BD d’Asie

Voyage - Yūichi Yokoyama - Editions Matière

Par François Peneaud le 10 septembre 2005                      Lien  
Voici un voyage sans paroles, qui donne à voir le pays imaginé par le plasticien Yūichi Yokoyama. Une BD inhabituelle et fascinante.

On sait bien qu’il revient aux petits éditeurs de nous faire découvrir des auteurs à part, parfois moins faciles d’accès que la plupart de leur collègues. Les éditions Matière remplissent à merveille leur rôle grâce à la publication des œuvres de Yūichi Yokoyama, un peintre/plasticien venu tardivement à la bande dessinée.

Les BD de Yokoyama possèdent plusieurs caractéristiques qui les distinguent de 99% du reste de la production : tout d’abord, elles sont pratiquement sans paroles - les onomatopées jouent elles un grand rôle ; ensuite, elles ne racontent pas vraiment une histoire, mais décrivent plutôt une séquence d’actions ; enfin, aucune psychologie n’est donnée aux personnages, qui semblent être de simples exécutants, des êtres sans personnalité précise. Les préoccupations de l’auteur sont plus proches de celles d’un artiste contemporain qui travaillerait sur la peinture, la sculpture ou l’art vidéo que de celles de la plupart des mangakas (ou des auteurs occidentaux).

Voyage - Yūichi Yokoyama - Editions MatièreTravaux publics, paru en janvier 2004, décrit en quatre "histoires" de quatre à vingt-sept pages la réalisation de grands travaux qui modifient en profondeur un paysage, une sorte de land art industriel (très loin, il faut le dire, du travail d’un Andy Goldsworthy) mais néanmoins poétique. Ces séquences possèdent une qualité onirique indéniable. Le soin apporté par l’auteur à la narration (car s’il n’y a pas d’histoire, il y a évidemment une narration), au découpage des planches, au rythme induit, tout cela montre que le lecteur est face à une bande dessinée de qualité.

Une page de Combats.

Le deuxième volume paru en juillet 2004, Combats, est encore plus étrange : dans différents environnements, des groupes de gens s’affrontent, sans parfois que l’on voit le début ou la fin du combat décrit - là non plus, l’auteur ne dit rien, mais donne à voir, en détail. On pourrait penser à un happening en BD, dans lequel des personnes recrutées au hasard suivraient les instructions d’un artiste absent de l’image mais pourtant présent dans la mise en scène. Les séquences, également de longueur variable, tendent ici à l’absurde, comme pour le très amusant combat sobrement intitulé Livres : dans ce qui semble être une bibliothèque, des personnages s’affrontent à coups de sabre et de jeté d’ouvrages. Il faut souligner l’importance énorme des onomatopées dans ce volume. Elles sont complètement intégrées au dessin (au point que l’éditeur français a intelligemment choisi de les laisser telles quelles, en ajoutant un petit sous-titre à chacune). Si ces bandes sont (presque) sans paroles, elles ne sont certainement pas silencieuses.
À noter qu’un intéressant entretien avec l’auteur clôt le volume.

Deux pages de Voyage.

Voyage, troisième et dernier volume en date publié en France, est assez différent des précédents : cette fois-ci, une seule séquence occupe les presque deux cents pages de l’album.
Trois hommes montent dans un train qui démarre vers une lointaine destination. Les passagers commencent à traverser les rames, comme les rames le paysage. L’auteur montre avec précision les différentes parties du train ainsi que les endroits que contemplent de leur cocon les passagers. Toujours pas de personnages en tant que tel, même si l’on retrouve quelques figures (chaque personne dessinée a une apparence unique, par le choix des yeux, de la chevelure, etc.) des albums précédents. Une grande variété de découpage des planches crée un rythme de lecture tout aussi varié, et l’attention avec laquelle sont construits les bâtiments extérieurs ainsi que le décor du train offre au lecteur attentif une expérience de plongée dans un monde à la fois proche et lointain du nôtre.

Les mangas de Yūichi Yokoyama sont des œuvres où la primauté est donnée à la forme sur le fond. Nul message social ou éthique n’est délivré, et l’absence d’histoire proprement dite, de conflit émotionnel, ne les rend pas moins fascinants. Il ne s’agit pas non plus de mangas que l’on lit en tournant rapidement les pages, le rythme de lecture soutenu créant un effet d’entraînement. Ici, la contemplation est de mise. Il ne tient qu’au lecteur d’apporter la concentration nécessaire à la découverte d’une œuvre subtile et ludique.

(par François Peneaud)

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