LeMan, c’est le "Charlie Hebdo turc" qui d’ailleurs avait publié en commun un numéro avec le magazine satirique français en 2002. Il avait été créé en 1992 par des anciens membres des magazines satiriques précédents Gırgır et Limon, par Tuncay Akgün et Mehmet Çağçağ. Il devient rapidement l’un des magazines politiques les plus influents de Turquie. Le groupe publie d’autres journaux : Bayan Yani, seul journal de bande dessinée réalisé uniquement par des femmes, ou encore le mensuel L-Manyak (Manyak veut dire "obsédé" en turc) où le discours sur le sexe, la liberté de conscience et d’expression sont les maîtres-mots de la ligne éditoriale du journal.
On mentionnera dans ses faits d’armes la publication du journal Harakiri, un mensuel du groupe LeMan édité en hommage à la revue de Cavanna et du Professeur Choron, qui n’a paru que le temps de trois numéros, interdit par la censure turque pour "obscénité", parce qu’il invitait le lecteur à avoir "des liaisons extra-conjugales" ou encore parce qu’il incitait le peuple turc à "la paresse et à l’aventurisme".
Au moment de l’attentat contre Charlie Hebdo, LeMan marqua sa solidarité en publiant un numéro jumelé où Wolinski, un ami de longue date du journal, figurait en Une de couverture, tandis que la semaine de l’attentat, les trois grands journaux satiriques turcs (LeMan, Penguen, Uykusuz) affichaient en Une, en Français dans le texte, "Je Suis Charlie", un acte de courage inouï dans ce pays majoritairement islamo-conservateur. Nous n’avions d’ailleurs pas manqué de le signaler dans nos pages.
Un "spécial Coup d’état"
LeMan devait publier cette semaine un numéro "spécial coup d’état" dans la journée d’hier .Sur son compte Twitter, le journal en affichait fièrement la couverture (que nous reproduisons ici).
Mais sa diffusion a été bloquée par la police stambouliote, indiquant que c’est désormais toute la presse qui subit la répression du pouvoir. C’est évidemment un coup très dur porté au journal dont la santé financière, comme c’est le cas pour la plupart de ces autres journaux satiriques régulièrement traînés en justice par le pouvoir, déclinait ces derniers temps.
La tradition de la caricature est très ancienne en Turquie. Dès la fin du XIXe siècle, elle est en butte avec le pouvoir, les éditeurs se trouvant emprisonnés, exilés et leurs titres interdits.
Face à une situation qui ressemble de plus en plus à une prise de pouvoir dictatoriale suscitant l’inquiétude de bon nombre de chancelleries occidentales, il semble bien que la liberté d’expression en Turquie roule en marche-arrière.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion