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"World Embryo" ou l’art de tromper le monde

Par Guillaume Boutet le 30 novembre 2015                      Lien  
Dernier tome d’une série passionnante dont l'acte final est placé sous le signe des regrets, des morts et des secrets trop lourd à portés seuls. La vérité va-t-il enfin éclater ou est-il préférable de plonger le monde dans un ultime mensonge, pour le bien de tous ?

Nous vous avons présenté World Embryo l’an dernier : un seinen manga [1] formidable mais bien trop peu connu, qui développe de façon particulièrement astucieuse un récit d’aventure et de mystère autour du mensonge, de la mémoire et de la fuite de la réalité.

Publié au Japon de 2005 à 2014 par Daisuke Moriyama, auteur du déjà remarqué Chrno crusade [2], World Embryo nous narre le combat d’une organisation secrète contre une mystérieuse infection qui se propage par le réseau des téléphones portables et transforme les individus en monstres.

La particularité de la série, et qui constitue son identité très forte, se situe au niveau de l’utilisation des thèmes de l’oubli et du mensonge. Ils donnent lieu à un système complexe de phénomènes et d’enjeux, qui sont autant de mystères à résoudre que de drames à vivre.

Le point de départ se présente à travers le phénomène lié à ces transformations en monstres : une fois le monstre tué, et donc la personne infectée qu’elle était avant cette transformation, celle-ci disparaît de la mémoire de ceux qui la connaissaient ainsi que ceux qu’elle avait tués. Les victimes sont ainsi effacées purement et simplement de la réalité, et les survivants perdent tout souvenir de leur rencontre avec ces créatures.

"World Embryo" ou l'art de tromper le monde
Le visage de la dernière menace à abattre
© 2005 Daisuke Moriyama / Shonengahosha Co.Ltd. / Kazé Manga

« Un homme meurt lorsque son souvenir tombe dans l’oubli » [3]. Une double tragédie, encore plus cruelle car personne ne pleure ces morts, seuls les héros se souviennent d’eux, immunisés grâce au pouvoir qu’ils ont reçu. Mais il se trouvent obligé de mentir au reste de la population.

De plus si une personne se trouve confronté trop violemment à un souvenir « disparu », elle peut voir son esprit endommagé. Le secret se doit donc être conservé au risque de victimes supplémentaires, ajoutant un fardeau complémentaire aux héros.

Sur cette base se développe une histoire à tiroirs, aux nombreuses sous-intrigues, mettant en scène de nombreux personnages, aux motivations et aux alignements diverses : vengeance, quête de la vérité, convoitise et évidemment sacrifice.

Plus nous avançons dans le récit et plus une évidence apparaît : l’absence de véritable "méchant" à abattre. Des antagonistes sont bien présents, comme dans ce dernier tome, mais soit ils poursuivent des objectifs de vengeance radicale, et sont tombés dans un puits sans fond de haine, soit ils ont décidé d’endosser le rôle de "méchant" pour dissimuler une vérité trop lourde.

Un secret trop lourd à porter ?
© 2005 Daisuke Moriyama / Shonengahosha Co.Ltd. / Kazé Manga

L’intrigue se trouve bâtie autour de l’Embryo, un "système aux origines obscures mais doté du pouvoir de sauvegarder et de restaurer la mémoire d’un monde complet.

Dans le passé eut lieu un certain incident, provoquant une anomalie en son sein et donnant naissance à l’Infection. C’est cette anomalie que nos héros combattent et qu’ils tentent de réparer dans ce dernier tome pour empêcher que le monde ne soit englouti dans une mer de haine, suscitée par la mémoire de morts.

Un duo de héros torturés

En somme pas de véritable ennemi, mais des personnes et des systèmes à réparer comme notre couple de héros.

Le héros, Riku, comme nous l’avions évoqué précédemment, a la mauvaise habitude depuis qu’il est tout petit de mentir aux autres, de dire ce qui arrange tout le monde, et donc de fuir la réalité. Dans la série, il poursuit également le fantôme de sa sœur décédée à travers son « clone », la jeune Neene. Une relation ambiguë où le manque d’honnêteté avec lui-même amène son lot de souffrance.

Tandis que du côté de Rena, sa compagne, cette dernière se trouve écrasée par la culpabilité d’une tragédie dont elle avait tout oublié. Elle décide de se sacrifier pour réparer le monde, au détriment de sa propre personne, ainsi que des sentiments de ceux qui l’aiment.

Takao contre Riku : un duel longtemps attendu !
© 2005 Daisuke Moriyama / Shonengahosha Co.Ltd. / Kazé Manga

Le dernier tome dénoue tout cela. Riche en actions, il fait la part belle aux morceaux de bravoures et aux derniers obstacles à abattre, apportant à chaque personnage son moment d’action et la réponse attendue. Classique sur la forme, on appréciera que le récit n’abandonne pas la densité de son histoire dans la dernière ligne droite, et se permette même d’apporter des éclaircissements à certains points… que le lecteur avait peut-être oubliés !

Une densité qui se retrouve jusque dans l’épilogue qui nous propose une ultime mini-intrigue. En effet, ce dernier tome est marqué par une ultime révélation ayant trait au monde lui-même, et notre héros décide de mentir une dernière fois pour protéger le monde pour que certaines choses restent oubliées.

Enfin de compte, Daisuke Moriyama ne nous propose pas une morale finale manichéenne, telle que « mentir c’est mal », ce qui aurait pu apparaître naïf ou facile. A la place, il rappelle une dernière fois un thème qu’il n’a cessé de développer au fil de son œuvre : il faut partager ses problèmes avec ses proches.

En effets toutes les figures de méchants de la série se sont révélées des solitaires qui ont pris sur eux un malheur et une responsabilité. Ils se sont imaginés qu’ils ne pouvaient pas les partager, cela aussi bien par égoïsme, par culpabilité, par peur d’être rejeté ou par un esprit de sacrifice peu à propos.

L’épilogue nous rappelle que face à un problème qui nous dépasse et qui peut toucher les autres, au lieu de mentir et de tout garder pour soi, il faut au contraire en parler à ses approches, tout simplement, pour décider comment il faut se comporter.

Très belle série où rien n’a été épargné à ses héros jusque dans ses dernières pages. World Embryo a su se montrer plus d’une fois touchant et émouvant, sans jamais être avare d’intrigues complexes, riches en rebondissements et en personnages attachants, que nous n’oublierons pas, même ceux tombés au champ d’honneur !

Les trois Princesses du Couffin réparant le monde
© 2005 Daisuke Moriyama / Shonengahosha Co.Ltd. / Kazé Manga

(par Guillaume Boutet)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

World Embryo T13. Par Daisuke Moriyama. Traduction Tristan Brunet. Kazé Manga, Collection "Seinen". Sortie le 18 novembre 2015. 210 pages. 8,29 euros.

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World Embryo sur ActuaBD :
- Lire la chronique du tome 11.

[1Seinen : désigne un type de manga ayant pour cible éditoriale les hommes adultes.

[2Publié initialement au Japon de 1998 à 2004, Chrno crusade compte en tout huit tomes et a été édité en France par Asuka, label ancêtre de Kazé Manga. La série n’est actuellement plus commercialisée.

[3citation bien connue de One Piece, œuvre qui accorde elle-aussi une grande place aux thèmes de la mémoire.

 
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