On peut en prendre la mesure en feuilletant ce fort ouvrage de 400 pages rempli jusqu’à la gueule d’illustrations : Jijé était, avant-guerre, un véritable rival pour Hergé.
Ses premiers dessins professionnels n’interviennent que 10 ans après les premiers pas de Tintin mais leur virtuosité est au moins égale et parfois supérieure à celle du Bruxellois. C’est un rival sérieux parce que le tirage du Petit Vingtième, on l’oublie parfois, n’était pas si considérable que cela : d’après Frans Lambeau citant le célèbre économiste belge Baudhuin, il est seulement de 10 000 exemplaires par semaine en 1938, au moment où paraît le Journal de Spirou [1]. un rival aussi parce qu’il s’adresse aux Catholiques, une communauté puissante en Belgique à cette époque, dont il porte les valeurs peut-être plus fortement qu’Hergé lui-même.
Mais l’avantage d’Hergé, outre son droit d’aînesse, a été d’avoir investi dans l’album bien avant son cadet, grâce à l’intelligence des éditions Casterman, et d’avoir su habilement tirer parti de l’Occupation de la Belgique. Il s’est surtout consacré avec fidélité et constance à son personnage, chose que le touche à tout de Corbion n’a jamais faite vraiment : il refila tour à tour Spirou à Franquin, Valhardi à Paape, Blondin & Cirage à Hubinon, passant avec aisance de l’humoristique au réalisme (Valhardi, Jerry Spring, les biographies de Don Bosco, Baden Powell, Christophe Colomb..., sa reprise de Tanguy & Laverdure ou de Barbe rouge...), de la bande dessinée à l’illustration, de la sculpture à la peinture...
Dans une vidéo où Jijé se fait cuisiner par un journaliste sur sa propension à préférer les méchants dans ses bandes dessinées ou à propos de sa supposée misogynie, Jijé répond davantage par de grands rires que par des propos argumentés. C’était sa façon d’aborder ce métier qu’il avait vu naître : avec humilité, légèreté et bonne humeur.
C’est cet esprit-là que l’on retrouve dans ce livre où François Deneyer, le fondateur malheureux de l’éphémère Musée Jijé qui continue d’œuvrer aujourd’hui dans la Maison de la BD, a compilé la plupart des interviews de Jijé a accordées en 12 chapitres. Gillain parle de sa jeunesse, de ses premiers pas de dessinateur professionnel, de son interprétation de Spirou, de ses biographies (de Don Bosco à Bernadette Soubirous), de Blondin & Cirage, de Jean Valhardi, de Jerry Spring et du Western, de Tanguy & Laverdure et de Barbe Rouge, des femmes, de la peinture, du métier...
Mais à côté de sa parole qui court au fil des pages, ce sont surtout les illustrations qui sont parlantes : puissantes, au style diversifié, elles sont magnifiquement reproduites, le plus souvent à partir des originaux ou de documents rarissimes qui donnent toute la mesure d’un génie. Un ouvrage de référence !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Lire notre interview de François Deneyer, l’auteur de Quand Gillain raconte Jijé : « Jijé était un curieux de nature »
[1] Lambeau, Frans - Dictionnaire illustré de la bande dessinée belge sous l’Occupation, Ed. André Versaille, Bruxelles, 2012 et Baudhuin, F. Histoire économique de la Belgique 1914-1939, 2 vol., Bruxelles, Bruylant, 1944, vol..2, p.371.
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