Indéniablement, quand le dessinateur possède un véritable talent de peintre (en plus du savoir-faire propre à la BD), il n’y a rien de plus séduisant qu’une couverture de BD qui s’apparente à une toile. Une des références en la matière revient systématiquement aux magnifiques couvertures de Grzegorz Rosinski qui ont fortement contribué au succès de la série Thorgal. De véritables chefs-d’œuvre, dont bien des jeunes auteurs devraient s’inspirer !
Heureusement pour le 9e art, Rosinski n’est pas seul ! William Vance est un très grand illustrateur et ses nombreuses couvertures picturales d’albums en ont émerveillé plus d’un (Bob Morane, XIII, Bruce J. Hawker…).
Yves Swolfs l’avait bien compris quand il s’est fait connaître avec ses premiers albums de Durango. Il était parfaitement dans la lignée des très belles couvertures de Jean Giraud pour Blueberry ou Hermann pour Les tours de Bois-Maury. Puisqu’il n’est pas permis de les citer toutes, j’évoquerais en dernier Francis Bergèse pour ses très belles toiles de Buck Danny lui qui, avant de faire de la BD, réalisait de superbes illustrations pour les maquettistes et amateurs d’avions.
Ces brillantes Unes sont des arguments de vente très efficace puisqu’on serait prêt à acheter l’album rien que pour sa couverture.
L’extrême opposé (certainement pour des raisons économiques) consiste à reproduire une vignette d’une des pages intérieures en guise de couverture. Le résultat est forcément sans commune mesure avec les exemples précédents mais il arrive que le lecteur peu observateur ne relève pas l’astuce.
Ainsi, le célèbre album de Manara Le Déclic ne proposait ni plus ni moins qu’une image agrandie piochée à l’intérieur de l’album. C’est ce qui s’est aussi produit par le passé pour quelques anciens numéros de Rahan.
Ceci était d’autant plus dommageable qu’André Chéret offrait le plus souvent à ses lecteurs de très belles réalisations. Bien entendu, l’effet est totalement contre-productif à l’image des 2 albums d’Axa édités chez Glénat qui ne mettaient pas en avant le réel talent du dessinateur espagnol Enrique Romero.
Dans certains cas, la solution alternative a donc consisté à faire réaliser la couverture par un autre dessinateur que celui de l’album. On frise la supercherie comme lorsque Crisse signa la couverture de L’Étrangleur de Wyngates pour des planches de Xavier Musquera d’un tout autre genre (Série Peggy Press).
Certes, d’autres arguments peuvent justifier la réalisation de la couverture par un autre dessinateur. Je passerai sur le fameux premier tome de Blueberry (Fort Navajo signé Jijé) pour évoquer un album plus récent de Tanguy et Laverdure. La couverture avait été réalisée par Antonio Parras pour accélérer la sortie de l’album Prisonniers des Serbes du très (ou trop) méticuleux Yvan Fernandez.
Autre astuce pour encore mieux valoriser ses livres, les éditions Soleil avaient eu l’idée d’imprimer en relief le logo doré de la série Vae Victis !. Résultat agréable mais qui a forcément un coût.
Revenons à l’idée première d’une couverture d’album, celle qui consiste à produire un impact fort. C’est ce qu’annonce clairement Philippe Delaby pour chacun de ses albums de Murena. Tous ne sont pas réussis (Tomes 6 et 7) mais quand ça marche, c’est un vrai régal pour le lecteur (Tomes 2, 3, 5 et 8). Pour d’autres, il arrive qu’en plus la chance passe par là !
La trame de l’histoire et la couverture du quatrième tome d’Universal war one de Denis Bajram avaient relativement bien coïncidé avec les événements tragiques de septembre 2001.
Autre exemple de couverture fracassante (même si la liste pourrait être longue), je cite volontiers le premier tome de Chroniques Barbares par Jean-Yves Mitton. D’autant plus que l’intérieur du livre est totalement à la hauteur de l’affiche. Le ton est donné d’entrée, l’album est efficace, le lecteur n’est pas trahi, l’objectif est atteint ! La couverture du premier tome de L’épopée de Gilgamesh par Alain Brion s’inscrit dans la même veine.
Autre philosophie, celle de Philippe Francq, le dessinateur de Largo Winch qui attache une importance toute particulière à ce que ses couvertures d’albums soient de moins bonne qualité que l’intérieur du livre. Cela se traduit par un impact faible dans les rayons mais il est vrai que le lecteur ne se sent pas floué quand on voit la qualité des planches qu’il produit !
À l’inverse, il y a aussi les couvertures de BD ratées ! C’était le cas du premier numéro de Spoon & White, Impact zéro. Simon Léturgie les a fort logiquement refaites. Zep avec Les Filles électriques a eu le même problème. Également la très bonne série Thomas Noland du regretté Franz : elle a longtemps été desservie par de bien mauvaises couvertures. La parution en 1998 du dernier et très attendu tome cinq a été l’occasion pour Dargaud de rééditer enfin la collection complète avec des dessins inédits.
De grands auteurs comme Christian Rossi savent aussi "foirer une couv". Cela avait été malheureusement le cas pour La Gloire d’Héra, un très bon "one-shot" à coté duquel on passe facilement si personne ne vous le recommande.
Autre point essentiel : l’harmonie de la collection. Esthétiquement, il est parfois agréable pour le lecteur d’avoir une cohésion des couvertures sur les différents numéros qui composent la série.
Deux exemples assez représentatifs : les trois premiers tomes de la série Pin-up (pour l’édition originale) et la belle série La Guerre des Sambre. Seulement voilà, quand cela se ressemble trop, l’éditeur a peur que le lecteur ne fasse pas la différence, rate une nouvelle parution et donc que les ventes en pâtissent. Philippe Berthet a donc refait les couvertures des trois premiers Pin-up au risque de gâcher l’ensemble.
Au jeu de l’esthétisme, vous avez pu constater que certaines couvertures trouvaient leur prolongement au dos du livre, comme c’est le cas pour chaque album du Scorpion de Marini. Mais à ce jeu-là, la palme revient à François Bourgeon avec Les Compagnons du crépuscule dont la couverture brochée des éditions originales se dépliaient pour former un triptyque !
L’auteur a forcément conscience de ce qui fait le succès de sa série. Et cela passe parfois par la mise en avant celui qui tient le second rôle de l’aventure. Un des exemples les plus frappants concerne Kurdy Malloy qu’Hermann a souvent mis seul à l’honneur sur les couvertures au démarrage de sa série Jérémiah (Tomes 2, 5 et 10).
D’autres auteurs se laissent piéger par la mode du moment. Le premier tome de Siegfried par Alice Alex subit ainsi une forte influence manga, un peu à contre-courant du thème abordé. On est loin de Wagner et plus proche du jeu vidéo Tekken…
L’éditeur quant à lui semble souvent en quête d’originalité. Martin Jamar avait réalisé de très belles couvertures pour l’excellente série Les Voleurs d’empire. Mais voilà, à l’occasion de la sortie du dernier tome, l’éditeur a changé la maquette, modifié le titre de la série et réédité de nouvelles couvertures proposant chaque personnage de face... mais coupé en deux ! Concept qui laisse vraiment perplexe...
On s’interroge également quand Régis Loisel refait ses couvertures de La Quête de l’oiseau du temps. Pourquoi avoir retiré Pélisse du troisième tome, quand celle-ci apparaissait en arrière-plan, captive du Rige ?
Coup dur pour certains quand une erreur se glisse directement dans la couverture. Impossible de ne pas citer la célèbre intégrale de Murena où la mère de Néron compte une main de six doigts !
Pour le tome trois de L’Étoile polaire, Delaby (toujours lui) avait mis en avant les formes généreuses de son personnage féminin tout en oubliant de lui dessiner des mollets et des chevilles correctement proportionnées au reste.
Dans un tout autre genre, les jeunes éditions Vents d’Ouest avaient publié Kane un western très bien dessiné par Celal (illustre inconnu de la BD). Mais, chose surprenante, le cowboy et l’indienne représentés en couverture ne ressemble plus du tout aux personnages de l’histoire. Pourquoi ? Qu’on se rassure, il n’est pas le seul : Alexandre Coutelis avait représenté une jolie fille pour la couverture du tome 1 de Cecil Sander (La Dame de Singapour) que vous ne trouverez nulle part dans le livre.
Mauvaise pioche aussi, quand les sources d’inspirations graphiques sont dévoilées, comme c’est le cas pour cette célèbre et très belle couverture de Blueberry. Le défunt Félix Molinari avait également été obligé de refaire la couverture du tome trois de ses Tigres volants : il avait reproduit telle quelle une célèbre photo d’un kamikaze japonais.
Au rayon des loupés incroyables, il y a la couverture coupée de Godaille et Godasse qui perd tout son sens (Sacré sacre rééditée par Jourdan, les futures éditions Soleil. Sur la couverture, il manque l’élément principal du dessin, là où se tourne le regard des différents protagonistes.
C’est à croire que personne ne regarde vraiment un dessin de couverture... On comprend alors aisément pourquoi les auteurs des Tuniques bleues se permettent un gag discret (directement sur la couverture) en échangeant la dernière lettre de leur nom à l’occasion de la sortie du numéro 29.
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On en arrive enfin aux couvertures trompeuses ! À aucun moment il n’est question de mariage dans le quatrième tome de la série Les Gringos. Jamais dans les pages du Fil qui chante, Lucky Luke ne se retrouve perché en haut d’un poteau télégraphique en flammes. La Piste des sioux représente Blueberry en tenue de civil (ce qui interpelle le lecteur fan) mais en réalité, dans les pages intérieures, il ne quitte jamais son uniforme militaire. Colère rouge (le dernier Largo Winch) tend à nous faire croire que Silky Song est morte. Le tome 5 de Double M (Faux témoin) est une couverture astucieuse mais trompeuse. On fait croire au lecteur que Mirabelle était enfin disposée à épouser le héros.
Cependant, ces éléments anecdotiques ne doivent pas nous faire perdre de vue que la couverture d’un livre est un élément particulier qui permet à l’auteur d’exprimer tout son sens artistique. Pour illustrer ce plaisir, je citerais la couverture particulièrement réussie de Christian Rossi pour le second tome de Tirésias (Voir ci-contre).
Le sujet reste vaste et les exemples ne manquent pas. Il est certain que dorénavant vous saurez vous attarder davantage sur la première de couverture pour contempler le travail de vos auteurs favoris. Terminons avec deux parutions récentes pour un résultat très varié. Le second volet tant attendu de Sasmira qui nous gratifie d’une couverture décevante (plate, très carte postale). Et la reprise de Kid Lucky par Achdé qui nous offre pour le premier tome un bel hommage à Morris !
(par Jean-Sébastien CHABANNES)
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