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Yacine Elghorri (Medina) : "Jean Dufaux aimait l’idée que je sois designer pour Hollywood !"

Par Nicolas Anspach le 12 novembre 2010               Medina) : "Jean Dufaux aimait l’idée que je sois designer pour Hollywood !"" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
{{Yacine Elghorri}} a publié avec une certaine discrétion quelques albums avant de s’associer avec {{Jean Dufaux}} pour créer un récit de science-fiction apocalyptique qui s’articule en trois tomes. La ville de Medina est le dernier bastion de la race humaine et tente de résister aux Drax qui ont envahi la terre. Le soldat Karlov réussi à arracher une jeune femme à ces créatures effrayantes. Elle est la clef qui peut sauver la race humaine du chaos.

Le dessinateur a appris le design auprès de grands maîtres du genre à Hollywood. Il nous parle de sa collaboration avec ces artistes d’exception, mais aussi de Medina, sa nouvelle série avec Jean Dufaux.


Yacine Elghorri (<i>Medina</i>) : "Jean Dufaux aimait l'idée que je sois designer pour Hollywood !"Pourquoi avez-vous souhaité travailler avec Jean Dufaux ?

J’avais adoré plusieurs de ses histoires, par exemple Rapaces qu’il a signé avec Enrico Marini. Je sortais d’une collaboration avec Alessandro Jodorowsky autour de L’Incal. Nous devions réaliser une spin-off consacrée à un des personnages de cette série. L’histoire aurait été muette, et découpée en trois volumes. Malheureusement, les Humanoïdes Associés ont eu quelques déboires et notre projet a avorté. Nous n’avons jamais compris la raison du manque de réaction des Humanoïdes Associés. Plus tard, j’ai fait la connaissance de Gauthier Van Meerbeeck, éditeur aux éditions du Lombard, qui m’a présenté Jean Dufaux. Je souhaitais travailler avec un scénariste connu.

Vous deviez avoir un sacré culot pour vous adresser à lui. Vous n’aviez publié que quelques albums chez Carabas (dont Bestial et Gunmann)

Pas du tout ! Je n’ai peut-être signé que quelques albums de BD, mais mon parcours est beaucoup plus long. Et mes albums chez Carabas sont passés inaperçus. J’ai travaillé pour Heavy Metal aux États-Unis et surtout pour l’industrie cinématographique d’Hollywood entre 1997 et 2001. J’ai notamment travaillé avec Phil Tippett, le responsable du design pour les deux premiers Robocop et de Starship Troopers. J’ai été également designer de personnages pour Futurama de Matt Groening. Sans parler de ma collaboration avec Jean Claude Van Damme pour l’affiche promotionnelle de « The Order » et le design conceptuel du film « Replicant, ainsi que d’autres projets tombés à l’eau. Jean Dufaux a fait des études cinématographiques et il a apprécié que je vienne aussi de ce milieu. Et puis, il se sentait en symbiose avec mon graphisme. Lors de nos rencontres nous avons parlé de nos passions, de nos envies, des ambiances que j’aimais dessiner. Il a tout de suite pensé à Medina ! C’est lui qui a eu l’idée de réaliser un récit de science-fiction. J’ai une passion pour les monstres, les créatures fantastiques.

... dans les bureaux de Phil Tippett avec "Robocop"
(c) DR.

Votre découpage est en trois bandes. Vos planches sont aérées et ne contiennent pas beaucoup de cases.

Oui. Je n’aime pas multiplier les cases comme cela se fait aujourd’hui. Ce découpage n’est pas nouveau. On ne voyait pas dans les années 1970 et 1980. Pour moi, c’est la période où les plus grands auteurs se sont affirmés. Je songe à Druillet, Richard Corben, Moebius (avec sa période Arzach), Liberatore, Enki Bilal ou encore Margerin. Ils influencent encore la bande dessinée actuelle. Certains d’entre eux découpent toujours leurs planches sur trois bandes. C’est le découpage qui convient le mieux à mon style graphique. Trop de cases nuit à la lisibilité et à la beauté du dessin.

Extrait de "Medina" T1
(c) Elghorri, Dufaux & Le Lombard.

Vous avez une vision de la bande dessinée qui diffère de celle de Juan Gimenez par exemple…

Son travail me plaît beaucoup, mais je préfère la science-fiction intimiste, conviviale, ciblée, isolée. Disons que ma vision de la SF se rapproche plus de Mad Max, des soap opera à la Star Wars, ou de Blade Runner.

Intervenez-vous dans le scénario de Jean Dufaux ?

Non. Je n’en sais pas plus que les lecteurs. Je ne connais pas le côté obscur du personnage principal, qui me paraît beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Je suis moi aussi dans l’attente. Je découvre les pages au compte-goutte. Jean tient compte de mes envies de dessin et m’interroge souvent pour savoir le type d’ambiance que j’aimerai illustrer. Jean sait où il va, mais ne me dit rien. Il a déjà écrit la conclusion. Mais il attend mes planches pour s’en inspirer pour écrire les séquences suivantes. C’est une manière de travailler assez unique !

Extrait de Medina T1
(c) Elghorri, Dufaux & Le Lombard.

Jean Dufaux doit-il se contraindre à suivre votre rythme pour ce découpage en trois bandes ?

C’est possible. Mais je ne pense pas que ce type de découpage et la thématique de la science-fiction le gène. Jean apprécie de nombreux genres d’histoire. Il est un grand amateur des films de John Carpenter. Il se sent à son aise dans cet univers, même s’il a rarement abordé la science-fiction jusqu’à présent.

Travaillez-vous toujours pour les États-Unis ?

Oui, bien sûr. Selon les demandes et mes disponibilités. D’autant plus que c’est une expérience enrichissante de travailler auprès des plus grands designers des studios hollywoodiens. J’ai travaillé avec Ron Cobb qui a assumé le design des décors du premier Alien et sur certains Star Wars. J’ai aussi côtoyé Steve Burg, qui s’est beaucoup investi dans les films de James Cameron. J’ai aussi dessiné pour une série de science-fiction aux côtés d’un autre designer sur Star Wars, Nilo Rodis-Jamero. C’est extrêmement flatteur d’être engagé par des artistes d’un tel niveau. J’ai appris énormément auprès d’eux, notamment sur la puissance du design (un design beau, solide et efficace). Ce sont des choses que l’on ne peut apprendre qu’à Hollywood ! Même en réalisant les mêmes efforts en France, je n’aurais jamais eu l’occasion d’évoluer de la même manière.

Vous disiez que vos albums aux éditions Carabas étaient passés inaperçus …

Ils ont même été sabotés ! Beaucoup de personne découvrent mon travail avec Medina. C’est triste, car j’ai déjà un long parcours artistique. On me considère comme un nouveau venu. Je suis heureux de retomber sur mes pattes et de publier cette histoire au Lombard en compagnie de Jean Dufaux. J’espère pouvoir continuer et développer des histoires dans différents univers, y compris dans d’autres genres que la science-fiction. J’aimerais illustrer un western, par exemple.

Votre couverture est simple mais audacieuse. On sent l’influence de Moebius…

J’espère surtout avoir rendu ce visage sensuel, ce à quoi je voulais tendre en le dessinant ! Mais oui, on sent les influences de Moebius et d’Otomo. J’ai d’ailleurs travaillé avec Jean Giraud sur le film d’animation Thru The Moebius Strip [1] ! Il m’a engagé comme designer. J’ai beaucoup appris grâce à lui et il m’a conforté dans mes choix lorsqu’il m’a dit qu’il appréciait mes personnages et mon esprit « design ». Plus tard, j’ai participé à l’adaptation en dessin animé de Valérian. Jean-Claude Mézières m’a fait un très beau compliment. En voyant mes dessins, il m’a confié qu’il était dommage que l’on ne se soit pas rencontrés plus tôt, sinon on aurait travaillé ensemble sur Le cinquième élément. Cela m’a ému. Il a sa propre vision de la science-fiction, tout comme Philippe Druillet.

Quel regard portez-vous sur la bande dessinée aujourd’hui ?

Je ne suis pas très amateur de la bande dessinée actuelle. Elle suit trop les phénomènes de mode et a beaucoup perdu la fraicheur et le charme que reflétaient les œuvres des grands auteurs tels que Liberatore ou Richard Corben. Les bandes dessinées actuelles manquent d’impact ! J’essaie de mettre beaucoup de distance dans mon travail. J’essaie de réfléchir sur le dessin et d’être plus « introspectif ». Mon travail pour les studios américains m’a permis de progresser très vite, de dessiner avec plus de facilité, de trouver des raccourcis et un style. Il y a des questions essentielles à se poser en abordant un univers. Pour la science-fiction, par exemple, mes interrogations étaient les suivantes : quels codes graphiques apporter ? Comment vais-je dessiner les humains ? Comment faire en sorte que les créatures restent homogènes avec le style graphique ? Souvent, les auteurs oublient d’être homogènes. C’est flagrant dans certains mangas où les personnages féminins ne correspondent pas au style graphique des personnages masculins

Jean Dufaux & Yacine Elghorri, lors de l’exposition qui leur était consacrée à Medina à "La Main Blanche" (Waterloo)
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Photos : (c) Nicolas Anspach - Sauf mention contraire.
Illustrations : (c) Y. Elghorri, J. Dufaux & Le Lombard.

[1Ce film est directement sorti en DVD. Une bande annonce est visible sur le net.

 
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