C’est un allié de poids pour Bienvenu Mbutu Mondondo qui avait porté plainte, depuis près de trois ans maintenant, contre Tintin au Congo pour « racisme ». Rejoint récemment par M. Yves Okata, conseiller honoraire du Ministère congolais des affaires étrangères, le plaignant congolais avait obtenu en référé la fixation d’un procès qui débute réellement aujourd’hui.
« L’affaire Tintin au Congo » aura au moins eu un avantage pour les Belges : celle d’interroger l’image qu’ils ont aujourd’hui des Congolais et de la confronter avec leurs lectures d’enfances. Tintin au Congo montre en effet les Congolais comme des « grands enfants », sympathiques mais passablement paresseux, pétris de superstitions, et dans la nécessité absolue de recevoir les lumières de la Civilisation.
Représentatif d’un ordre colonial
C’est un pur produit du colonialisme. Publié au début des années trente dans Le Petit Vingtième, un journal qu’Hergé qualifia lui-même publiquement de « catholique, donc d’extrême-droite » [1] [Sic], Tintin au Congo était une commande du supplément jeunesse de ce quotidien populaire dont les intentions étaient claires : il s’agissait de donner aux enfants, les futurs cadres de la colonie belge, une image aventureuse et donc attirante du Congo dont les fondamentaux coloniaux étaient alors montrés avec application : La domination belge sur des autochtones asservis, un ordre jésuite qui régissait l’éducation et des ennemis étrangers plus ou moins clairement identifiés.
La plainte de Monsieur Mbutu Mondondondo apparaît rétrospectivement comme s’inscrivant dans un calendrier bien réglé : 2010 célèbre l’indépendance de l’état congolais survenu en 1960. Dans quelques jours, SM le roi des Belges Albert II assistera d’ailleurs aux cérémonies de cette célébration. Par ailleurs, en 2011, le premier des films de Spielberg & Jackson arriveront sur les écrans mondiaux.
Un nouvel allié de poids pour les plaignants
Le procès a lieu aujourd’hui et il est probable que la première audience se soldera par une bataille de procédures, les plaignants exigeant des éclaircissement sur les relations entre Moulinsart et Casterman, ces derniers demandant au tribunal une caution afin de se garantir d’un dédommagement au cas où les plaignants viendraient à perdre le procès et à devoir régler les frais de procédure.
Mais un nouvel allié de poids vient d’intervenir dans l’affaire : l’ambassadeur de la République Démocratique du Congo, S.E. Henri Mova Sakanyi. Il y a environ 40.000 Congolais qui résident en Belgique et le réseau d’intérêt entre les deux pays est important. Aussi, quand le représentant de ce pays de 67 millions d’habitants porte la voix, il est en général écouté.
Or, dans une interview récemment passée sur Télé-Bruxelles, nous avons pu assister au dialogue suivant :
LE JOURNALISTE : « Question vache : avez-vous « Tintin au Congo » dans votre bibliothèque ? »
L’AMBASSADEUR : « Malheureusement, oui. »
LE JOURNALISTE : « Pourquoi malheureusement, oui ? »
L’AMBASSADEUR : « Parce qu’il y a des passages qui n’honorent pas le Noir, le Congolais… »
[…]
LE JOURNALISTE : « Que pensez-vous des Congolais […] qui réclament des mesures d’avertissement pour le lecteur, voire de les retirer des librairies ? »
L’AMBASSADEUR : « Je crois que la chose étant déjà posée, l’avertissement serait peut-être le moindre mal, sans nécessairement changer [le contenu de l’ouvrage]. Nous ne devons pas juger une période passée, c’est 1930, quand même, avec des arguments nouveaux. Ce serait trop facile pour nous qui avons connu une évolution. Mais, il faut peut-être recontextualiser cette production qui relève de notre culture, belge et congolaise.[…] Il y a un caractère plus ou moins pernicieux, injurieux. Nous l’avons vécu comme cela. On a présenté le Congolais comme paresseux, incapable, ne pouvant pas parler normalement le français, et ainsi de suite. Toutes ces images négatives doivent être relativisées ou remises dans le contexte pour qu’il y ait une lecture plus ou moins saine. »
Il ne fait aucun doute que la parole de l’ambassadeur pèsera à son tour sur le débat judiciaire en cours.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Face à Bernard Pivot en 1973.
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