soit lisible par tout un chacun sans avoir besoin de trop simplifier. En deux mots, un récit fort est souvent un récit simple où l’humain est au centre avec ses doutes, ses certitudes et ses chimères.

Sir Arthur Benton avec Stéphane Perger. L’histoire commence à Istambul.
EP Ediitons

En revanche, la partie historique n’est là que pour servir l’histoire d’espionnage et rien d’autre. Et, pour le coup, cette période nous offre des possibilités intéressantes et variées. Je voulais aussi mettre l’accent sur l’importance de la démocratie et montrer que le pire régime pouvait arriver au plus haut sommet en utilisant celle-ci. Ce récit est profondément républicain... Marchand reste le digne représentant de la France républicaine même s’il commet des actes douteux !
Enfin, le dosage entre la fiction et la réalité doit être pensé bien avant de passer à l’écriture pour ne pas rendre la réalité trop fictive ou inversement la fiction trop réelle... Le dossier à la fin de chaque tome contribue à recadrer la lecture initiale et donne aux lecteurs des pistes pour approfondir. Un support essentiel !

"Baudelaire ou le roman rêvé" avec Aurélien Morinière
Editions Mosquito

Vous êtes Français, d’origine tunisienne, et vous avez fait votre coopération en Syrie, voyagé en Jordanie... Plusieurs de vos histoires (Benton, Tengiz, Raspoutine...) mélangent l’Orient et l’Occident. Vous avez trouvé là un angle qui vous parle plus particulièrement ?

Je pense que mes nombreux voyages et ma double, voire triple culture (française, arabe et méditerranéenne), me servent de source d’inspiration. J’ai cette chance et jusqu’à maintenant je n’ai pas écrit sur les sujets qui me tiennent à cœur... J’aime aller là où on ne m’attend pas, prendre des risques, découvrir des univers qui me sont étrangers... Je ne suis pas un routinier et je ne pense pas que développer à outrance un univers me plaise. Mais bon, chacun sa vision du métier !

"Le Tsar fou" avec Lionel Chouin
EP Editions

Dans mes albums jeunesse, ce qui revient le plus souvent, c’est plutôt la critique de la bêtise, de l’injustice et du racisme sans pour autant être omniprésent. Ce ne sont pas des plaidoyers non plus, j’aborde ces questions en filigrane. Cependant, l’humour, le suspens et l’aventure sont mis en avant pour rendre les récits agréables à lire...
Concernant les autres albums, il est vrai que l’Orient revient assez souvent de manière importante ou seulement en fond... Il y a sans aucun doute inconsciemment une part de mes rêves - de mon identité - qui passe dans mes scénarios. Raspoutine et Le Tsar fou se passent avant tout en Russie même si l’Orient y apparaît : j’aime la culture slave et orthodoxe ! Tengiz se déroule dans un monde imaginaire, mais qui est fortement influencé par la culture turco-mongole mais aussi népalaise et tibétaine. Ce choix graphique et scénaristique a été pris avec Aurélien Morinière qui apprécie, tout autant que moi, ce monde méconnu. Ensuite, il arrive souvent que l’Orient fasse une apparition dans tel ou tel album, mais ce n’est pas forcément pour en parler absolument mais parce que cela sert le récit. Sir Arthur Benton débute en Turquie pour des raisons historiques et non esthétiques et certainement pas affectives.

"Tengis" avec Aurélien Morinière : Un album fortement inspiré par la culture turco-mongole.
EP Editions.

En revanche, j’ai des projets qui vont traiter de cette région ou de personnages arabes. Je travaille actuellement sur Lawrence d’Arabie avec Alexis Horellou (sortie prévue en mars 2007 chez EP éditions) et j’adapte la geste de Baybars avec Eddy Vaccaro (sortie prévue en fin 2007 chez EP éditions). Ces deux prochaines trilogies auront pour thème l’Orient, celui que j’ai envie de faire partager de faire connaître...

Presque toutes vos séries sont aujourd’hui chez Emmanuel Proust. Vous avez trouvé chez cet éditeur une qualité de dialogue que vous n’aviez pas chez les autres ?

Certainement. Emmanuel Proust suit les albums, donne un avis pertinent parfois, mais surtout accepte le débat et la discussion sur les projets qu’il signe. Cette rencontre a été importante pour moi, car j’ai trouvé enfin un vrai interlocuteur qui se passionne pour ce qu’il édite. Michel Jans chez Mosquito est aussi un éditeur qui m’apporte beaucoup et je les en remercie...

Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 30 octobre 2006

Tarek à la Conciergerie (Palais de la BD)
Un lieu qui lui convient à merveille. Photo : D. Pasamonik.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Photos (C) D. Pasamonik.

 
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