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Ted Naifeh : "Je préfère le marché français au marché américain"

Par Arnaud Claes (L’Agence BD) le 25 novembre 2006                      Lien  
Le dessinateur américain Ted Naifeh, rencontré au festival Quai des Bulles de Saint-Malo, évoque pour ActuaBD son travail et une carrière de plus en plus tournée vers la France.

Si vos débuts comme auteur de bande dessinée n’ont pas été faciles, votre talent est aujourd’hui largement reconnu : cela vous donne-t-il une plus grande liberté dans le choix de vos projets ?

Je me suis aperçu avec le temps que plus je cherchais à travailler librement, plus j’avais du succès ; en revanche, plus j’essayais de faire ce qu’on me demandait, et moins j’avais de succès… C’est pourquoi mes débuts ont été difficiles : je m’efforçais de dessiner dans le style qu’on attendait de moi, de travailler sur commande, en suivant une voie dont j’espérais qu’elle me réussirait, et il s’est avéré que c’était exactement le contraire.

Ted Naifeh : "Je préfère le marché français au marché américain"
Courtney Crumrin and the Night Things, par Ted Naifeh
(c) Oni Press

Vous utilisez des styles graphiques différents selon les projets : quel est celui qui vous est le plus naturel ?

Je crois que c’est celui de Courtney Crumrin. Je l’ai d’abord élaboré à partir du personnage de Courtney, et puis petit à petit je me suis dirigé vers quelque chose de plus réaliste, plus figuratif, en m’écartant du style très simple de départ – pas de nez, des mains à trois doigts… A partir de ce genre de choses, je me suis laissé porter vers ce qui m’était le plus naturel. Alors que dans d’autres albums, comme Polly et les Pirates, j’essaie vraiment de me retenir de faire quelque chose de trop réaliste, je m’attache à un style plus simple, plus cartoon. Je me demande sans cesse comment rendre le trait plus épuré, moins détaillé et réaliste.

Et vous aimez ce type de travail ?

Beaucoup ! J’adore Polly, j’adore ce défi d’aller vers le trait le plus simple possible. J’ai envie de mettre en chantier plus de projets, et de trouver pour chacun une patte différente, tout en affinant mon style, en le rendant plus simple, plus clair.

Polly et les Pirates, T.3 : Le trésor du roi. Par Ted Naifeh
(c) Les Humanoïdes Associés

Comment est née Polly ?

Eh bien, pour être franc… Je pensais depuis longtemps à faire une histoire de pirates, mais je me disais que ce n’était pas raisonnable car personne n’avait jamais rencontré le succès en essayant de faire revivre ce genre qui avait tout simplement disparu. A chaque fois que quelqu’un tentait de le faire, c’était un désastre – au cinéma, en bande dessinée… Je me disais qu’il n’était pas possible de le ressusciter. Et puis Disney est arrivé et y a parfaitement réussi avec Pirates des Caraïbes ! Ça m’a enthousiasmé, j’ai réalisé que j’avais commis une erreur en ne le faisant pas plus tôt moi-même, et d’une certaine façon ça a été une sorte de feu vert pour profiter de cette popularité retrouvée en sortant mon propre travail.

Quelle impression cela vous fait d’être à Saint-Malo, avec son passé de cité corsaire ?...

J’adore cet endroit ! De façon générale, j’adore l’Europe, en particulier la France. J’ai passé un moment formidable à me promener aux alentours, à me perdre dans cette vieille cité… J’ai l’impression de toucher l’Histoire, de me promener dans un autre monde. C’est certainement ce que tout le monde doit dire, mais vraiment, c’est particulier… Si j’ai un peu de temps – parce qu’on me fait vraiment travailler dur ici ! –, je vais faire une vraie visite, et peut-être me documenter sur la ville. Si ce n’est pas possible cette année, je ferai en sorte de rester une journée de plus l’an prochain. Et peut-être que j’utiliserai cette documentation pour le prochain Polly et les Pirates. La première histoire, en six volumes, est terminée – le coloriste en est au quatrième – mais il y aura finalement deux autres histoires. La deuxième sortira probablement en 2009.

Ted Naifeh en dédicace à Saint-Malo
"They’ve got me working really hard...!"

Vos héros sont souvent des héroïnes, pourquoi ?

Je ne sais pas. (Rire) Je n’en ai aucune idée. Sans doute que si j’en parlais à un psychiatre, je trouverais plein d’explications intéressantes, mais je crois que la réponse la plus simple, c’est que je ne vois pas beaucoup de livres sur des jeunes filles qui me paraissent réussis. Soit ils sont trop ciblés pour un lectorat féminin, soit ils sont écrits de façon complètement inadaptée. J’en vois peu qui mettent en scène de vrais personnages féminins, des personnages forts et aboutis. J’ai donc eu envie de créer des personnages de jeunes femmes qui ne soient pas des hommes dont on aurait juste changé le sexe, mais de vraies femmes avec des préoccupations féminines, dans un univers féminin, avec une sorte de point de vue féminin. Vous allez me demander comment je suis sensé connaître le point de vue d’une femme, mais j’essaie…

Qui sont vos modèles en bande dessinée ?

Sur le plan graphique, j’adore Mike Mignola, ce qui ne vous surprendra pas. Dernièrement je me suis pris de passion pour Claire Wendling, je suis soufflé par son talent. J’aime beaucoup le travail de Dave McKean, un dessinateur anglais qui est très connu en Amérique pour son œuvre peinte, dans un style très graphique et contemporain. Pour ce qui est des scénaristes, j’aime beaucoup Alan Moore, et… Qui d’autre ? En fait, je ne suis plus aussi passionné qu’avant par les scénaristes de bande dessinée. J’adorais Frank Miller, par exemple ! Mais aujourd’hui, je m’intéresse surtout aux auteurs de roman. Ma romancière préférée en ce moment est Susanna Clarke, qui est également anglaise. Elle n’a encore sorti que deux livres, mais elle est déjà très connue, et tout à fait étonnante.

L’une de vos œuvres majeures, How loathsome, n’a pas encore d’éditeur en France, est-ce en projet ?

A ce jour, aucun éditeur n’est intéressé. Je pense que c’est à cause du sujet : le marché pour ce genre de thème est assez réduit en France. Mais j’imagine que ce n’est qu’une question de temps : j’espère devenir très populaire ici. A vrai dire, je préfère le marché français au marché américain : j’ai le sentiment que le public français m’aime bien, qu’il comprend mieux ce que je fais que le public américain, donc si je commence vraiment à avoir du succès, tout ce que j’ai fait sera automatiquement pris par quelqu’un.

Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?

Le prochain est un projet de SF, dans un style très personnel, avec des personnages en forme de ballon… [1] Je vais le publier chez Akileos, et puis nous le traduirons ensuite en américain.

Vous le publiez d’abord en France ? C’est étonnant, le marché est a priori plus restreint !

Pas pour moi ! Parce que je ne fais pas de super-héros, je ne travaille pas pour Marvel ou DC, je ne recherche pas de travaux de commande. Je veux rester un artiste indépendant qui crée son propre matériau, et… il y a un mot aux Etats-Unis pour les artistes indépendants, c’est : obscur. (Rires) A part quelques exceptions, vous n’avez pas votre place aux Etats-Unis si vous ne voulez pas faire de super-héros. Non que je ne les aime pas, j’adore les super-héros ! Mais… Je n’ai pas le sentiment que ce soit la bonne voie, une voie saine pour mon travail. Je n’arrive pas à me creuser la tête pour donner un nouveau souffle à des personnages qui sont là depuis trop longtemps ! Je trouve beaucoup plus facile de développer mes propres idées, de créer mon propre monde, y raconter une histoire, et puis passer au monde suivant et à l’histoire suivante…

Voir en ligne : Le site de Ted Naifeh

(par Arnaud Claes (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

[1Titre provisoire : Xenith.

 
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