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Une superbe Intégrale pour saluer les 50 ans de Blueberry

Par Charles-Louis Detournay le 3 janvier 2013                      Lien  
Après deux faux départs et quelques réalisations parallèles, Dargaud publie enfin l'intégrale du célèbre Blueberry de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud. Une réalisation respectueuse des versions originales, dotée d'un dossier intéressant signé José-Louis Bocquet et surtout d'une mise en valeur particulière grâce aux documents fournis par Jean-Claude Mézières et de Philippe Charlier, le fils du scénariste.

Enfin ! Il aura fallu attendre près de cinquante années après sa création, pour que Dargaud joue son rôle d’éditeur responsable de Blueberry et que les lecteurs bénéficient d’une publication intégrale.

Une superbe Intégrale pour saluer les 50 ans de Blueberry
La couverture de Pilote pour annoncer la troisième aventure de Blueberry

Et celle-ci est à la hauteur de leurs attentes, avec d’entrée cette superbe gouache réalisée par Jean Giraud en 1964. Couverture d’un numéro de Pilote, elle laisse encore transparaître l’héritage des cours donnés par le maître Jijé. Cette influence est d’ailleurs encore fort perceptible dans les trois premiers albums présentés dans le premier tome de cette intégrale.

Une publication maintes fois reportée

Après le succès de l’intégrale Rombaldi débutée en 1983, Dargaud envisageait enfin de publier sa propre intégrale d’une série qui demeure emblématique du western réaliste en bande dessinée. On assista alors à une première tentative de recueil des quatre premiers albums en 1986, un regroupement d’autant plus étrange que le premier cycle de Fort Navajo en compte cinq.

En 1988, un nouveau premier tome d’une nouvelle mouture de l’intégrale au sein de la collection Omnibus voyait le jour, regroupant cette fois les trois premiers albums. Mais une fois de plus, cette tentative fut infructueuse, car le second tome ne paraîtra pas, au grand dam des premiers acheteurs.

On retrouve dans l’intégrale cette première publicité -très jijéenne !- pour la parution en album de Fort Navajo
La publicité dans son intégralité, sur le site consacré à JM Charlier

À quoi faut-il imputer ces tentatives avortées, alors que Rombaldi n’avait semble-t-il pas rencontré de souci pour écouler ses stocks et que, dans la foulée, Frédéric Niffle avait réalisé un très beau travail de compilation avec ses petits recueils en noir et blanc, que le quotidien belge Le Soir avait publié une belle mouture en diptyque avec des illustrations inédites en 2009 ? Était-ce parce que Blueberry s’est éloigné de Dargaud entre 1980 et le milieu des années 1990 ? Ou à cause d’une possible mésentente entre Giraud et Philippe Charlier, le fils du scénariste ? Une hypothèse que les deux hommes réfutèrent lorsqu’on les interrogea à ce propos en 2010.

Quoiqu’il en soit, profitons de cette belle intégrale qui est prévue en neuf volumes, et dont la couverture du premier opus vaut à elle-seule le détour. Comme l’annonce Dargaud, l’intégrale réunira "les nombreux épisodes dessinés par Giraud et scénarisés par Charlier avec plusieurs documents rares ou inédits". Le dernier des neuf volumes devra donc être plus conséquent que les autres, car le vingt-huitième album de la série bénéficiait déjà d’une pagination supérieure aux précédents.

Tout au long des pages de cette intégrale, nous allons non seulement pouvoir accompagner le cheminement unique de ce personnage de western exemplaire, mais également bénéficier des documents rares, inédits, ainsi que des couvertures et publicités faites pour Pilote. D’ailleurs, en feuilletant ces pages, on reste étonné du nombre de dessins, couvertures et autres qui sont encore inédits en album. De quoi apporter un crédit supplémentaire à cette compilation.

Non présente dans cette intégrale, cette petite annonce parue dans Pilote pendant la publication d’{Aigle Solitaire} explique aux lecteurs qu’ils devront prendre patience, car Giraud est en voyage au Mexique.
Tirée du site consacré à JM Charlier

Le dossier : beaucoup de positif et quelques points négatifs

Si Dupuis excelle dans l’élaboration des dossiers des intégrales, Dargaud s’en fait l’émule avec un très beau texte de José-Luis Bocquet, ci-devant scénariste et directeur éditorial chez... Dupuis, offrant sur 22 pages des documents rares et intéressants. Pour rappel, Bocquet n’en est pas à ses débuts dans cet exercice : Franquinologue patenté, il avait récemment signé le prélude de l’intégrale de Phil Perfect, ainsi que les introductions des intégrales de Gil Jourdan, cosigné avec Sergio Honorez des éditions commentées de Spirou et signé des introductions à l’œuvre de Chaland.

Dans ce dossier, on retrouve les incontournables anecdotes de la création de Blueberry dans Pilote, une introduction biographique aux deux auteurs, les étapes de la création du personnage dont la responsabilité graphique reposait sur les épaules d’un jeune auteur de 25 ans. Le patronyme du héros fait contraste avec son physique de boxeur emprunté à Belmondo, et dont la personnalité contrebat les autres héros militaires de Jean-Michel Charlier (Buck Danny, Tanguy et Laverdure, Dan Cooper....

Comme nous l’avons dit, l’ombre tutélaire de Jijé est encore présente dans cette très belle couverture à la gouache. Elle représente parfaitement l’esprit de ces trois premiers albums : l’appel de l’aventure, le sens du mouvement et du décor que Giraud appréhende progressivement... Le coup de main de Jijé, auteur puissant et prolifique, est d’ailleurs nécessaire à Giraud qui aligne alors les pages à une cadence infernale (trois albums en un an et demi !).

Une série de planches de Tonnerre à l’Ouest sont des mains de Jijé...

On apprend d’ailleurs que c’est le mentor de Giraud lui-même qui fut tout d’abord approché pour réaliser les aventures de l’homme au nez cassé, avant qu’il ne cède sa place à son poulain avec qui il co-réalisa, renvoi d’ascenseur légitime, La Route du Coronado de Jerry Spring. C’est d’ailleurs à Jijé que l’on doit la première couverture de Blueberry pour Pilote, doucement que l’on retrouve dans le dossier, ainsi que la première version de la couverture de l’album Fort Navajo. José-Louis Bocquet ne manque d’ailleurs pas de rendre hommage au maître belge dans ce premier dossier.

Si l’ensemble du dossier est fort bien mené, mis en valeur par les divers témoignages et surtout de très belles photographies de Jean-Claude Mézières, grand ami de Giraud, on comprend moins bien pourquoi Bocquet ne profite pas de cette intégrale pour expliquer que ce fut Jijé qui réalisa une série des planches de Tonnerre à l’Ouest lorsque Giraud partit en voyage aux Amériques. Ces détails historiques importants manquent au texte, comme les différentes étapes des réalisations de Giraud.

La photo de 1964 de Mézières, qui inspira les pages de garde de la série.
Photo : © Jean-Claude Mézières

Enfin, si le dossier ne manque pas d’inédits comme des publicités parues dans Pilote, ou la photo de Mézières à cheval qui servit aux fameuses pages de garde de la série, on oublie la première couverture de Pilote signée Giraud... Cette image introductive pour Tonnerre vers l’ouest (notez la variation du titre) est loin d’être du meilleur Giraud, mais elle méritait d’être apportée au dossier, ne fut-ce que pour démontrer l’évolution rapide du dessinateur.

Ces regrets n’altèrent pas cependant pas la satisfaction qui ressort à la lecture du dossier, et on espère que ces considérations sur l’évolution de la série seront traitées dans les prochains volumes, car il faudra bien nous proposer de la matière pour les neuf prochains tomes. Les lecteurs exigeants sont par exemple ravis de découvrir cette planche poisson d’avril qui intervient au moment où Fort Navajo s’achève dans le journal. On s’intéressera également au tapuscrit original de J-M. Charlier, décrivant les deux premières planches de Fort Navajo.

En un mot comme en cent, cette introduction est idéale pour mettre ses pas dans ceux de ces deux grands créateurs, juste avant de s’embarquer dans la lecture de ces premiers récits qui racontent l’histoire de l’Ouest.

Le poisson d’avril de Pilote

Couleur originale

L’introduction à ce premier volume nous indique que les planches publiées le sont "telles qu’elles ont été publiées dans Pilote du 31 octobre 1963 au 8 avril 1965. [L’éditeur est reparti] des couleurs originales de l’époque, y compris pour [deux] planches parues exceptionnellement en bichromie dans le journal."

Effectivement, les premiers Blueberry avaient été remis en couleurs en 1994, afin de donner une uniformité de ton à la série. Mais comme Giraud ne bénéficiait pas encore de tout son talent dans ses premières années, ces nouvelles couleurs plus sobres soulignaient parfois le manque de perspective, de volume et de profondeur de certaines images.

Les couleurs de 1994, avec des tons plus neutres pour les vêtements des Indiens

Dans cette intégrale, le lecteur profite de couleurs plus contrastées, parfois même criardes, qui renforcent l’aspect coloré du western. Par rapport aux couleurs originelles, l’éditeur s’est tout de même permis de les éclaircir, pour éviter qu’elles ne choquent pas trop le lecteur contemporain. On regrettera juste que cet effort ne soit pas prolongé dans la séquence finale de Tonnerre à l’ouest, qui souffre dès lors d’une certaine confusion dans les cases les plus sombres, alors que la version originale offrait bien plus de clarté.

La planche originale quelque peu éclaircie qu’on peut retrouver dans l’intégrale

En dépit de ces repentirs, le retour aux couleurs originelles conforte les objectifs narratifs des auteurs. Ainsi, on remarquera que Quanah/Aigle-Solitaire, le "méchant" de ce cycle des guerres indiennes, arbore à nouveau son bandana rose qui le démarquait des autres indiens. Enfin, cette dernière mouture restitue dans quelques cases les arrière-plans originaux qui avaient été enlevés lors du ’lissage’ de 1994.

Notons que certaines réfections ont corrigé des erreurs de couleurs dans la version d’origine, ou simplement améliorent la compréhension de l’action souffrant précédemment de l’unicité de gamme de tons choisis.

Tous ces éléments entraînent une lecture améliorée, fluide et agréable, de ces premiers récits.

Les couleurs de 1994...

Enfin, l’éditeur nous explique qu’ils ont "remonté les pages dans l’ordre exact de publication dans [Pilote], et corrigé certaines bulles en repartant du tapuscrit original de Jean-Michel Charlier." Nous n’avons pas poussé le vice jusqu’ à comparer toutes les bulles, mais que le lecteur consciencieux qui aura noté quelques changements mineurs n’hésite pas à se manifester. Quant à l’ordre des planches, nous n’avons remarqué aucune modification en regard des premières éditions et des suivantes. L’éditeur aura sans doute voulu préciser qu’il présentait les pages en face-à-face, ainsi que c’était le cas pour les deux planches parues chaque semaine dans Pilote. Sans que cela ne modifie en profondeur la lecture, c’est un élément complémentaire pour se rapprocher de l’esprit originel de la publication de Blueberry.

Les couleurs de l’intégrale, avec le bandana rose bien visible.

Les intégrales suivantes

La couleur rose du bandana d’Aigle-Solitaire permet au lecteur de le discerner d’un coup d’oeil au milieu des autres Indiens. Même lorsqu’on ne voit pas son oeil borgne...

Si Dargaud n’a pas toujours eu la même fibre patrimoniale que Dupuis, on dirait que le vent tourne, car nous attendons dans les prochaines semaines le premier tome de la nouvelle intégrale de Barbe-Rouge. Cet autre grand héros de J-M. Charlier fera également l’objet d’une publication sous la forme d’un dossier d’une petite vingtaine de pages, suivi de deux ou trois albums. Comme les premiers récits de Barbe-Rouge s’étalaient sur 62 pages, la première intégrale ne comprendra ’que’ Le Démon des Caraïbes et Le Roi des sept mers. On espère également que les courts récits parus dans Pocket Pilote trouveront chronologiquement leur place dans cette grande saga d’aventures maritimes.

Reste à espérer que Dargaud publie d’une manière ou d’une autre les albums de Blueberry en noir et blanc et en grand format. Les éditions de l’époque (Marcus, Horus, Gentiane et autres) ne sont réservées qu’aux plus fortunés d’entre les passionnés, et quand le talent atteint ce niveau, ce serait péché que de ne pas lui donner un écrin approprié.

Les documents apportés par Mézières complètent admirablement le dossier de Bocquet.
Ici, une des réalisations pour le studio Hachette, qui permit à Giraud de perfectionner sa technique de la gouache.
Il avait 25 ans.

Alors que le prochain festival d’Angoulême se fera sans ce grand homme qui en était un des fidèles (heureusement, la Cité lui rend hommage en inaugurant le Vaisseau Moebius), cette intégrale vient saluer cinquante années d’une carrière exemplaire durant laquelle cet éternel élève de ses propres envies a su mener une œuvre expérimentale et personnelle tout en demeurant fidèle au remuant lieutenant de ses débuts.

Chapeau l’artiste !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Blueberry, l’intégrale T1 - Par Giraud & Charlier - Dargaud

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Concernant Jean Giraud, lire également :
- Le dernier dessin de Blueberry signé Gir
- dBD HS 09 : Hommage à Giraud-Moebius
- dBD n °63 : Jean Giraud, pour une dernière fois
- Mort de Jean Giraud / Moebius : Recueillement
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9 Messages :
  • Une superbe Intégrale pour saluer les 50 ans de Blueberry
    3 janvier 2013 11:17, par Marc Bourgne

    Probablement réalisées ou supervisées par Giraud lui-même, les couleurs originelles de "Blueberry" ont mieux vieilli que celles des premiers "Astérix", "Barbe-Rouge" ou "Michel Tanguy", qui étaient épouvantablement criardes et sans aucune subtilité, sans doute parce qu’il fallait les adapter à la médiocre qualité d’impression de "Pilote".

    On peut tout de même regretter que les belles couleurs, bien plus nuancées, dues à la talentueuse et regrettée Claudine Blanc-Dumont en 1994 n’aient pas été choisies pour cette intégrale. D’autant plus que ces couleurs avaient été réalisées avec l’accord de Giraud.

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    • Répondu par Serge BUCH le 3 janvier 2013 à  22:37 :

      Si Jean Giraud avait accepté que Claudine Blanc-Dumont recolorise les premiers épisodes c’était bien dans le but d’offrir une version améliorée des planches initialement publiées dans les pages de Pilote et dans les premiers albums et je confirme que ce choix était bien avisé, tant le travail de Claudine Blanc-Dumont était somptueux. J’ai donc été surpris de découvrir que l’éditeur, peut-être dans un esprit puriste (d’où le choix de publier aussi les deux pages en bichromie parues dans l’hebdomadaire), ait refait marche arrière. Dommage aussi de ne pas avoir publié une intégrale avec le premier cycle complet des cinq premiers albums d’un coup, le suivant avec "L’homme à l’étoile d’argent" suivi des quatre ambums composant le cycle du "cheval de fer". A raison de trois épisodes par intégrale, les cycles seront tous morcelés.

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      • Répondu par Ludo le 4 janvier 2013 à  00:47 :

        C’est une technique commerciale : pour avoir l’histoire complète vous devez achetez le volume suivant... dans le quel vous aurez le début d’un cycle...pour avoir l’histoire complète vous devez achetez le volume suivant... dans le quel vous aurez le début d’un cycle...pour avoir l’histoire complète vous devez achetez le volume suivant... dans le quel vous aurez le début d’un cycle...et ce jusqu’à la fin.

        Répondre à ce message

  • Malgré vos explications, je trouve affligeant de faire une intégrale avec d’aussi immondes couleurs, surtout que celles refaites sont très belles et parfaitement efficaces.

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    • Répondu par Bragon le 3 janvier 2013 à  16:56 :

      Ce sont justement ces couleurs d’origine qui m’ont fait acheter l’intégrale car je possède déjà tous les albums de la série.

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    • Répondu le 3 janvier 2013 à  17:17 :

      Le mieux pour mettre tout le monde d’accord eut sans doute été de publier cette intégrale en N&B.

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      • Répondu par vincent le 3 janvier 2013 à  23:40 :

        oui c m’aurait motiver a l’acheter ! comme l’integrale de Jerry Spring

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        • Répondu le 4 janvier 2013 à  09:10 :

          Voilà exactement ! Je ne m’explique pas que le team Dargaud n’ait pas perçu que l’attente du public allait dans ce sens.

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