« Tintin et la ville » : quand la BD et l’architecture sont de mèche.

L’exposition, organisée par l’atelier d’édition Millefeuilles à Bruxelles démarre au rez-de-chaussée des Halles, au milieu de sacs de sables et d’images qui évoquent le quai d’embarquement d’un port. Celui de Bruxelles, d’Anvers, de Saint-Nazaire ? Qu’importe ! En route pour l’aventure !

D’entrée une suite de panneaux didactiques (en français et en néerlandais) accompagne l’expo. Le visiteur est pris par la main et ne risque pas de se perdre. Un premier couloir aboutit à la table de travail d’Hergé. Il y a là ses lunettes, une planche crayonnée... Nous sommes dans l’univers de l’artiste. Avec ses cases qui, comme le dit François Schuiten dans la préface du catalogue, sont pour le lecteur, « comme des fenêtres ». « L’ensemble de la maison ou de l’immeuble devient alors la page d’un livre, à l’image de James Steward dans ‘Fenêtres sur Cour’ d’Alfred Hitchcock qui, observant la façade d’en face, glissait d’une fenêtre à l’autre pour suivre l’action.  » Cet objet est aussi la première rencontre avec le sujet : la table du dessinateur est une table d’architecte. Plus loin, une télévision rassemble quelques extraits d’interviews d’Hergé. Aussitôt, l’accent du dessinateur nous rappelle que ce regard jeté sur la réalité architecturale de Tintin ne saurait s’envisager sans ce rappel : Tintin est bruxellois. Beaucoup de détails le rappellent, dès le premier album qui se termine à la Gare du Nord de Bruxelles, un bâtiment aujourd’hui disparu.

"Hergé triche tout le temps"

Le premier étage est un parcours de maquettes, la société à l’origine des modèles de voitures de Tintin pour la collection Atlas y a contribué. Son animateur, Andy Jacobs, par ailleurs professeur à l’école d’art de La Cambre, passe obligatoirement par une première étape qui est la modélisation de la maquette en 3D sur un ordinateur. « Au début, nous raconte l’organisateur de l’exposition Philippe Demoulin, la Fondation Hergé nous avait dit : « - Restez strictement fidèles aux dessins d’Hergé. » En fait, on a dû les rappeler : Hergé triche tout le temps : sur les proportions, sur la perspective... Il était impossible de faire une restitution fidèle. Il a fallu transposer !  ». C’est donc grâce à cette démarche créative que l’on peut voir derrière le grand escalier de Moulinsart, une autre volée qui mène aux caves du château. Chacune des restitutions est faite avec une minutie d’architecte, mais aussi de tintinophile. Un exemple : cette maquette de Georges Pradès, journaliste retraité ancienne gloire de la RTB, qui s’est appliqué à restituer la maison de Didi dans Le Lotus Bleu (celui qui veut montrer les voies de la sagesse en raccourcissant la tête de Milou). Par souci de réalisme, la maquette est dans la pénombre. Mais en y mettant la lumière, on distingue les légères traces de pas laissées par Tintin dans le jardin. Un travail de fou !

L’appartement de Tintin

au 26 rue du Labrador à Bruxelles est restitué en modèle réduit. Photo : DR.

Visionnaire.

Après avoir regardé ces maquettes dans les moindres détails (appuyés sur les albums mais aussi sur la documentation de l’artiste) et lu les textes des panneaux signés par d’éminents spécialistes (ils sont repris dans le catalogue), on s’arrête songeur sur cette image de New-York issue de la première version de L’Affaire Tournesol : celle, prémonitoire, de la destruction de la ville simulée sur un écran de télévision. Elle souligne à quel point Hergé n’était pas seulement un formidable intercesseur dans la compréhension du réel, mais aussi un visionnaire.