Il s’agit de Richard Malka, avocat le jour et scénariste de BD la nuit (quand dort-il ?). Il est un des grands avocats de la place de Paris spécialisé dans le droit de la presse. A ce titre, il est le plaideur favori de Charlie Hebdo et compte à son actif quelques victoires retentissantes, notamment récemment dans l’Affaire des caricatures de Mahomet. Il est aussi, quel grand écart !, l’avocat de la société luxembourgeoise Clearstream, cette chambre de compensation financière dont les listings baladeurs et maquillés comme des camions occupent l’actualité ces dernières semaines, au point de faire trembler un Premier Ministre.
Quel rapport entre Clearstream et Charlie Hebdo ? Le droit de la presse, tout simplement. Clearstream s’est senti souillée par les écrits qui la mettaient en cause. Elle a donc cherché un avocat pour se défendre et a choisi Richard Malka qui est effectivement un expert en la matière. Pour des raisons d’équité et de justice, l’avocat se doit de défendre le client qui se présente à lui car c’est, dit Cicéron, « ce que veut la foule, ce que tolère la coutume, ce qu’implique même l’humanité ». Au reste, Clearstream dont les listings sont manipulés pour des raisons encore occultes est clairement aujourd’hui, jusqu’à preuve du contraire, une victime dans cette affaire.
Un scénariste de talent
Toujours est-il que bien avant cette actualité, le scénariste Malka s’était fait un petit nom dans le monde de la bande dessinée. Sa série L’Ordre de Cicéron remporte un beau succès qui est illustré par un des doyens de la profession, l’immense Paul Gillon (80 ans en mai 2006, bon anniversaire, Paul !). Le deuxième tome de cette saga judiciaire vient de sortir.
Avec ce deuxième album, encore plus percutant que le premier, l’OPA du cabinet américain sur le cabinet français spolié sous le régime de Vichy aux dépends d’un avocat juif, on entre dans le vif du sujet : « Les personnages et l’intrigue générale étant posés, j’ai effectivement cherché à donner un rythme assez nerveux à cet album, nous dit Richard Malka. On y croise une médiatique Juge d’instruction [Tiens, tiens... NDLR], évidemment totalement imaginaire et très hostile aux avocats en général et à Benjamin de Veyrac en particulier, ce dernier se retrouvant incarcéré à la prison de la Santé, en bonne compagnie d’ailleurs... L’absorption du Cabinet d’avocats français par la multinationale Steiner-Mac Rae se trouve ainsi facilitée, avec dans le rôle central de cet album la talentueuse Anissa Taniss ainsi qu’un certain Phœnix, qui n’apparaîtra qu’à la dernière case, alors que le procès pour blanchiment d’argent engagé contre Benjamin de Veyrac touche à sa fin et s’augure singulièrement mal pour lui... Quant à Vichy on en est effectivement sorti mais pour mieux retourner dans le passé au tome suivant... »
Comme on le voit, le sujet est ancré dans la réalité.
Dans cette série, Richard Malka joue merveilleusement des aller et retour en entre le passé et le présent, entre le besoin de vengeance et la nécessité de la justice pour mieux mystifier le lecteur. Ce thriller psychologique compliqué est rendu limpide par le magnifique dessin de Paul Gillon. Rendre limpide, éclairer les faits, tel est le rôle de l’avocat pour mieux « soutenir le vraisemblable », pour utiliser les mots de Cicéron. On comprend mieux le lien entre ce métier et celui du scénariste.
Section Financière
Le fait amusant, c’est que l’autre série de Richard Malka, Section financière s’intéresse encore plus précisément à la question du blanchiment d’argent sur fond de manipulation policière et judiciaire. Elle a même pour cadre la 2ème division du Parquet de Paris, rue des Italiens (dans un immeuble anciennement occupé, ô ironie, par le journal Le Monde) dont les interlocuteurs sont d’ordinaire les juges du pôle financier du Tribunal de Paris, lesquels ont auditionné la semaine dernière l’un des leurs, le juge Van Ruymbeeke, éclaboussé par le scandale Clearstream.
Bien qu’un avertissement indique, en début de volume, que « ce récit est largement romancé » et que « en particulier tous les noms présents dans cet ouvrage sont purement imaginaires », précisant également qu’une « quelconque ressemblance avec des personnages, sociétés ou groupements quelconques existant ou ayant existé serait purement fortuite », la BD de Malka est clairement très proche d’une certaine réalité des affaires judiciaires.
L’avocat se récrie quand on lui dit qu’il utilise ses dossiers comme combustible de ses fictions. Il a hâte, au contraire, de s’en détacher, comme ici : « Ce sont deux séries très différentes, Section Financière s’éloignant beaucoup plus du monde judiciaire, qui n’est plus qu’un angle de traitement d’un récit d’aventure et d’action. Ceci dit, j’ai trouvé intéressant et je l’espère original, d’illustrer au travers de cette seconde série certains aspects de la justice et des enquêtes financières. Il s’agira cependant probablement de la seconde et dernière série où j’évoquerais, d’une manière ou d’une autre, le monde judiciaire. D’ailleurs, mon prochain album, dont la publication est prévue en novembre, n’aura vraiment plus rien à voir avec ce domaine... »
N’empêche, elle nous plaît l’idée qu’à l’exemple des Lettres persanes de Montesquieu, la BD puisse servir d’outil de décryptage des fait obscurs de l’actualité. On sourit aussi à l’idée que la DST ait peut-être acquis un certain nombre d’exemplaires de ces albums pour vérifier si, par hasard, le corbeau n’y aurait pas niché son fromage...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon, l’avocat Richard Malka. Photo : D. Pasamonik.
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