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Une Jeunesse Soviétique - Nikolaï Maslov - Denoël Graphic

Par François Peneaud le 18 octobre 2004                      Lien  
Quelques crayons gras comme le rire des buveurs de vodka, des pages aussi blanches que les étendues sibériennes hivernales, et une vie en images. Une vie de la deuxième moitié du 20e siècle, dans une Union Soviétique semblait-il plus adaptée aux petits chefs et aux démonstrations de force militaire qu'aux rêveurs. Voilà ce que nous fait découvrir {Une Jeunesse Soviétique}.


L’auteur, Nikolaï Maslov, n’avait jamais été publié quand, un jour de l’année 2000, il s’est présenté à une librairie moscovite tenue par un Français, son carton à dessin sous le bras.
Convaincu de la valeur du travail de Maslov, l’éditeur-libraire va lui avancer assez d’argent pour que celui-ci quitte son travail de veilleur de nuit et se consacre entièrement à la réalisation de l’album.

Le côté inhabituel de la situation qui a amené à la publication de cette œuvre est à la mesure de l’« ordinaire » de la vie racontée.
Né en 1954 en Sibérie, Nikolaï Maslov a passé sa vie entre des aspirations artistiques et la nécessité d’un travail - manuel le plus souvent - qui le fasse vivre. Dans une URSS post-stalinienne mais pre-Perestroïka, l’école apprend à vénérer l’État, l’armée constitue un passage obligatoire dont ne reviennent jamais nombre d’appelés (la situation n’a pas beaucoup changé dans la Russie de Poutine...) et la vodka de mauvaise qualité permet de supporter les jours qui se succèdent sans espoir d’amélioration.

De nombreuses scènes de biture, que ce soit entre soldats ou entre collègues de travail, ponctuent le récit, beaucoup de gens y sont d’ailleurs détruits par l’alcool. Maslov lui-même y succombera pendant un moment et connaîtra les plaisirs de l’hôpital psychiatrique (comme quoi, celui-ci ne sert pas que pour les dissidents). Mais la réflexion sur sa propre vie et celle de ses compatriotes amène également l’auteur à croiser le chemin de quelques-uns de ceux qui, d’une façon ou d’une autre, remettent en question le système.

Il est extrêmement intéressant de remarquer que cette peinture sans concession se fait par la bande dessinée, moyen d’expression très peu répandu en Russie. Nikolaï Maslov fait pourtant preuve d’une compréhension impressionnante de ses codes et de ses forces. Si les transitions entre les scènes semblent parfois un peu abruptes, la narration est solide et variée, et le trait, parfois maladroit dans les poses des personnages, possède une personnalité certaine, en évidence aussi bien dans les trognes des ivrognes que dans la description d’une nature chère à l’auteur.

Dans sa représentation d’un quotidien traversé par le souffle de l’histoire - mais un souffle bien incapable d’apporter un changement, Une Jeunesse Soviétique est une oeuvre importante pour la bande dessinée, de par son originalité, et encore plus, de par ses qualités humaines.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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