La paix, dans un territoire donné, ou plutôt gagné, et tenu, par les patrouilles organisées par les différentes communautés fédérées autour de la victoire de Rick sur Negan. Mais à la frontière, une autre groupe de survivants, eux aussi organisés pour tenir sur la durée dans ce nouveau monde bouleversé par l’irruption et la menace constante des zombies. Mais organisés selon une toute autre logique que celle déployée par Rick et ses compagnons, et certainement irréconciliable avec celle-ci.
On l’avait noté au précédent volume, qui nous avait déjà impressionné par sa capacité à relancer un univers qui semblait avoir atteint paroxysme, apogée et donc limite : un imaginaire du Far West s’était immiscé dans ce modèle des communautés développées à la manière des colonies parties à l’assaut du continent américain. Entre les hordes de zombies assimilées à des troupeaux de bétail, le renouveau de la culture et de l’artisanat, les couchers de soleil et les chevauchées dans de vastes plaines, la reconquête par l’homme de son environnement avait le goût de la conquête de l’ouest.
Et la nouvelle menace qui se dévoile au fil de ce volume s’inscrit directement au sein de cet imaginaire ô combien puissant. Car ceux qui portent sur eux des peaux des zombies pour voyager sans danger au milieu des rôdeurs ont opéré une révolution complète de leur modèle civilisationnel d’origine. En mode retour aux sources, à l’état de nature, et osmose avec l’environnement, et sa nouvelle variable, à savoir le mort-vivant.
Un état nettement plus primitif, sauvage et brutal, qui ne peut accepter les intrusions et les désirs de contrôle manifestés par l’expansion du monde de Rick ; qui fait de la préservation de sa frontière une priorité absolue, et le franchissement de celle-ci un casus belli. On se demande alors si Walking Dead ne va pas nous rejouer l’affrontement entre les cowboys et les indiens façon zombies. D’autant qu’il semble y avoir l’amorce d’une reprise de Pocahontas dans ce volume 23.
Murmures s’avère tout entier construit autour de la vie à la Colline, et notamment de l’installation de Carl dans ce nouveau foyer où il retrouve Maggie et Sophia. Mais la Colline doit faire face à des querelles intestines et gérer le problème de ces patrouilles tombées sur des troupes de rôdeurs chuchotants. Dans ce contexte, Carl fait l’apprentissage de l’adolescence, s’échine à quitter l’enfance pour essayer de devenir adulte.
Mais que le fan se rassure : le personnage reste fidèle à lui-même, impulsif, arrogant, bref, disons-le clairement, très souvent tête-à-claques. Il confirme ainsi son statut de moteur efficace de l’action. Grâce à lui, le drame prend gaillardement le chemin du fragile paradis ménagé par nos héros et l’on s’attend à un prochain volume avec son lot de casse chez les protagonistes, nécessaire pour faire avancer l’intrigue et motiver les troupes.
Pour qui sonnera donc le glas ? Pas pour la série en tout cas, qui parvient à accomplir ce tour de force de mobiliser à nouveau un lecteur qui pourrait pourtant légitimement se sentir, comme les héros, fatigués de toutes ces péripéties, où l’horreur le dispute sans cesse à l’injustice. Il y a bien quelque chose de définitivement fascinant, et proprement happant dans l’univers déployé par Robert Kirkman.
D’autant que, telle qu’elle se présente pour l’heure, la surenchère proposée par le scénariste fait sens, explore une nouveau pan du monde de Walking Dead. Espérons à présent que les personnages chargés d’animer ce nouvel acte de la série seront à la hauteur de l’enjeu.
(par Aurélien Pigeat)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Walking Dead T23 : "Murmures". Par Robert Kirkman (scénario), Charlie Adlard et Stefano Gaudiano (dessin et encrage), et Cliff Rathburn (trames et niveaux de gris). Traduction Edmond Tourriol. Delcourt, collection "Contrebande". Sortie le 16 septembre 2015. 168 pages. 14,95 euros. Version originale (The Walking Dead #133 à 138 / TPB vol. 23 : Whispers into screams) publiée aux USA par Image Comics.
Lire les chroniques des tomes 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 et 22
Lire l’interview de Charlie Adlard réalisée en juin 2014
Commander cet ouvrage sur Amazon ou à la FNAC