C’est une histoire dans l’histoire, racontée par le biais de réinterprétations et de clins d’œil, celle du super-héros la Tortue Verte, The Green Turtle en version originale, créé en 1944 dans la revue Blazing comics, lors de l’Age d’Or des Comics, qui a vu se multiplier en son temps les créations les plus folles, dans l’espoir de trouver un nouveau Superman ou Batman.
C’est dans ce contexte que Chu Hing, dessinateur dont on sait peu de choses, donna naissance à ce personnage de la Tortue Verte, un justicier masqué à la cape verte qui luttait en Chine, alors alliée des États-Unis, contre l’envahisseur japonais.
Arrêté au bout de quelques numéros faute de succès, ce comics, par ses paradoxaux partis-pris, devint au fil des décennies sujet de bien de rumeurs et d’analyses, dont le dossier en fin de l’album constitue un écho des plus étonnants, complété par l’intégralité du numéro 1 original.
En 2014, Gene Luen Yang - auteur d’Americain Born Chinese, Eisner Award du meilleur Graphic Novel en 2007 et celui du meilleur scénariste en 2015 pour ce Shadow Hero - et le dessinateur Sonny Liew se lancent dans le projet de réaliser une mini-série sur la Tortue Verte, personnage relativement obscur mais qui reste néanmoins le plus ancien super-héros chinois connu.
Les deux auteurs conservent uniquement les différents éléments de sa caractérisation et déplacent l’action aux États-Unis, dans un Chinatown peuplé d’immigrés asiatiques, faisant de leur héros un jeune homme de dix-neuf ans, Hawk, aspirant simplement à reprendre l’épicerie familiale.
Sur un ton léger et bon enfant, jouant des codes de super-héros, avec des mafieux souvent plus bêtes que méchants, Gene Luen Yang explore ici le thème du rêve américain, en particulier à travers les deux parents de notre héros, immigrés chinois qui en ont une vision et une attente bien différentes chacun, ainsi qu’évidemment ceux de l’intégration et du racisme.
C’est sans doute la mère du héros qui constitue le personnage le plus touchant, rêvant petite fille d’une Amérique qui l’a profondément déçue pour la vie terne qu’elle lui a offerte, et qui se met à rêver d’autre chose pour son fils... et pourquoi pas devenir un flamboyant super-héros ?
Un beau récit initiatique qui mêle transmission ancestrale et figure traditionnelle, comme celles des quatre animaux gardiens de la Chine, dont la tortue, et le questionnement sur la place de cette génération de Chinois née aux États-Unis qui se cherche entre la répétition du modèle parental et un avenir différent, personnel et libre.
La finesse et la malicieuse écriture de Gene Luen Yang, qui nous avait régalé avec Americain Born Chinese, fait une nouvelle fois merveille ici pour croquer ses attachants personnages, mais qu’on se rassure, The Shadow Hero n‘oublie pas sa dimension de récit super-héroïque et propose au lecteur une délicieuse ambiance rétro, à base de bourre-pifs, de pouvoirs un peu douteux, et de roi de la pègre à faire tomber afin de libérer le quartier chinois du racket.
Une histoire parfaitement équilibrée, drôle et touchante, aux dessins vifs et typiques, qui s’attaque à une page méconnue de l’histoire des comics, qui a tout pour plaire aux amateurs de justiciers en cape et en masque !
(par Guillaume Boutet)
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