On se souvient de ce feuilleton qui court maintenant depuis quatre ans. Un citoyen congolais habitant la Belgique, M. Bienvenu Mbutu Mondondo a porté plainte contre Tintin au Congo pour « racisme » : « …la loi du 30 juillet 1981 prohibe les propos racistes ou les atteintes portées à une frange de la population, on se réfère à l’article 444 du Code pénal. Cet article concerne l’atteinte à l’honneur des personnes. Cet album est diffamatoire, d’autant plus qu’il n’y a pas de bande dessinée aussi célèbre que Tintin au Congo. Même à Kinshasa, on vend des sculptures représentant Tintin. C’est entré dans notre culture. Si l’on fait le lien avec l’article 448 qui englobe tout cela, on peut faire interdire cette bande dessinée » nous déclarait-il dans un entretien accordé à ActuaBD en août 2007.
Un sujet "touchy" pour les Belges
Embêté par un sujet particulièrement crispant pour les Belges, le parquet de Bruxelles va mettre deux ans à instruire l’affaire, un délai ponctué de « sit-ins » et de conférences de presse de M. Mbutu que d’aucuns regardent d’un air méprisant, s’interrogeant sur les motivations de cet « étudiant » de 37 ans qui tenterait de se faire une notoriété à bon compte sur le dos d’une star internationale dont Spielberg lui-même s’apprête à faire un film…
Mais notre citoyen congolais s’accroche et, après avoir été rejoint dans sa plainte par Patrick Lozès et le Conseil Représentatif des Associations Noires de France (CRAN) en septembre 2009, l’affaire arrive devant un tribunal en décembre 2009. Casterman et Moulinsart entament alors une longue guerre d’usure multipliant les actes de procédure.
En février 2010, à l’occasion du cinquantenaire de la décolonisation du Congo, le plaignant, combattif et opportuniste, écrit encore au roi des Belges lui faisant part de son action contre un album qu’il considère « comme un mauvais souvenir des comportements des gens d’une certaine époque qui nous considéraient comme des êtres inférieurs. »
Cette bataille médiatique est définitivement gagnée par les plaignants lorsque, également sollicité par le CRAN, M. Frédéric Mitterrand, ministre français de la culture, répond à une question posée à l’Assemblée Nationale à propos de cet album, appelant « à ne pas banaliser la censure », tandis que la question prend un grande dimension publique lorsque Michel Piccoli accable Tintin et Hergé dans une émission de télévision.
Bataille de procédure
En avril 2010, devant la lenteur de la procédure, M. Mbutu saisit cette fois le Tribunal des référés. En mai 2010, l’ambassadeur de la République Démocratique du Congo demande l’insertion d’un « avertissement ». En juillet 2010, Daniel Couvreur, notre confrère du « Soir de Bruxelles » écrit un plaidoyer en faveur d’Hergé intitulé « Tintin au Congo de Papa » relativisant la portée « raciste » de l’ouvrage en citant cette réflexion publié par la revue Zaïre, le 29 décembre 1969 à propos de l’absence de Tintin au Congo prudemment retiré des librairies dans les années soixante, : « Il y a une chose que les Blancs qui avaient arrêté la circulation de Tintin au Congo n’ont pas comprise. […] Si certaines images caricaturales du peuple congolais […] font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc qui les voyait comme cela ! »
Retiré, comme on le voit, pendant plusieurs années des librairies, l’album a du reste toujours posé problème : il ne figure pas non plus parmi les épisodes de Tintin adaptés en dessins animés par exemple. Ce n’est donc pas un Tintin comme les autres…
L’affaire s’enlise autour de trois questions :
Le Tribunal pénal est-il compétent pour aborder cette question qui semble relever plutôt du Tribunal de Commerce « puisque l’acte litigieux est à caractère commercial » selon Moulinsart et Casterman.
En réponse, la partie plaignante réclame la copie des contrats entre Moulinsart et Casterman pour connaître précisément qui est le responsable de la diffusion de cet album, l’éditeur ou l’ayant-droit qui tiendrait celui-ci sous le boisseau d’obligations contractuelles précises ? Casterman et Moulinsart refusent catégoriquement de produire ces contrats en raison du secret commercial.
Accessoirement, M. Mbutu n’étant pas belge, il lui est demandé une caution pour couvrir les éventuels frais de procédure au cas où celle-ci s’avèrerait abusive.
Une décision surprenante
Le vendredi 18 mars 2011, vent mauvais pour M. Mbutu et le CRAN : Le Procureur du roi, à savoir le Ministère public, représentant les intérêts de l’État belge, recommande au Tribunal de ne pas suivre les demandes des plaignants : Il déclare le Tribunal de commerce compétent et considère que Moulinsart et Casterman n’ont pas à produire le contrat qui les lie. Entre-temps, la question de la caution demandée à M. Mbutu est abandonnée, Moulinsart et Casterman ayant été déboutés de cette demande le 21 juin 2010.
Et puis là, coup de théâtre, hier le 5 avril 2011, contrairement aux réquisitions du Procureur du roi, le Tribunal de Première instance fait un jugement favorable aux plaignants :
Le Tribunal reconnaît sa compétence
Quant à Casterman et Moulinsart, c’est à eux de faire la preuve qu’ils n’ont pas partie liée à cette affaire
« Monsieur Mbutu et le CRAN ne sont pas des commerçants, nous explique Maître Ahmed L’Edhim, le code judiciaire leur permet de saisir soit le Tribunal de Commerce, soit le Tribunal de 1ère Instance. Ils ont fait ce dernier choix. La présidence du Tribunal s’est déclarée compétente contre l’avis rendu par le Procureur du Roi. »
« Concernant la production des documents, Moulinsart soutenait qu’il n’aurait pas du être cité et à ce titre réclame des dommages et intérêts, nous explique l’autre avocat des plaignants, Maître Alain Anici. Le Tribunal a jugé qu’il appartenait à Moulinsart de produire les pièces qui prouvaient qu’il n’avait pas à être saisi devant le tribunal, comme nous l’avons développé à l’audience du 18 Mars 2011. […] Les contrats d’exploitation permettront de déterminer quel est le pouvoir de chacune des parties. »
Vers l’interdiction ?
Maître Anici résume ainsi la procédure en cours : « Nous demandons à titre principal l’interdiction de la bande dessinée Tintin au Congo sous quelque forme que ce soit sauf si ces conditions sont remplies 1/ Insérer une préface expliquant le contexte colonial et historique de l’époque de la conception de cet album, 2/ Un avertissement sur le fait que des personnages y tiennent des propos racistes, ce que nos clients soutiennent depuis le début. »
Le 18 avril prochain, un calendrier des conclusions va être acté, soit de commun accord, soit sur décision du Tribunal. Cela fait, le Tribunal fixera la date des plaidoiries « pour enfin parler du fond du dossier » conclut Me Anici.
Quant à Me L’Hedim, il rappelle la portée du combat de Bienvenu Mbutu Mondondo, très satisfait de la décision : « C’est un combat symbolique et moral très important à ses yeux, à l’image du combat de David contre Goliath. Nous sommes dans un état de droit et, manifestement, le droit est de notre côté. Il s’applique sans distinction des faibles et des puissants. »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Participez à la discussion