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Vincent Dugomier ("Hell School") : "Malgré son interdiction légale, une forme de bizutage latent est présent dans toutes les cours d’école."

Par Charles-Louis Detournay le 14 février 2013                      Lien  
Le duo d'auteurs des {Démons d'Alexia} revient avec une trilogie dont les tomes se succèderont à un rythme soutenu. Vincent Dugomier nous explique les rouages de ce scénario qui présente une école étrange, installée sur une île, et qui développe des rites d'initiation extrêmes.

Vincent Dugomier ("Hell School") : "Malgré son interdiction légale, une forme de bizutage latent est présent dans toutes les cours d'école."Situé sur une île au large de la France, l’institut de l’excellence est considéré par tous comme une école ultra-privée de haut niveau dont les résultats ne sont plus à démontrer, mais aussi comme une école stricte, voire extrêmement rétrograde (le cauchemar de tout adolescent normalement constitué). Mais qu’importe. Que ne feraient pas certains parents pour donner toutes leurs chances à leurs enfants ou, simplement, pour les recadrer lorsque ceux-ci se montrent ingérables ?

Cependant, sous son apparence irréprochable, l’école cache un terrible secret. Pourquoi le bizutage, pourtant interdit en France, est-il discrètement maintenu au sein de ce lycée ? Pourquoi de temps à autre, un tel établissement scolarise-t-il gratuitement un orphelin ? Et pourquoi les trois décès accidentels qui ont endeuillé l’institut ont-ils à chaque fois frappé un de ces orphelins ? Ce sont les questions que se poseront Bastien, Hina, Boris et Valérie, quatre ados scolarisés bien malgré eux dans cette école, et qui refusent leur bizutage, quitte à se mettre en grand danger...

Hell School raconte donc le quotidien de ces adolescents, leurs rencontres, leurs amitiés, leurs amours, leur détresse au sein de cet établissement de plus en plus hostile, leur volonté d’écourter leur scolarité et, au fur et à mesure des albums, leur entrée dans les méandres d’une conspiration qui les dépassera.

Pour lever un coin du voile, le scénariste Vincent Dugomier accepte de répondre à nos questions concernant ce nouvel univers qu’il a créé avec Benoît Ers, après Les Démons d’Alexia :

Hell School pose un cadre et une thématique assez particuliers. D’où vous est venue l’idée de cette série ?

Benoît Ers et moi-même voulions réaliser une série sur une école presque militaire qui serait implantée sur une île. Bien entendu, nous aurions pu choisir une région plus au nord, comme la Bretagne, mais l’aspect idyllique d’une île paradisiaque nous intéressait. C’est pourquoi les élèves ont un uniforme qui fait un peu référence au style colonial, et leur cour de récréation est une plage de sable fin.

Les premières pages posent d’entrée une atmosphère assez sombre, qui tranche nettement avec le ciel azuré de la suite de l’aventure…

Techniquement, nous aimons imposer le ton de la série dans les premières pages. C’est pour cela que nous voulions créer une ambiance plus oppressante. Nous voulions aussi un paradoxe entre l’aspect paradisiaque et la rudesse de son atmosphère.

L’autre innovation de votre récit est le sujet du bizutage qui produit une forte impression au lecteur. Comment vous est venue cette idée ?

Si l’idée de départ était bien le sujet de cette école privée hors normes, nous y avions rapidement greffé cette thématique des rituels d’initiation. Le bizutage est effectivement interdit en France, mais il reste admis en Belgique, bien que les pratiques se soient fortement adoucies depuis quelques années. C’est un sujet qui me tenait à cœur, car sans jamais y avoir participé, je garde un souvenir fort d’avoir vu des jeunes personnes brimées, alors que j’habitais enfant dans un quartier estudiantin. Ce processus de dénigrement organisé m’a toujours déplu, surtout s’il s’agit d’une obligation pour s’intégrer, au risque de l’exclusion. Je trouve cela tout-à-fait anormal, et je désirais le mettre en avant dans ce récit.

On dépasse d’ailleurs le cadre restreint du bizutage pour toucher ce qui passe dans n’importe quelle cour d’école : le besoin de se rattacher à un groupe, pour se sentir plus fort…

C’est exactement cela. Nos jeunes héros tentent d’extérioriser leur personnalité, et on rencontre dans les cours d’écoles des ados avec des dreadlocks, des piercings ou des cheveux teints. Mais les cours d’école renferment ce processus d’appartenance obligatoire à un groupe, au risque d’être un loser. Nous sommes confrontés à une type de bizutage latent, avec des populaires et des rejetés. C’est plus confortable de faire partie du groupe, plutôt que de s’y opposer. L’idéologie est remplacée par le confort. Alors certains enfants et ados se mettent à renier ce qu’ils pensent ou pourraient être pour le bénéfice protégé. Je ne trouve pourtant pas que ce soit une bonne construction d’identité que de s’opposer à une autre personne.

C’est effectivement une thématique assez riche. D’ailleurs, le concept de refus d’y participer trouve ses propres limites à la fin du premier tome. Allez-vous prolonger cette réflexion par la suite ?

Oui, c’est un thème qui m’interpellait et je voulais faire vivre des personnages qui souffrent du groupe, mais qui vont eux-mêmes être amenées à rejeter d’autres personnes, afin de susciter des réactions auprès du lecteur. Puis, les inclus s’imposent aux exclus et vice-versa. Quant à la suite de la trilogie qui se centre vraiment sur ce principe d’école presque militaire sur une île, si le rituel est la pierre angulaire du premier tome, les deux autres tomes forment une enquête qui va permettre d’en apprendre plus sur l’école, et les soupçons qui naissent dans cette première partie.

Le gros avantage de cette île est d’instaurer un huis-clos. Mais au contraire des Démons d’Alexia, il n’y pas de fantastique qui risque de perturber les relations humaines ?

Oui, le huis-clos est un schéma narratif que nous apprécions énormément, Benoît Ers et moi. Il y a d’ailleurs deux albums des Démons d’Alexia qui sont construits sur cette base. Bien que nous nous sentions très bien auprès d’Alexia, nous désirions développer par ailleurs des caractères humains avec un aspect crédible. Car l’aspect fantastique peut cacher certaines vérités humaines vers lesquelles nous voulions tendre. Et c’est ce que nous avons voulu créer avec ce thriller sur cette île.

“Hell school” est-elle une parenthèse, qui vous ramènera ensuite vers Les Démons d’Alexia ?

Bonne question… Bien que nous trouvions que la série des Démons d’Alexia fonctionnait relativement bien dans ce climat assez difficile que nous traversons, Dupuis a eu une autre analyse des ventes et a préféré nous demander de suspendre la série après le septième tome. C’était bien entendu profitable de le savoir avant de rendre l’album, car cela nous a permis de composer une fin honorable, sur base des one-shots qui composaient la série depuis deux tomes. Nous n’avons pas voulu tuer la série, car le fond continue de bien tourner, et nous espérons que cela pourra reprendre peut-être un jour.

Pour revenir à Hell School, sans qu’il ait besoin de casser sa patte comme après Muriel et Boulon, Benoit Ers parvient à donner beaucoup d’humanité et de caractères à vos personnages. Comment travaillez-vous pour obtenir ce résultat ?

Cela fait plus de vingt ans qu’on se connaît, et il continue de m’étonner après tout ce temps. Son style actuel convient particulièrement aux séries jeunesse, tout en typant les personnages, les rendant autant sympathiques les uns que les autres. Il pose aussi très bien les atmosphères et les décors. Nous arrivons tous deux avec nos idées respectives, on se place à l’écoute et notre partie de ping-pong peut alors débuter. Notre travail est vraiment basé sur la compréhension. Et l’amitié !

Et pour réussir avec Hell School, vous vous imposez un rythme intensif de parution !

Le tome 2 est effectivement déjà prévu pour août-septembre, et le tome 3 sera bien entendu pour 2014 ! On a prévu un second cycle, mais on verra tout d’abord comment Le Lombard analyser les ventes. Quant aux suites possibles, ce sont encore des idées embryonnaires, car il faut laisser la série et les personnages vivent leur vie, sans vouloir les coincer de peur de les voir s’éteindre. Bien entendu, nous avons également d’autres projets et d’autres envies. Il faut toujours avoir un projet d’avance, car l’avenir en bande dessinée demeure incertain. Mais nous sommes ravis de pouvoir vivre cette école particulière qui demeure une vision exacerbée de ce qu’on pourra retrouver dans toutes les institutions, avec ses propres caïds, ses reclus, et ses histoires pas toujours nettes…

En exclusivité, une des premières pages du deuxième tome, à paraître au mois d’août, qui relance l’intrigue et les aventures de notre trio

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire notre précédente interview d’Ers & Dugomier : « Alexia hésite entre le statut de sorcière et celui d’exorciste » ainsi que deux chroniques d’un album des Démons d’Alexia : la première et la seconde.

 
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