Dans une certaine indifférence des grands médias ce peuple d’Afrique se débat au cœur d’affrontements d’une extrême violence. Ces combats féroces opposent les rebelles de la Seleka, (la « coalition » en Sango) une organisation qui rassemble des hommes venus de partis politiques principalement musulmans désireux de chasser le président élu François Bozizé. Une coalition qui compte aussi dans ses troupes des mercenaires tchadiens ou soudanais.
Stoppés en 2012 aux portes de Bangui par les Tchadiens de la force multinationale FOMAC, les rebelles finiront par rejoindre un gouvernement d’union nationale dirigé par Michel Djotodia. Celui-ci dissout la Seleka mais les milices se mettent à piller et massacrer des villages chrétiens à partir de l’été 2013. En face, la résistance s’organise.
Dans cette atmosphère chaotique, Didier Kassaï essaie de survivre, de travailler et de témoigner en décrivant le quotidien d’une population écartelée entre les différentes factions incontrôlées qui multiplient les règlements de compte et les atrocités.
Comme bien souvent, les civils sont les premières victimes d’une guerre civile qui fragilise dangereusement un des pays les plus pauvres du monde. Corruption, abus de pouvoirs des militaires mais aussi des rébellions, exécutions sommaires marquent un affrontement fratricide qui n’en finit pas. Entre luttes et exactions, le pays s’est enfoncé dans un conflit inter-communautaire et interconfessionnel. Une crise dont les raisons apparaissent bien confuses au lecteur occidental.
En choisissant de se placer à hauteur d’homme, l’auteur décrit avec précision et une profonde sensibilité la vie ou plutôt la survie de ses compatriotes au milieu du chaos. Il nous fait entrer dans un monde où la loi de la jungle s’applique aux plus pauvres comme aux quartiers les plus huppés de la capitale. La force de son témoignage tient dans cette capacité à faire le lien entre les soubresauts politiques et militaires d’un pays à la dérive et les problèmes du quotidien : travailler, manger, protéger les siens, pour tout simplement survivre.
A l’aide d’un trait précis, qui n’est pas sans rappeler celui des récits africains du dessinateur Jano, Kassaï mêle habilement gravité et humour. Il parvient à rendre compte d’une réalité terrible avec beaucoup de force et d’authenticité et de rendre lisible, sinon compréhensible dans ses moindres détails, la crise qui traverse son pays. Avec ce roman graphique autobiographique aux allures de reportage à la fois intime et sur le vif des événements, l’auteur nous livre la chronique d’un pays anéanti par des luttes intestines d’une violence implacable.
Déjà auteur de quatre albums, Didier Kassaï s’est d’abord fait connaître par ses aquarelles humoristiques et le dessin de presse dans le quotidien satirique "Le Perroquet". Depuis 1998, il a publié plusieurs ouvrages dont Gypépé le pygmée avec Olivier Bombasaro et Aventures en Centre Afrique aux éditions Les Classique Ivoiriens. Lauréat du Prix Africa e Mediterraneo à Bologne en 2006 avec Azinda et le mariage forcé ainsi que du concours "Vues d’Afrique" à Angoulême avec Bangui la coquette, il publie son premier album solo L’Odyssée de Mongou en 2014 aux éditions l’Harmattan. De larges extraits de Tempête sur Bangui ont été publiés dans la Revue Dessinée.
Saluons au passage l’initiative des éditions La Boîte à Bulles qui, en association avec Amnesty International, proposent avec ce type d’ouvrage des récits puissants souvent hélas inscrits dans une terrible réalité. L’organisation met ainsi à la disposition des auteurs ses ressources documentaires, afin non seulement de les accompagner dans leur démarche créatrice mais aussi pour donner encore plus de crédibilité à leur propos.
Didier Kassaï sera présent ce week-end au BD Boum de Blois dans le cadre d’une rencontre BD d’Afrique.
(par Patrice Gentilhomme)
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© Illustrations Didier Kassaï – La Boite à Bulles - 2015
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