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Varsovie, au cœur de la Shoah

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 mars 2017                      Lien  
L’exposition « Shoah et bande dessinée » a montré combien cet événement a inspiré les auteurs de bande dessinée. Mais certains moments et certains lieux de la destruction des Juifs d’Europe ont droit à un traitement privilégié : c’est le cas pour Varsovie qui connaît deux nouveautés sur le sujet ces jours-ci.
Varsovie, au cœur de la Shoah
"Varsovie, Varsovie" de Didier Zuili (Ed. Marabulles)

L’intérêt puissant de la bande dessinée réside ici : un même sujet historique ou d’actualité peut faire l’objet de traitements très différents, apportant aussi bien une approche informative précise, souvent surprenante et inédite, que l’expression d’un ressenti.

Emanuel Ringenblum par Didier Zuili
© Marabulles

Le style, l’approche graphique et/ou scénaristique s’affirme comme l’expression d’une subjectivité qui vient compenser l’apparente objectivité du travail historique. D’autant que, en ce qui concerne la Shoah, les témoins disparaissent, jour après jour et c’est à notre génération qu’il revient à transmettre cette expérience d’inhumanité. Comme le dit Régine Waintrater à la suite d’Annette Wieviorka : « La subjectivité peut alors retrouver sa place, et le témoin est désormais convoqué pour compenser les lacunes d’une connaissance qui ne se satisfait plus du seul fait historique, mais cherche à comprendre l’état d’esprit de ceux qui ont vécu un événement extrême. » En l’occurrence les auteurs de bande dessinée prêtent un visage et une voix, c’est-à-dire un support d’empathie, aux témoins dans ces « mémoriaux » à la fois documentés et émouvants. Ils émergent dans des pages aux mille nuances colorées, aux traits personnels, qui à chaque fois surprennent et émeuvent, transformant les lecteurs en « témoins des témoins ».

Didier Zuili
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Le combat pour la mémoire d’Emanuel Ringenblum

C’est le cas pour Varsovie, Varsovie de Didier Zuili (Ed. Marabulles) qui tente de rendre vie à Emanuel Ringenblum, cet historien juif qui se fit enfermer dans le Ghetto, alors qu’il était bien au chaud à l’abri avec son épouse en Suisse, pour organiser le témoignage de la mise en coupe réglée d’un quartier de la ville où les Juifs étaient stockés avant d’être envoyés vers Treblinka situé à seulement 80 km de la capitale polonaise.

Ses travaux, et ceux du groupe d’intellectuels qu’il avait réunis autour de lui pour rendre compte des événements qui était en train de se commettre, avaient été dissimulés dans trois caches dont deux seulement ont été retrouvées. Ils constituent des documents de première main de la part des victimes-même du crime nazi : « J’ai mis un an à lire des livres avant de me mettre au travail, raconte Didier Zuili, j’ai essayé de ne parler que de la Résistance. J’aime bien dire que je n’ai rien inventé. J’ai voulu représenter des personnes, je suis parti des êtres humains pour raconter mon histoire. Ce qui ne m’a pas empêché de faire relire mon scénario par une historienne, Anne Grinberg. »

Le trait de ce dessinateur débutant (c’est sa deuxième BD) qui a derrière lui une carrière de réalisateur de documentaires, évoque la palette expressive d’un Marc Chagall dans la retranscription tragique d’une judaïcité en train de disparaître. Dans sa restitution naïve et parfois maladroite de la chronique du Ghetto, de 1939 à 1943, il transmet parfaitement l’émotion de ces moments terribles. En bonus, un dossier de l’historien Georges Bensoussan, complément utile mais aussi sans doute caution pour rassurer l’éditeur, une chronologie de l’organisation de la résistance juive organisée dès 1941 contre l’oppresseur nazi.

"Varsovie, Varsovie" de Didier Zuili
© Marabulles
« Irena T. 1 : Le Ghetto » de Séverine Trefouël, Jean-David Morvan et David Evrard (Glénat)

La mémoire d’une Juste polonaise

La résistance n’est d’ailleurs pas que juive, comme le rappelle « Irena T. 1 : Le Ghetto » de Séverine Trefouël, Jean-David Morvan & David Evrard (Glénat. Le tome 2 paraît à la fin du mois de mars) . La société polonaise toute entière subit également un sort funeste, même s’il n’est pas conduit par la logique génocidaire en place dans les ghettos. À Varsovie même, Irena Sendlerowa, qui travaillait dans le service social de la mairie de Varsovie, concentra son travail et celui de son équipe sur l’aide aux enfants juifs du ghetto qu’elle va sauver en grand nombre. C’est une des grandes figures du sauvetage des Juifs en Pologne.

Contrairement à l’album précédent, cet ouvrage est destiné aux lecteurs les plus jeunes et s’exprime avec un dessin –celui de David Evrard- très enfantin, « gros nez » peut-on dire, a priori choquant pour traiter un sujet aussi dur. « Irena est une bonne façon de sensibiliser les plus jeunes à la Seconde Guerre mondiale, nous dit Séverine Trefouël qui a co-scénarisé l’album avec Jean-David Morvan. Nous avions découvert cette héroïne sur Internet. Nous avons eu beaucoup de mal à trouver les propres paroles d’Irena Sendlerowa. Beaucoup d’ouvrages parlent d’elle, de son action, mais peu lui prêtent la parole. »

« Irena T. 1 : Le Ghetto » de Séverine Trefouël, Jean-David Morvan et David Evrard (Glénat)
© Glénat

Séverine Trefouël est très admirative du parcours de son héroïne. Elle a été torturée par la Gestapo sans jamais lâcher l’identité des membres de son groupe. « Avec Jean-David, quand on aborde ce genre de personnage, on doit savoir ce qui se passe avant et près. « Le Pianiste » de Polanski a été une bonne source d’inspiration pour les décors. » Le plus difficile a été de traduire les scènes « insupportables ». Une séquence dessinée par David Evrard montre le processus de la Shoah par balles : des familles regroupées, que l’on oblige à se déshabiller et qui sont abattues puis balancées dans des charniers. Impossible à représenter dans une telle bande dessinée ! «  Nous avons recadré la caméra à hauteur des pieds  » explique la scénariste.

David Evrard et Séverine Trefouël au Mémorial de la Shoah
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
« L’Insurrection T.1 : Avant l’orage » de Marzena Sowa et Krzysztof Gawronkiewicz (Dupuis Aire Libre)

L’Insurrection

Publiée il y a déjà trois ans (on attend depuis le tome 2...), L’Insurrection : Avant l’orage 1/3 de Marzena Sowa et Krzysztof Gawronkiewicz (Dupuis Aire Libre), offre un point de vue polonais sur la Varsovie occupée par les nazis. Ce premier volume raconte des romances qui s’entrecroisent alors que la ville sombre peu à peu dans la terreur de la guerre. L’Insurrection dura deux mois, elle fit plus de 150 000 morts. Les images, les situations, sont d’une densité très forte.

«  J’ai découvert des éléments sur l’Insurrection que je ne connaissais pas en raison de la propagande communiste, raconte l’auteure de Marzi. J’ai pris le parti-pris décrire la vie quotidienne des Polonais qui devaient survivre.  »

Même son de cloche chez Krzysztof Gawronkiewicz qui découvre une histoire différente de ce qu’il avait pu entendre auprès de ses grands-parents, de ses profs d’histoire. Pour les décors, il a utilisé la maison de son grand-père restée intacte après ces événements qui ont détruit entièrement une grande partie de la ville. Il y a habité lorsqu’il dessinait cette histoire : «  Je me réveillais tous les jours en 1944. L’hôpital au cœur de l’insurrection était deux étages plus bas, dans le même immeuble. »

Marzena Sowa et Krzysztof Gawronkiewicz
Ohoto : D. Pasamonik (L’Agence BD)

«  Nous avons voulu montrer surtout des humains, des émotions, pas des batailles », nous dit Marzena. Comme dans Shoah, le célèbre documentaire de Claude Lanzmann, où l’on évite soigneusement « l’obscénité du cadavre. »

« L’Insurrection T.1 : Avant l’orage » de Marzena Sowa et Krzysztof Gawronkiewicz
© Dupuis Aire Libre

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782501114714

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MÉMORIAL DE LA SHOAH
Exposition "Shoah et bande dessinée"
Jusqu’au 30 octobre 2017.
Entrée gratuite

17, rue Geoffroy-l’Asnier
75004 Paris
Tél. : 01 42 77 44 72
Fax : 01 53 01 17 44
Ouverture tous les jours sauf le samedi
de 10h à 18h
et le jeudi jusqu’à 22h
Métro Saint-Paul ou Hôtel-de-Ville

#ExpoShoahBD
www.memorialdelashoah.org
http://expo-bd.memorialdelashoah.org/

L’expo "Shoah et bande dessinée" sur le site du Mémorial de la Shoah
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