Ce n’est pas la première fois que Tuncay Agkün, ami de Georges Wolinski et époux de la grande caricaturiste turque Remize Erer, s’inspire de la France. Pour le 1000e numéro de sa revue LeMan, il avait parodié la formule du numéro hors série de très grand format que le journal d’Umour et de Bandessinée avait lancé en kiosque à l’occasion de son propre numéro 400. Il y a quelques mois,Akgün a lancé en Turquie un magazine d’humour conçu seulement par des femmes, à l’exemple de notre éphémère Ah, Nana ! : Bayan Yanı (mars 2011).
Cette fois, c’est au mythique magazine « bête et méchant » fondé en 1960 par Georges Bernier (alias « Le Professeur Choron ») et François Cavanna qu’il s’attaque, espérant donner un coup de fouet à une presse satirique qui, en Turquie, joue un rôle culturel de contre-pouvoir essentiel.
A-t-il demandé l’autorisation de Cavanna pour la reprise de ce titre ? Akgün répond par un large sourire : « J’ai surtout demandé l’autorisation aux Japonais… »
Un titre légendaire
« Nous avons repris ce nom légendaire de la presse française car il y a, à notre sens, une forme de confrérie des dessinateurs d’humour, nous explique l’un des deux rédacteurs en chef du journal, le dessinateur M.K. Perker. Il n’y a pas tant de magazines de ce type aux États-Unis tandis qu’en France et en Turquie, il y a une longue tradition pour ce type de publication. Nous sommes très influencés par la bande dessinée française, spécialement en ce qui me concerne : je lisais “Astérix” lorsque j’étais enfant. Je considère que mon style de dessin est franco-belge, j’ai toujours aimé cette façon de faire, de Nicolas de Crecy à Hermann, je les aime tous ! Donc, pour nous, il était vraiment important de leur rendre hommage car nous connaissons son histoire. Nous savons comment le gouvernement de Charles De Gaulle s’est employé à le réprimer, à fermer “Hara Kiri Hebdo”, etc. Nous avons donc employé cette marque délibérément, par reconnaissance confraternelle, pour maintenir le nom, désormais historique. »
De fait, le titre de rue des Trois Portes n’a pas grand-chose à voir avec ce grand format luxueux, très bien imprimé, où prolifèrent des artistes au talent incomparable comme Bahadir Boysal, Serhat Gürpinar, Metin Kaçan, Behiç Pek, Emrah Ablak, Aslan Özdemir, Birol Bavram, Attla Atalay, Cesmi Ersöz, Can Barslan, Sencer et surtout M. K. Perker qui codirige cette édition avec Bahadir Boysal.
Perker est même revenu des États-Unis pour diriger ce journal :« Pour moi, plus que l’artiste, c’est l’individu que je trouve très important, nous dit Perker en parlant de Tuncay Agkün. C’est un acteur majeur de ce métier en Turquie. C’est un artiste parfaitement conscient qui se bat depuis des années pour maintenir ses journaux en vie. Je le vénère pour cela. Je travaille pour le New York Times, Washington Post, The Wall Street Journal, The New Yorker, etc. et quand il m’a demandé de revenir à Istanbul pour m’occuper de ce titre, je n’ai pas hésité une seconde à cause de l’influence qu’il a eue sur moi et de l’importance du rôle qu’il joue en Turquie. Vous savez, il me connaît depuis que j’ai 16 ans ! J’ai grandi dans cette famille d’artistes intéressants et excentriques. Tuncay est donc l’éditeur du magazine, Bahadir Boysal et moi-même en sommes les rédacteurs en chef. »
Dame Anastasie frappe jusqu’en Turquie
Hélas, après la publication du deuxième numéro, Harakiri est amené à se saborder, frappé par une interdiction d’affichage édictée par la commission de censure du gouvernement turc. Sur quelles bases ? Les éditeurs n’en savent trop rien. Ils ont appris l’interdiction par les journaux n’ayant pas reçu la signification du jugement. Quand elle finit par arriver, les retours du premier numéro étaient déjà revenus. L’interdiction n’eut donc aucun impact financier sur l’exploitation du titre, le deuxième numéro n’étant pas concerné par cet édit.
« Ironiquement, de la même façon que le gouvernement français a tenté de l’abattre, le gouvernement turc vient de frapper notre titre d’interdiction dès le premier numéro, nous raconte Perker. Ils ont trouvé que certaines des histoires que nous avons publiées étaient « obscènes ». Or, quand y regarde de près, si ces dessins sont obscènes, un bon nombre de publications qui sont sur le marché en Turquie le sont. Mais c’est comme cela. Nous allons probablement être confrontés à fermer le magazine. Peut-être est-ce le destin de tous les magazines qui portent le titre « Hara Kiri »… Nous sommes néanmoins très fiers de notre initiative ! »
Car même si l’interdiction n’a pas eu jusqu’ici d’impact, et si elle obligerait dans l’avenir à distribuer son produit dans une pochette noire opaque, trois interdictions successives peuvent entraîner la fermeture pure et simple de la boîte. Autant ne pas prendre de risque. Mais il en restera un trace : Harakiri restera sous la forme de rubrique récurrente dans l’hebdomadaire LeMan. D’une certaine manière, le nom continuera de vivre.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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