Qu’il est loin, le Jardin d’Eden ! 1600 ans nous séparent de la Chute, le monde que nous découvrons n’est que crasse, violence, brutalité tout autant qu’abrutissement. Et alors qu’un enfant lui urine dessus, un homme se redresse, émergeant de la fosse à purin, couvert d’excréments.
Et pas n’importe quel homme : l’un des tous premiers, Caïn, fils d’Adam et Ève, meurtrier d’Abel, immortel condamné à errer sur Terre pour des siècles, maudit maudissant Dieu en retour de ne pas lui accorder le repos éternel. Et si son physique et ses manières le distinguent parmi les monstres auxquels il se confronte, la sauvagerie dont il fait preuve n’a pas grand chose à leur envier.
On le voit d’emblée : le projet de The Goddamned s’avère tout aussi ambitieux qu’original et périlleux. Il s’agit rien de moins que de peindre un temps mythologique d’une manière aussi moderne que potentiellement irrévérencieuse, un temps où la décadence semble paradoxalement avoir précédé - au point d’empêcher de prendre corps - toute forme de civilisation.
Car cette humanité délibérément primitive ressemble davantage au crépuscule de nos sociétés, comme saisie dans une optique post-apocalyptique, qu’à l’aube radieuse que l’on aurait pu fantasmer. On est en somme plus proche de l’homme à l’état de nature selon Sade que selon Rousseau, d’un homme faisant davantage étalage de sa cruauté que sa bonté.
Dans ce cadre, Caïn évoque tout autant Rahan - un peu, pour nous lecteurs francophones - que Mad Max - surtout. Le décor présenté prend des allures de monde préhistorique, tandis que les embryons de sociétés croisés évoquent immanquablement, par la démesure des déviances et dépravations qui s’y déploient, l’imaginaire de la saga de George Miller.
Cela se confirme lorsque notre anti-héros croise la caravane de Noé, agent de Dieu sur Terre, dont la philosophie, la morale et la pratique religieuse ne manquent pas de poser question. Avec son introduction, l’histoire prend une tournure inattendue et cet "Avant le Déluge" qui donne son titre au volume sonne presque étrangement comme un "Avant la Catastrophe". L’ambivalence s’invite dans un récit qui prend soin d’éviter, justement, tout manichéisme. Cela lui octroie une profondeur qui lui permet de rester sur le fil dans son traitement d’un sujet pourtant compliqué et particulièrement casse-gueule.
The Goddamned nous apparaît ainsi comme l’un des tous meilleurs comics de l’année. Jason Aaron et R.M. Guéra - duo auquel on doit Scalped - réussissent un véritable tour de force en conférant un souffle épique - pour ne pas dire biblique - à une tragédie primitive qui conserve toute son actualité : la rébellion d’un homme contre le divin, celle d’un fils contre la figure paternelle, au sein d’un environnement qui ne peut être appréhendé autrement que comme un chaos absolu Et les nombreuses double-pages qui jalonnent le volume, souvent de vastes et saisissants panorama, confèrent à l’ensemble une dimension grandiose.
C’est juste et puissant, et on en redemande, bien que ce tome 1, par sa structure, propose un récit complet qui se suffit parfaitement à lui-même. D’autant que pour une suite, il faudra sans doute attendre, puisque la série semble en pause depuis un an maintenant.
(par Aurélien Pigeat)
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The Goddamned T1 : "Avant le Déluge". Par Jason Aaron (scénario), R.M. Guéra (dessin), Giulia Brusco (couleur). Traduction Julien Di Giacomo. Urban Comics, collection "Indies". Sortie le 26 mai 2017. 152 pages. 15 euros.
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