Actualité

Vie et survie d’une façade bruxelloise décorée par un dessin d’Hergé

Par Charles-Louis Detournay le 20 novembre 2015                      Lien  
La façade de "Quick & Flupke" (Hergé), l'une des plus belles du parcours BD de Bruxelles, disparaîtra définitivement dans les prochains jours sous les coups des pelleteuses. Heureusement, sa réplique vient d'être inaugurée à quelques rues de là. Est-ce qu'on y gagne au change ? Pas si sûr...

Lors d’ un précédent reportage dans les rues de Bruxelles, nous évoquions le travail de rénovation entrepris "autour" de la décoration murale de Quick & Flupke sans toucher au monumental dessin tiré de l’œuvre d’Hergé. On voyait mal effectivement comment la Ville de Bruxelles aurait pu toucher à l’un des joyaux de son parcours BD.

Cette décoration murale est non seulement une des plus grandes façades peintes pour mettre en valeur les héros de la bande dessinée, mais aussi une des plus larges dans une ville qui offre souvent des pignons étroits à ces hommages au 9e art, la palme revenant, bien entendu, aux quatre dessins de Corto Maltese située au Port de Bruxelles, où elles sont malheureusement régulièrement vandalisées par des tags en tous genres.

Visuellement, la décoration de Quick & Flupke jouait habilement de la disposition spéciale de l’alignement des pignons de la façade pour proposer une superbe évocation de l’univers de la série. Statique, mais très parlante, elle présentait les deux garnements étonnés de voir l’agent 15 succomber à une malsaine curiosité.

Vie et survie d'une façade bruxelloise décorée par un dessin d'Hergé
Au pied du Palais de Justice, on "creuse" dans les maisons à coups de pelleteuse... mais sans toucher jusqu’ici à la peinture murale ! Un répit de courte durée...

Situé sur à l’angle de la rue Haute et de la rue des Capucins, le lieu permettait de disposer du recul nécessaire pour l’admirer et se remémorer les farces incessantes de nos deux facétieux gamins bruxellois. Et pourtant, ce monument en hommage à l’œuvre d’Hergé est appelé à disparaître prochainement. Pour compenser ce sacrifice à l’évolution urbaine constante et nécessaire de la ville, la municipalité lui a attribué un autre mur, situé à 250 mètres de là, au 19 de la Rue Notre-Seigneur, très proche de la rue Blaes, une parallèle de la rue Haute.

La nouvelle décoration murale, au-dessus du magasin "Au bon repos"
Photo : CL Detournay

Une commémoration pluvieuse

Annonciateur de sombres événements, le temps était chagrin lors de l’inauguration de la nouvelle fresque ce vendredi 13 novembre en fin d’après-midi. La « drache » nationale se voulant pas s’interrompre, les discours d’inauguration ont eu lieu sur une terrasse couverte non loin de là.

Une forêt de parapluies pour une inauguration pluvieuse. A gauche : Philippe Goddin.
Photo : CL Detournay
Sophie Tchang, du Musée Hergé, tente de protéger Nick Rodwell, trempé jusqu’aux os.
Au second plan à droite, Fanny est logée à la même enseigne.
Photo : CL Detournay

Yvan Mayeur, le Bourgmestre de Bruxelles, honorait l’événement de sa présence. Pour les non-initiés, rappelons que le premier magistrat de la ville est le promoteur du piétonnier de Bruxelles, une zone sans voiture qui couvre les boulevards centraux, qui a suscité de vives protestations de la part de certains commerçants du centre-ville. Outres des bouquineries d’occasion qui en sont très proches, on y retrouve dans cette zone deux des principales librairies de bande dessinée de la capitale : Brüsel et Multi-BD. Selon un récent sondage, 70% des commerces de la nouvelle piétonne ont enregistré une baisse de leur chiffre d’affaire. Les libraires évoqués nous ont confié craindre la période hivernale, qui pourrait provoquer une désertification du centre-ville.

Le Bourgmestre Yvan Mayeur discute avec Fanny et Nick Rodwell
Photo : CL Detournay

Sans chercher à aborder ce sujet d’actualité brûlant largement commenté dans la presse locale, l’occasion nous était donc donnée de tendre notre micro à Yvan Mayeur pour lui demander pourquoi il fallait absolument abattre l’ancienne décoration murale de Quick et Flupke. Une intégration de celle-ci dans le nouveau bâtiment n’était-elle pas envisageable. « Non, nous répond le bourgmestre, L’ancienne décoration murale était peinte sur le mur d’un parking, et nous allons y construire un nouveau complexe de logement pour personnes handicapées et âgées. Nous ne pouvions d’ailleurs pas trouver une disposition équivalente, et il fallait donc trouver un autre dessin. »

Mais le moment des discours a commencé, et Ans Persoons , l’échevine en charge du dossier, contextualise l’opération : « Quick et Flupke sont deux personnages importants pour les Bruxellois. Ils leur tiennent à cœur, et l’idée de les voir disparaître des Marolles ne leur plaisait pas. Nous sommes donc très contents d’avoir un nouveau mur à leur dédier : le dessin est différent, mais tout aussi magnifique ! Un mur qui devait se situer au cœur des Marolles, car on ne pouvait trouver un quartier de Bruxelles qui conviennent mieux à Quick et Flupke ! » [1]

Nick et Fanny Rodwell s’amusent du discours du Bourgmestre
Photo : CL Detournay

« Même mon fils m’a dit : "Dis, tu ne vas quand même pas enlever le Quick et Flupke ?!!", poursuit Yvan Mayeur. Et je lui ai répondu qu’on devait l’enlever. Nous sommes le pays de la bande dessinée, et Quick & Flupke sont un élément du patrimoine belge qui a rayonné sur le monde parmi d’autres. Il était dès lors évident que la ville de Bruxelles consacre ses murs à cette expression artistique, peut-être longtemps délaissée ou considérée de seconde zone, mais qui ne l’est pas du tout ! Au contraire, cela a permis à des enfants de trouver du plaisir, de l’humour et... le goût de lire ! Dans la bande dessinée, on peut effectivement trouver des histoires tantôt rocambolesques, tantôt plus sérieuses. La bande dessinée occupe aujourd’hui une place dans l’expression artistique et culturelle, et nous sommes donc fiers de nos grands auteurs, dont Hergé. Et je suis donc très content qu’on ait pu faire une nouvelle réalisation. »

« Quick et Flupke évoquent pour moi les courses de caisses à savon, les mauvaises blagues aux agents de police et aux riverains, continue le bourgmestre, plus incisif. On sonne aux maisons, puis on s’encourt : on a tous fait cela. En tout cas, moi je l’ai fait, et je vous recommande de le faire si vous ne l’avez jamais expérimenté : vous sonnez et vous détalez ! C’est une formidable jouissance, je vous assure que c’est une expérience extraordinaire à vivre ! Autre exemple, vous lâchez un pneu dans la rue pentue de l’Abricotier, il roule et atterrit en bas dans la vitrine de la confiserie "Au Fin Bec" : ce n’est pas drôle du tout...Mais, en définitive, oui, c’est drôle ! Voilà les mauvais coups qu’on peut faire dans ce quartier des Marolles : c’est ce que racontent les aventures de Quick & Flupke, une page de notre patrimoine que nous devions continuer à mettre en valeur. Nous allons d’ailleurs continuer de travailler sur le parcours BD car on y croit ! »

De g à d : Yvan Mayeur, Ans Persoons, Dominique Maricq et Nick Rodwell
Photo : CL Detournay

Fanny & Nick Rodwell participaient à cette cérémonie, ainsi que la plupart des employés du Musée Hergé qui avaient fait le déplacement. Dominique Maricq a pris la parole au nom de l’équipe du Studio Hergé pour rappeler quelques notions à l’assistance :
"La première décoration murale dédiée à Quick et Flupke avait été inaugurée le 21 août 1996 à l’angle de la rue Haute et de la rue des Capucins. [...]

Quick est apparu la première fois sur la couverture du "Petit Vingtième" le 23 janvier 1930. Au départ, ce gamin vif et alerte est un clin d’œil à un collège de travail d’Hergé, Paul Werrie, le responsable de la rubrique sportive du quotidien "Le Vingtième Siècle". Flupke, le « ketje » à l’écharpe, rejoint son ami le 13 février 1930. Ce "Petit Philippe", en bruxellois, est la transposition d’un autre ami d’Hergé, Philippe Gérard.

Le dessin de cette nouvelle décoration murale est un extrait du gag "Construction", paru le 27 août 1931 et a été redessiné dans les années 1950 pour l’édition en couleurs de Casterman. Ces aventures sont une référence à l’enfance d’Hergé qui vécut dans des quartiers populaires d’une autre commune de Bruxelles, Etterbeek. Bravo à l’équipe de peintres qui a pu reproduire ce dessin avec brio, car mine de rien, le trait d’Hergé n’est pas aussi simple qu’il y paraît."

Les planches du gag en versions noires et blanches, et en couleurs.
Photo : CL Detournay

Cette nouvelle fresque prolonge le concept de trompe-l’œil, en référence à bien d’autres éléments du parcours BD. Si le mouvement de cette case fonctionne bien dans la planche dont elle est extraite, elle paraît bien figée et moins évocatrice en étant ainsi isolée.

L’équipe des peintres félicitée par l’ayant droit d’Hergé et le Bourgmestre. Ce dernier tient la reproduction de la première apparition de Quick en couverture du "Petit Vingtième".
Photo : CL Detournay

Aux visiteurs curieux de passage dans le quartier il est loisible, pendant quelques jours encore, d’aller photographier l’ancienne représentation, à notre avis plus truculente, qui disparaîtra inexorablement dans quelques jours sous les coups des pelleteuses. Déjà le mur séparant l’agent des chenapans a été abattu. Ne tardez donc pas trop !

Un dessin promis à la démolition.
Photo : CL Detournay

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Lire notre précédent reportage consacré aux décorations murales du quartier des Marolles

[1Les Marolles sont le cœur populaire de Bruxelles. Organisé autour du Vieux Marché, au pied du mont où trône le Palais de Justice, il est traditionnellement considéré comme le lieu quartier d’origine de la ville. NDLR.

 
Participez à la discussion
1 Message :
  • Il s’agit vraiment d’une très belle ville. On n’a l’impression de découvrir des oeuvres d’art à tous les coins de rue.
    C’est une ville que j’aime visiter en me laissant perdre afin de tomber sur des choses et événements inattendus. J’avais eu l’occasion d’exposer moi même sur un mur. Il s’agissait d’une oeuvre réalisé à l’aide d’1gazon synthétique. J’ai eu l’occasion d’exposer d’ailleurs dans d’autres villes belges.
    J’espère juste qu’ils vont se remettre vite de tous les événements qui les touches actuellement.

    Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Charles-Louis Detournay  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD