L’événement était si considérable que les médias, pendant 24 heures, n’ont parlé que de cela : comme elle le fait avec toutes les cités balnéaires du monde, la Ville de Paris a jumelé son événement avec la ville de Tel Aviv dont la plage accueille chaque année un grand nombre de touristes français et belges, parmi bien d’autres.
Immédiatement des militants pro-palestiniens ont, comme cela était prévisible, sauté sur l’occasion pour dénoncer l’opération, mettant en parallèle la situation de Gaza à la même époque. La mèche est allumée par le Parti de Gauche en la personne de sa représentante au Conseil de Paris Danielle Simonnet qui demande l’annulation pure et simple de « Tel Aviv sur Seine », ou alors « d’en modifier radicalement la programmation » en permettant « des rencontres-débats sur les événements de l’an dernier et la situation actuelle ».
La majorité socialiste du Conseil de Paris l’envoie, cela n’a rien d’étonnant... sur les roses. Tout ce qui compte de voix médiatiques intervient, dans un sens comme dans l’autre, chacun avançant ses arguments.
Finalement, un contre-événement intitulé Gaza-Plage a lieu en même temps, tandis que la plage "israélienne" mobilise 500 policiers pour sa protection. Toute cette agitation a un effet immédiat : elle mobilise les communautés et, par voie de conséquence, « Tel Aviv sur Seine » fait le plein. On ne peut pas dire que la plage d’à côté, organisée à la va-vite, ait eu le même succès.
Et la BD dans tout cela, me direz-vous ? Elle intervient dans le débat puisque le grand Tardi, l’homme qui refusa la Légion d’Honneur, s’est fendu le 11 août 2014 dans L’Humanité d’une tribune intitulée "Mon indignation" assortie d’un dessin montrant la Mairie de Paris avec, devant elle, la Seine où une vedette israélienne fait son chemin parmi les cadavres, un char surplombant le Pont de l’Hôtel de Ville, tandis que patrouille un soldat israélien sous les canons d’un chasseur israélien croisant dans le ciel. En arrière-fond de la berge, le mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie. On ne sait pas trop si c’est un service d’ordre supposé pour protéger la manifestation ou s’il s’agit d’un amalgame d’image destinées à faire le parallèle est fait avec l’été 2014 où l’armée israélienne avait fait l’opération "Bordure protectrice" de représailles, de juillet à août 2014, dans la bande de Gaza.
Dans le texte, Tardi écrit : "Cette commémoration festive des tueries est monstrueuse. On parle de culture, mais ce qu’il y a de culturel à Paris Plages, c’est surtout des recettes de cuisine et des raquettes… Tel-Aviv, ville de la tolérance ? Oui, au sens où elle tolère bien l’apartheid et l’occupation de la Palestine, même si je sais qu’il y a des Israéliens contre la colonisation. Quand au procès en antisémitisme, ça ne marche plus : on a le droit de s’exprimer sur la politique d’un état qui viole chaque jour le droit international. Ces accusations m’indiffèrent. Ce n’est pas le sujet."
Tout le monde n’est pas de cet avis. "L’immondice de Tardi" comme qualifie son dessin l’un des blogs de Mediapart fait s’interroger certains : "Tardi est-il antisémite ?" se demande Victor Perez sur son blog.
Sans aller jusqu’à ces excès, les positions pro-palestiniennes de Tardi sont connues depuis longtemps. En janvier 2014, il avait été un des signataires d’une pétition contre le Festival d’Angoulême accueillant la société israélienne de sodas Sodastream sous prétexte qu’elle aurait une usine implantée en territoire palestinien.
De son côté, le dessinateur israélien Michel Kichka répond dans une tribune à son collègue français : "Tardi et ses obsessions". "Tardi, écrit-il, un des maîtres incontestés de la bande dessinée contemporaine, quand il s’attaque à un thème qu’il connaît et qu’il a vécu à fleur de peau et a étudié de façon presque obsessionnelle, est au sommet de son Art. La guerre de tranchées, la Grande Guerre, celle de 14-18 en est un. Par le vécu de son grand-père, de sa famille entière, de son pays.
Le Stalag qu’a connu son père pendant la deuxième Guerre Mondiale en est un autre. Tardi est hanté par ces deux guerres et leurs horreurs et en a tiré une création sublime et immortelle. L’œuvre de toute sa vie, ou presque."
En ce qui concerne ce dessin, il signale son dépit : "Mais quand il s’attaque à une guerre qui n’est pas la sienne, à un conflit qu’il ne connaît pas assez et qu’il ne comprend pas vraiment et pour lequel il a un parti-pris et une fixation obsessionnelles, il devient un propagandiste tristement semblable à tous les autres. Dommage. Mais cela n’altère en rien l’admiration que je voue à son œuvre depuis ma tendre adolescence où je le découvrais dans les pages de Pilote."
Qui a dit que les auteurs de BD n’avaient pas de conscience politique ? De l’ultra-gauche Tardi à l’animateur très consensuel de Cartooning For Peace Michel Kichka, le débat existe. Si chacun campe sur ses positions, la force médiatique de Tardi donne un net avantage au dessinateur français. A-t-il raison pour autant ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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