Stéphane Steeman, ex-grand collectionneur de l’univers d’Hergé et une personnalité bien connue des téléspectateurs belges, se plaint de ne pas être convié à participer à l’émission d’hommage que la RTBF (la télévision nationale belge) consacrera à Hergé le 22 mai prochain. L’humoriste met clairement en cause Nick Rodwell, le second mari de Fanny Vlaminckx, la veuve d’Hergé. « Nick Rodwell prend la RTBF en otage, tonne Stéphane Steeman dans les colonnes du Soir. On m’empêche d’exercer mon métier d’artiste ! Je suis choqué ! ». L’humoriste pense faire partie d’une liste noire où s’inscriraient déjà les noms de Benoît Peeters et d’Albert Algoud, apparemment eux aussi écartés de l’antenne de France 2 lors de l’inauguration de l’exposition Hergé à Paris.
Nick Rodwell répond que la RTBF devait faire des choix parmi une liste d’une cinquantaine de personnalités. « Il n’y a que Steeman qui n’est pas content, confie Nick Rodwell au Soir, et qui tente de manipuler les médias parce qu’il voudrait être le seul à pouvoir parler de Tintin. Mais ce n’est pas son centenaire qu’on fête, que je sache... ». Le directeur des antennes de la RTBF, Yves Bigot, confirme que l’émission se fait avec l’étroite collaboration des ayant-droits d’Hergé. « On parle beaucoup de Moulinsart, confie-t-il, mais pour l’émission sur [le chanteur belge Pierre] Rapsat, c’est la même chose : il y a des gens que sa veuve ne souhaite pas voir sur le plateau ». En clair, la célébration ne saurait être entachée de la moindre critique négative.
Nick Rodwell minimise l’importance de Stéphane Steeman, pourtant depuis de longues années un propagandiste de l’oeuvre d’Hergé, par ailleurs le président de l’Association des Amis d’Hergé. Il évoque même la possibilité de vendre la collection que la Fondation Hergé lui a achetée, il y a une dizaine d’années, pour l’exposer dans le futur « Musée Hergé ». « Avec le centenaire de Hergé, nous entrons dans l’ère de l’après-Steeman, argumente le timonier de Moulinsart. Pour le signifier clairement, j’envisage de revendre cette collection », sans doute pour conforter l’idée que la fièvre collectionneuse autour de l’oeuvre d’Hergé a plutôt tendance à la tirer vers le bas, plutôt que de la magnifier. Entre les défenseurs des mânes du créateur de Tintin, ça tire à boulets rouges, tonnerre de Brest !
Commencée il y a dix ans avec une conférence de presse relayée par les Inrockuptibles, la "philippique" de certains exégètes de l’oeuvre d’Hergé contre la gouvernance rodwélienne de l’oeuvre semble encore vivre aujourd’hui quelques répliques. Ainsi, récemment encore, lors de la Foire du Livre de Bruxelles, plusieurs spécialistes devaient parler du travail d’Hergé lors d’un débat. Philippe Goddin, auteur d’une biographie d’Hergé à paraître chez Moulinsart, devait représenter les Studios Hergé (nouvelle dénomination de la Fondation Hergé) et Moulinsart face à Benoît Peeters, également biographe du maître de l’Ecole de Bruxelles (chez Flammarion). Le journaliste Olivier Delcroix devait également faire partie du plateau des intervenants. Goddin a annulé sa participation au débat à la dernière minute, s’apercevant, dit-on, que Peeters, le « blacklisté de Moulinsart », était présent. Il a remplacé au pied levé dans ce débat animé par Thierry Bellefroid par... Pierre Sterckx, qui fut pourtant lui aussi un moment en disgrâce au "château".
Alors que l’on célèbre le centenaire d’Hergé, ne faudrait-il pas enterrer une bonne fois pour toute la hache de guerre ? Le procès fait à Nick Rodwell ces dernières années a perdu une bonne part de son fondement : le Musée Tintin est toujours sur les rails, le film qui sera produit par Spielberg a plus de chances qu’hier de se faire, et les différentes initiatives autour de l’oeuvre d’Hergé comme le « festival Tintin » en 2005 ont plutôt suscité une satisfaction du public. Les livres d’étude publiés par Moulinsart sont de très bonne facture et constants dans la qualité.
On se demande qui sera le plus vite lassé de cette géguerre : Les gestionnaires de l’oeuvre d’Hergé, leurs détracteurs ou... le public ?
(par Nicolas Anspach)
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En médaillon : "Hergé autrement", un livre de Stéphane Steeman paru aux éditions Luc Pire.
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