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Y a-t-il encore une bande dessinée belge ?

Par Charles-Louis Detournay le 25 novembre 2015                      Lien  
Les deux principales communautés belges ne s'opposent pas uniquement par la langue, mais aussi par leur approche différente sur bien des points, notamment la bande dessinée. Mais pour l’auteur de « La Belgique dessinée », les passerelles sont plus nombreuses qu’on ne le pense. Et il prouve en organisant un sacré mariage : celui du Professeur Mortimer, l'ami du Capitaine Blake, et de Tante Sidonie, l'héroïne de "Bob & Bobette" !
Y a-t-il encore une bande dessinée belge ?
Bert Kruismans détaille les droits et les devoirs des futurs conjoints

Au début du mois de ce mois de novembre que nous avons été conviés à un mystérieux événement. Dargaud Benelux et Balloon Media (le plus gros éditeur et distributeur de bandes dessinées néerlandophone) nous ont accueilli au Centre Belge de la Bande Dessinée, afin d’assister à une bien étrange cérémonie. Sous les flashs des nombreux photographes, deux acteurs grimés en Pr Mortimer (créé par E.P. Jacobs) et la tante Sidonie de Bob & Bobette (Vandersteen) ont symboliquement été mariés par Bert Kruismans, un humoriste qui caricature régulièrement certaines dérives du séparatisme belge.

« Nous sommes réunis pour célébrer l’union de deux célibataires endurcis, explique le maître de cérémonie. Qui aurait pu croire qu’après près de soixante années d’aventure, ils allaient pouvoir succomber à un tel coup de foudre ? » Bert Kruismans fit alors un discours ponctué de pointes d’humour faisant allusion à la bande dessinée et en trois langues : néerlandais, français et … anglais (Mortimer n’est-il pas écossais après tout ?)

Mariage symbolique au CBBD, entre la BD francophone représentée par le Professeur Mortimer, et la BD flamande incarnée par Tante Sidonie, l’héroïne de "Bob & Bobette"

Si cette petite saynète fit bien rire l’assemblée, elle n’était que le prétexte pour réunir éditeurs, auteurs et adeptes du neuvième art des deux communautés linguistiques majeures de Belgique, afin de célébrer la direction commune qu’ils voulaient lui donner, et d’inaugurer le lancement de La Belgique dessinée, sous-titré L’Ouvrage de référence sur la bande dessinée belge.

Un pavé dans la mare

Cet épais livre de 350 pages (disponible évidemment dans les deux langues) imprime sa thématique dès sa couverture : sobriété de prime abord, avec une maquette qui s’apparente à un rapport gouvernemental et qui tranche avec les personnages qui apparaissent derrière la forme découpée du territoire belge. En effet, les différents éditeurs ont accepté que Steven Dhondt redessine sur les pages de garde un florilège des héros représentant la bande dessinée belge : Les Tuniques Bleues, Bob & Bobette, Blake & Mortimer, Yoko Tsuno, Bessy, Jommeke, Buck Danny, Gaston Lagaffe, Spirou & Fantasio, Comboy Henk, Natacha, Néron, Jojo, Soda, Benoît Brisefer, Cati Fleur, Johan & Pirlouit, les Schtroumpfs, le Scrameustache, Uranus, le Chat, Largo Winch, Kid Paddle, Le chevalier rouge, Boule et Bill, les Krostons, XIII, Chlorophylle, etc. On pourrait croire qu’il y manque Tintin, mais un bout de tôle froissée en damiers rouge et blanc y fait une discrète allusion. Quant à la présence des Innommables et de Thorgal, l’auteur mentionne que la bande dessinée belge rayonne à un point tel que des auteurs étrangers décidèrent de s’y établir.

Le passage des alliances est toujours un moment difficile

Dans sa préface, le journaliste Geert de Weyer explique qu’il désirait donner une suite à son précédent ouvrage homonyme, et qui avait été la meilleure vente des seize livres réalisés pour les 175 ans de la Belgique. « Pendant des décennies, la Belgique a été la plaque tournante de la BD européenne. Aujourd’hui, c’est la France qui occupe cette place, mais notre influence est encore très présente. Et…Nous étions là les premiers ! »

Le ton est donné : mettant de côté la proverbiale modestie belge, le journaliste revient sur le creuset de la bande dessinée européenne, et bien des sujets qui ont construit ce qu’est devenu le neuvième art aujourd’hui. Mais surtout, il aborde les thématiques en dépassant le cadre de la langue : « Il existe de nombreux ouvrages de référence sur la BD belge, mais rarement, voire jamais, ils ne se sont intéressés à la BD belge nationale. » En effet, l’aile francophone a surtout rayonné à l’international, tandis que la partie flamande connaissait une plus large popularité dans son propre fief. Pourtant, bien des auteurs, dont des dessinateurs belges de talent, sont néerlandophones !

Petite différence de taille, rapidement corrigée par un escabeau providentiel

« Il est grand temps que cette vision manichéenne étriquée disparaisse continue l’auteur dans sa préface. « La Belgique dessinée veut rapprocher les deux régions, sans tomber dans la complaisance. […] Nous pensons que le rapport de force Flandre/Belgique de langue française est scrupuleusement respecté dans ce livre. La BD francophone y est donc plus traitée. À juste titre. Mais il rend également à César ce qui lui appartient, à savoir que la BD flamande ne se résume pas à Willy Vandersteen, Marc Sleen, Jef Nys & Bob de Moor. Oui, les auteurs flamands ont joué un rôle significatif dans l’histoire de la BD belge. Très certainement. Et ils continuent à le faire. Mais de façon différente… »

L’ouvrage brosse donc une dizaine de thématiques, qui analyse la structure de la bande dessinée belge, mais également l’influence qu’a eu son export international. En particulier, il aborde les conséquences de la censure française, qui ont considérablement modifié son paysage, notamment avec la place de la femme, de la violence et des armes à feu. Le livre est illustré avec des personnages issus des deux communautés, même si beaucoup des dessins flamands font référence à des personnages à la renommée étendue, comme les Schtroumpfs par exemple, qui apparaissent à toutes les sauces !

Les grands noms de la BD belge sont naturellement traités : Spirou et Tintin (les héros et les journaux), Publiart, Belvision, etc. Avec le chapitre des Femmes de papier et un autre consacré à la censure, celui dédié à la parodie est particulièrement éloquent, car il revient en détail sur bien des réalisations sujettes à question, mais qui ont également fait progresser le débat et la création. L’auteur s’intéresse également au lien qui était tissé entre la lecture des illustrés et le retard mental, mais également au statut des scénaristes, ainsi qu’à la position internationale et la modernisation de la BD belge.

Quoiqu’on en pense, cet ouvrage n’est pas uniquement dédié aux lecteurs belges, car tous les amateurs du neuvième art y trouveront une bonne part des constructions de notre paysage actuel. In fine, le livre tisse bien des passerelles entre deux communautés, et si la bande dessinée est y très bien abordée sous un angle actuel, le champ culturel de la Belgique en ressort grandi, chose nécessaire par les temps qui courent...

Un bisou triomphalement applaudi !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire notre interview de Geert de Weyer : « En Belgique, tant au nord qu’au sud du pays, nous possédons une part de culture commune en bande dessinée ».

Toutes les photographies sont : Charles-Louis Detournay

 
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2 Messages :
  • Y a-t-il encore une bande dessinée belge ?
    25 novembre 2015 12:53, par Sergio Salma

    Une amusante question en titre. N’y en a-t-il pas plutôt deux ? La franco-belge et la hollando-belge.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Michiel le 30 novembre 2015 à  23:17 :

      Pas d’accord. C’est plutôt une différence entre le franco-belge et le flamand. Il y a beaucoup de flamands qui font franco-belge (Pieter De Poortere, Steven Dupré, Morris, Bob De Moor), mais aussi des auteurs moins internationaux, comme Marc Sleen et Jef Nys. Mais il ne faisaient pas de BD "hollandais", comme Sjors & Sjimmie. Pas du tout ! Les BD flamandes sont pas très populaires aux Pays-Bas, sauf peut-être Bob et Bobette (qui on peut nommer franco-belge, parfois). Alors, il y a le BD belge avec la BD franco-belge (plus international, publiée dans les magazines comme Tintin et Spirou) et la BD flamande (plus locale, publiée dans les gazettes, plus concentré sur l’actualité comme des cartoons). Autre but, l’un pas plus inférieur que l’autre.

      Répondre à ce message

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