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Thierry Gloris & Cyrielle 2/2 : « Il faut rester français dans sa culture. Par contre, les codes japonais sont très bons. »

Par Florian Rubis le 12 août 2010                      Lien  
[Comme expliqué précédemment->10615], dans {Tokyo Home} (Kana) de Cyrielle et Thierry Gloris, le scénariste s’est inspiré du métissage asiatique, présent dans sa famille, pour faire l’éloge de la différence, dans cet album dédicacé à sa fille. Plus connu pour ses séries historiques ou teintées de fantastique, il s’ouvre à nous de l’avantage qu’il trouve à pratiquer le syncrétisme. S’appuyer, d’abord, sur ses profondes racines franco-belges ne l’empêche pas de s’inspirer à l’occasion du travail des {mangakas}…
Thierry Gloris & Cyrielle 2/2 : « Il faut rester français dans sa culture. Par contre, les codes japonais sont très bons. »
Thierry Gloris (portrait)
© Florian Rubis, 2010

Votre album vise-t-il à combler un manque dans la bande dessinée jeunesse pour filles, pas forcément très développée dans le franco-belge ?

C : Il n’y a pas vraiment de BD dans le franco-belge qui s’adresse aux filles de 10 ans.

TG : Si, il y en a une : Lou ! [de Julien Neel, Glénat, 2004, N.D.A] !... Quelque part, c’est la grande sœur de Julie, notre héroïne. Je suis un fan absolu de cette série franco-belge. J’ai d’ailleurs acheté le premier tome à ma fille et je trouve ça extraordinaire ! J’y ai constaté que l’on pouvait, justement, faire quelque chose d’intelligent pour les filles. Mais un garçon peut s’y intéresser, ainsi que ses parents. Notre album s’adresse en priorité à des filles, jeunes, de 10 à 16 ans, comme la mienne. Et, après, le but du jeu consiste, une fois qu’il a été lu par les gamines, à le laisser traîner, pour que leurs mères de 35-40 ans passent derrière et commencent à le lire. C’est pour cela qu’il comporte des références qui sont les miennes…

Thierry, vous êtes quand même plus connu pour vos récits historiques ou teintés de fantastique. Ne touchons-nous pas là à un registre bien différent, quand il lorgne du côté du shôjo ?

TG : De toute façon, moi, j’ai fait un album jeunesse… Rien d’autre ! Après, le format de 200 planches induit une narration différente. Et ça, j’en suis de plus en plus persuadé… Par exemple, le « super déformé » [le Chibi (« Petit »), S.-D. ou Super-Deformed  : style de personnages de petite taille à grosse tête utilisé parfois par les mangaka dans certains passages de leurs bandes dessinées, caricaturant leurs propres personnages, N.D.A.] qui est employé assez facilement par les Japonais, ça passe bien en 250 pages. Car, en fait, c’est une page sur 250 et la personne qui va les lire ne va pas voir le dessin, mais plutôt le sentiment qui va être donné par ce « super déformé »… Parce qu’il y a 250 pages, on peut donc aller plus loin. Elle va juste retenir le sentiment. Alors que sur un 46 CC, quand on en fait, on s’attend plutôt à ce que tout soit dans le même style… Le nombre de pages permet pas mal d’expérimentations gratuites, pas mal de jeux.

Et je pense que les mangaka qui ont travaillé sur la question ont développé ça en se permettant pas mal de choses. Car, finalement, ce qui reste, c’est l’impression, le sentiment retransmis là-dedans. Le but du jeu consiste à retransmettre ce sentiment par les moyens les plus efficaces. Même si c’est en grossissant le trait. Alors que le franco-belge va plus se situer dans la subtilité et dans le ressenti au niveau du dessin. Mais je pense que c’est vraiment culturel. Cette différence de perception est liée au format. En l’ayant testé, je me dis qu’avec 250 pages on peut vraiment faire plein de choses !

Les amoureux de Julie
© Cyrielle & Kana, 2010

Cela permet-il, par exemple, de développer les personnages et leur psychologie, éventuellement davantage qu’avec le 46 CC ?

TG : Là, je ne suis pas d’accord ! Avec un 46 CC, on peut développer, différemment. Avec une culture disons franco-belge, ce sera moins explicite, plus implicite. Il y aura plus de choses qui vont passer entre les cases. Chacun son style !

Oui, nous étions sur la même longueur d’onde en fait. Car je pensais néanmoins et notamment à la possibilité de jouer sur l’utilisation de l’ellipse...

TG : Effectivement… Une autre utilisation… Le 46 CC permet des choses. En revanche, au niveau culturel, des gamins qui n’ont lu que des mangas, en passant au 46 CC, il va sûrement leur manquer quelque chose. Parce que leur œil n’est pas habitué à lire entre les cases. Car ils ont lu du manga, tout simplement ! Après, c’est un choix. Mais, moi, je ne renie absolument pas le 46 CC. On peut tout faire avec ! C’est juste, qu’après, le lecteur n’est pas forcément prêt à l’interpréter.

Quelles sont vos lectures concernant le manga ?

TG : Pour être très honnête, ma culture manga est relativement limitée. Bon, du fait de mon travail de scénariste BD, je connais grosso modo tout ce qui sort, mais je butine…. Moi, ma culture manga, ce sont Dragon Ball, Akira et ce qui est arrivé derrière dans la bande dessinée adulte. Mais finalement, Akira m’a servi pour le franco-belge. Après, c’est du Taniguchi, ce sont des auteurs plus adultes, plus seinen. Voilà, je ne suis pas un gros amateur de mangas.

Par contre, à la maison, j’en ai ! Ma fille, c’est son truc ! Là, si je ne reviens pas de Japan Expo avec quelques mangas, en demandant à quelqu’un de me conseiller sur ce qu’il faut prendre, je vais me faire « incendier ». Parce que c’est sa culture…

Mais il faut mélanger les genres : manga, franco-belge et autres. Avec le « manfra » ou je ne sais quoi, ce qui me gêne, c’est qu’il ne faut pas perdre sa personnalité. Des auteurs francophones peuvent faire de la narration en 250 pages, en noir et blanc, ce que l’on fait. Mais il faut rester français dans sa culture. Par contre, les codes japonais sont très bons. Leur travail et leur système narratif sont excellents. Il faut comprendre comment ils fonctionnent et, après, y mettre notre richesse culturelle dedans.

Les chats très kawaii de « Tokyo Home »…
© Cyrielle & Kana, 2010

Quant à vous, Cyrielle, quelles sont les références que vous souhaitez mettre en avant à ce sujet ?

C : J’ai commencé à lire du manga à 9 ans, quand il y avait très peu de séries publiées en français. Le tout premier acheté fut Sailor Moon [de Naoko Takeuchi, Kôdansha, 1992-1997, puis Glénat, 1995-1998, N.D.A.]. Parce que le dessin était assez incroyable, je trouve. Enfin, il y avait une BD qui, pour moi, s’adressait aux filles. Donc, c’était super ! Après, j’ai continué avec Ranma 1/2 [ de Rumiko Takahashi, Shôgakukan, 1987-1994, puis Glénat, à partir de 1994 , N.D.A.], version papier. Un auteur de shôjo que j’aime beaucoup, c’est Yû Watase, qui a fait Fushigi Yûgi [Shôgakukan, 1992-1996, N.D.A]. C’est un de mes bouquins cultes. Après, j’ai continué avec les classiques. Aujourd’hui, même si j’en lis beaucoup moins, ceux avec lesquels j’ai continué ne sont pas tous sortis en France. Mais il y en a un que j’adore particulièrement. Ce n’est pas du tout du jeunesse, c’est en fait une histoire sur le thème de l’inceste : Koi Kaze [de Motoi Yoshida, Kôdansha, 2001-2004, N.D.A]. Dans les choses que l’on ne trouve pas dans les librairies en France, où cela reste très commercial et c’est un peu dommage, il y a de vraies merveilles !

Exemple de « fiche technique » dans « Tokyo Home » (p. 137)
© Thierry Gloris, Cyrielle & Kana, 2010

Pour finir, disons un mot des « fiches techniques » qui parsèment votre bande dessinée, initiant à divers aspects de la culture japonaise. De qui découle cette idée ?

C : Là, c’est moi en fait. Là-dessus, les fiches techniques, Thierry m’a laissé carte blanche. J’y suis allée avec grand plaisir. J’ai essayé de tisser une relation avec ce qui était dit dans la BD. Après, c’est vrai que le format a changé. Parce que nous devions partir sur trois tomes, réunis finalement en un seul. Donc, on a voulu faire un bouquin un peu plus sympa. Un beau bouquin. C’est vrai que de rajouter ces pages culturelles, nous trouvions ça assez intéressant et nous savions que ça toucherait aussi le public qui était visé.

Leur rédaction vient-elle de vous ou de Thierry ?

C : Oui, là c’est moi ! Tu es d’accord ? [Rires, en se tournant vers Thierry Gloris.] Leur rédaction, c’est moi.

J’ai cru dans un premier temps que cela pouvait provenir de Thierry, amateur de franco-belge, à la manière, par exemple, de ces fameuses cases de précisions techniques sur l’aviation de Jean-Michel Charlier dans Buck Danny ?

C : Non, non. C’est moi. [Rires.]

TG : De toute façon, j’ai regardé un peu ce que lisait ma fille. Dans tous ces récits, tous ces magazines, il y a souvent, entre guillemets, la « fiche cuisine » et ce genre de choses. Pour les filles, on trouve souvent la fiche machin, la fiche truc. Et je sais qu’elle les lit, que ça l’intéresse et que ça l’interpelle. Souvent, même, elle va chercher plus loin après, notamment sur Internet. Et, ce bouquin, vu qu’il n’allait y en avoir qu’un, je me suis dit :

« Autant faire un beau livre et se « décarcasser ! » Et comme j’avais quelqu’un qui avait les connaissances à mes côtés. Je lui ai dit : « Est-ce que tu crois qu’on peut le faire ? Ça pourrait être intéressant ?!? » Tout de suite, elle a sauté sur l’occasion, en répondant :« Bien sûr, on va le faire ! »

(par Florian Rubis)

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Code EAN :

En médaillon : Tokyo Home (couverture) © Thierry Gloris, Cyrielle & Kana, 2010.

Tokyo Home – Par Thierry Gloris & Cyrielle – Kana – 221 pages, 15 euros

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