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Thierry Bellefroid (K.O. debout à Kinshasa) : "Créer de la fiction est une récréation pour moi"

Par Christian MISSIA DIO le 11 juin 2016                      Lien  
"The Greatest", la légende de la boxe Muhammad Ali nous a quitté le 3 juin dernier à l'âge de 74 ans. Sportif parmi les plus charismatiques du 20e siècle, il a définitivement marqué l'Histoire en regagnant son titre de champion du monde des poids lourds au cours d'un épique combat à Kinshasa au Zaïre (RD Congo) baptisé "The Rumble in the Jungle". À partir de ce fait historique, le journaliste et auteur Thierry Bellefroid avait imaginé un polar funky. Retour sur cette petite histoire tapie derrière la grande.

Comment s’est faite la connexion avec votre dessinateur, Barly Baruti ?

Thierry Bellefroid : On se connaît depuis longtemps. En 2005, j’ai eu l’occasion de faire un voyage à Kinshasa en RD Congo, où j’ai pu voir Barly Baruti dans son milieu naturel, dans l’Espace à Suivre. Comme j’ai beaucoup de souvenirs kinois avec lui, c’était une évidence que nous travaillions ensemble un jour.

Pourtant, l’histoire n’avait pas écrite pour lui. À l’origine, je devais faire K.O. debout à Kinshasa avec un jeune dessinateur qui n’avait jamais publié. Mais cela ne s’est finalement pas fait. Peut-être ne s’est-il pas senti pousser des ailes pour faire ce roman graphique. L’histoire est restée dans mon tiroir un certain temps. Puis, je suis tombé sur Madame Livingstone et je me suis dit : “Bon sang, Barly est toujours dans la course” ! Je pensais qu’il avait complètement abandonné la BD, parce que cela faisait sept ans qu’il n’avait plus publié d’album. Et puis, j’ai beaucoup aimé son travail sur Madame Livingstone. Lorsqu’il a lu mon scénario, il a abandonné tout ce qu’il avait en cours de route car il sentait que cette histoire était faite pour lui.

Thierry Bellefroid (K.O. debout à Kinshasa) : "Créer de la fiction est une récréation pour moi"
Thierry Bellefroid et Barly Baruti en dédicace lors de la Foire du Livre de Bruxelles (édition 2016)
Crédit photo : Barly Baruti

Il y a énormément de choses dans votre scénario car vous mêlez la fiction à la grande histoire. Comment le résumeriez-vous ?

Il est difficile de résumer cet album parce que c’est un puzzle. Est-ce un thriller de politique-fiction ? Oui. Est-ce un récit plus ou moins historique ? Non, mais j’ai tout de même essayé de respecter tout une série de choses.

Je suis parti de mon envie de raconter le choc que pouvait ressentir un jeune black de Harlem qui aurait cru, comme Ali, qu’il pouvait se rendre en Afrique afin d’y retrouver ses racines, sans se poser de questions. C’était un peu le grand leitmotiv d’Ali en acceptant de faire ce combat au Zaïre. Le retour aux racines : “je rentre à la maison” disait-il.

Je me suis mis à la place de mon personnage principal, qui est un petit dealer. Pourquoi irait-il voir ce combat en Afrique ? Cela coûtait beaucoup d’argent de faire un tel voyage. Mais j’ai trouvé une astuce en lui faisant gagner un concours. Donc, il faut camper ce personnage-là. Je lui ai mis pas mal de casseroles au cul afin qu’il ait un sentiment d’urgence, qu’il doive vite se barrer le plus loin possible de New-York. Et il arrive au Zaïre.

Après, il fallait raconter ce qu’était le Zaïre en 1974. Que pouvais-je faire avec ce contexte-là ? Comment peut-on jouer avec tout ça, sachant que Muhammad Ali est américain, qu’il a perdu ses titres de champion du monde à cause de son refus d’aller se battre au Vietnam et qu’il est considéré par la CIA comme un gros communiste qui refuse de servir son pays. Il était perçu par une partie des Américains comme étant un incivique.

Ensuite, j’ai aussi regardé s’il n’y avait pas d’autres éléments historiques intéressants durant cette période-là. Il se trouve que cette année-là, il y a eu la révolution des Œillets le 25 avril à Lisbonne, qui occasionna la chute de Salazar, le dictateur portugais. Ce qui découlera notamment sur la demande d’indépendance des colonies portugaises au mois d’avril. Le combat Ali-Foreman aura lieu le 30 octobre 1974 et Mobutu enverra ses troupes en Angola au printemps de l’année 1975, qui seront battues par les troupes cubaines présentent sur place. Donc, nous sommes en pleine Guerre froide avec cet épisode. Nous sommes aussi à l’époque de la Zaïrianisation - le retour à l’authenticité - dans l’ex-Congo belge. À partir de tout ce melting pot, j’ai pu tisser un véritable récit d’espionnage, doublé d’un récit initiatique, avec les questions du déracinement et de l’identité.

Vous avez particulièrement travaillé les dialogues. Vos personnages ont du bagout, avec cette gouaille qui ne passe pas inaperçue.

Les dialogues sont un hommage à toute une époque, les Seventies, avec ses pantalons patte d’eph’, les cols pelle-à-tarte. C’est également un hommage à la Blaxploitation, le cinéma afro-américain. Il y a la musique Soul aussi. Souvenez-vous lors du combat de Mohammad Ali contre George Foreman à Kinshasa, il y avait un grand festival de musique organisé par Don King.

La BD c’est aussi du dialogue et pour l’écrivain que je suis, les dialogues sont ma matière à pétrir. À travers ceux-ci, j’avais envie de retrouver l’ambiance des films et séries US tels que Starsky & Hutch.

En dehors du métier d’auteur, vous êtes un homme de média bien connu en Belgique francophone, journaliste à la RTBF. Tous les journalistes n’embrassent pas forcément le métier d’auteur de romans ou de scénariste BD. Que vous apporte l’écriture ? Est-ce un besoin pour vous ?

Oui, c’est un besoin que j’ai depuis toujours. J’ai commencé à écrire à l’âge de 14 ans en imaginant des pièces de théâtre, bien avant de penser que je deviendrais un jour journaliste. Cela fait environ quinze ans que je publie des romans. J’ai aussi écrit des nouvelles. La fiction s’est mon mode d’évasion. Certains ont besoin de la consommer, ce qui est aussi mon cas. J’en consomme beaucoup pour mon travail puisque je dois lire du roman et de la BD à longueur de journée. Par contre le soir, pour me détendre, j’écris, car j’ai envie de créer de la fiction. La récréation pour moi, ce n’est pas la consommation mais plutôt la création.

N’est-ce pas une attitude un peu schizophrène ? comment arrive-t-on à trouver son style d’écriture en étant à la fois juge et partie ?

On arrive à trouver son style en étant soi-même. En faisant les choses qui nous font vraiment envie, mais pas dans le but d’écrire le prochain bestseller mais pour se faire plaisir. En créant, j’ai envie d’être dans un rapport au monde qui est différent. Au-delà de ça, je pense que la schizophrénie est en chacun de nous. Nous faisons tous des choses qui apparaissent opposées, contradictoires et la plupart des gens vivent bien avec cela. En tout cas moi, je n’ai aucun problème à être auteur et journaliste. La seule chose c’est qu’avant d’écrire K.O. debout, je ne m’étais jamais autorisé à écrire une fiction qui serait trop proche de mon métier de journaliste. Parfois, il m’arrivait d’inclure quelques faits historiques, c’était le cas avec Féroces tropiques, la BD que j’ai faite avec Joe G. Pinelli. Mais là encore, il n’y avait pas d’approche journalistique dans le fait d’inclure des éléments de l’Histoire. Dans KO debout à Kinshasa par contre, le côté journalistique est plus poussé car j’ai réalisé un gros travail de recherches, ce que je ne m’étais jamais autorisé avant car je trouvais cela délicat. J’estimais que la frontière était éthiquement difficile à défendre. Ce que j’ai essayé de faire pour m’en sortir c’est de ne pas reprendre telles quelles des phrases prononcées par mes protagonistes. Je me suis approprié leur langage, leur manière de s’exprimer - Muhammad Ali parlait comme ceci, Mobutu s’exprimait plutôt comme cela - afin de pouvoir ensuite créer du fictif. J’ai fait cela pour ne pas mélanger la fiction et la réalité.

Barly Baruti, dans son atelier en banlieue bruxelloise
Crédit photo : Christian Missia Dio

Pour certains, la BD est un art mineur, un mauvais genre, pour reprendre la formule d’une rubrique de votre émission Livrés à domicile. La BD doit-elle absolument être intello pour être respectée comme un art majeur ?

Pas du tout ! Par exemple, je suis un grand fan de Bertschy. J’adore son humour, sa technique pour créer un gag hilarant en un strip. C’est extrêmement difficile de faire rire en 2-3 cases !

Je ne suis pas uniquement cérébral lorsque je lis. Après, une fois que j’ai terminé ma lecture, je peux faire de la critique, une l’analyse de l’œuvre afin de savoir si elle est bien écrite ou de déceler les éléments qui m’ont plu ou déplu. Mais je ne suis pas dans une démarche d’attribution de bons et de mauvais points. Je suis plus dans la démarche d’aider les gens à trouver des œuvres qui pourront leur plaire. Je me considère plus comme un passeur qu’un critique. Je fais d’ailleurs plus de critiques positives que des négatives parce que j’aime partager mon enthousiasme pour une œuvre. Je fais également quelques mauvaises critiques, parce que sinon je donne l’impression que j’aime tout. Mais le public doit aussi se rendre compte que dans tout ce que nous lisons, il y a beaucoup de choses que nous mettons de côté, dont nous ne parlons pas parce qu’elles ne sont pas au niveau.

Vous avez cité la rubrique Mauvais genres de mon émission, qui est animée par Michel Dufranne, mais il faut savoir que j’ai insisté pour qu’il y ait cette rubrique. D’ailleurs, je considère Michel comme le second animateur de l’émission, car il est le seul chroniqueur à être permanent.

Il était important que, dans une émission littéraire, on parle de polar, de science-fiction ou d’Heroic Fantasy. Ce sont des genres très intéressants et qui donnent beaucoup de plaisir aux gens. Elles nous apprennent aussi beaucoup de choses sur nous-mêmes. Regardez, par exemple, la manière dont le polar parle de la société. Certains auteurs de BD qui font du noir, par exemple Tardi, sont les meilleurs sociologues de la BD. pour moi, il n’y a pas de mauvais genre...

Propos recueillis par Christian Missia Dio

K.O. debout à Kinshasa
Thierry Bellefroid & Barly Baruti (c) Glénat

Voir en ligne : Découvrez K.O. debout à Kinshasa sur le site des éditions Glénat

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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