Soulignons d’abord la virtuosité de ce Tomaz Lavrić, alias TBC, tant au niveau de la composition, de l’encrage que de la narration. Nous avons là un des meilleurs talents de la bande dessinée yougoslave actuelle (même si cette nationalité est passée de mode). On retrouve un lien en effet avec les grands artistes du noir et blanc qui peuplent la côte adriatique : on pense aux Croates Maurović, le « Alex Raymond croate », à Goran Parlov, l’un des plus vigoureux dessinateurs de comics actuels, ou encore à l’orfèvre du noir et blanc Danijel Žeželj, dont nous parlions dans ces pages récemment., aux virtuoses serbes Aleksandar Zograf ou Gradimir Smudja, au Bosnien Milorad Vicanović-Maza ou encore au fabuleux raconteur d’histoire kosovar Giani Jakupi…
Avec Lavrić, nous avons aussi là un des meilleurs techniciens du noir et blanc actuel. Rien d’étonnant à ce qu’il figure dans le catalogue de Mosquito aux côtés de Sergio Toppi, Dino Battaglia, Paolo Serpieri, Danijel Žeželj déjà cité, ou Barbato, c’est une des marques de fabrique de cet éditeur et Lavric peut rivaliser avec ces maîtres. TBC avait œuvré notamment, on s’en souvient encore, sur Le Serment, le quatrième volume du Décalogue (Ed. Glénat) sur un scénario du regretté Frank Giroud..
Un Jésus atypique
Et Jésus dans tout cela ? Il est restitué ici dans une version laïque. Jésus / Yeshua n’aurait été qu’un saltimbanque rusé, rompu aux tours de magie, un thaumaturge « charlatan et voleur » si l’on en croit le témoignage de son disciple Philippe, alias Aaron, interrogé par le scribe-historien Zacharie.
Il serait le fils illégitime d’une femme de riche lignée mariée à un charpentier pour faire bonne figure, lequel était un des constructeurs du Temple, employé des Romains pour fabriquer les croix servant aux crucifiés. Ce jeune voyou assez minable aurait constitué une bande qui ambitionna un temps de renverser le pouvoir des Pharisiens sur lesquels s’appuient l’armée d’occupation romaine. Il est possible même, si l’on en croit cet album, que le futur messie ait été le commanditaire de la mort de son cousin Jean, le baptiste, un vrai saint, celui-là. Voilà ce que raconte ce témoin gênant de l’irréalité de l’esprit saint, qui finira sous le stylet de son intervieweur.
Cet évangile iconoclaste est formidablement raconté et minutieusement documenté (et saluons-le au passage, très bien adapté en français par Mathias Rambaud), même si ses réfutations, c’est leur faiblesse, ne s’appuient que sur une relecture des seuls Évangiles dont il rappelle à raison qu’ils sont l’émanation de scribes n’ayant pas connu le Christ. Il n’explique cependant pas ce miracle : pourquoi ce récit a-t-il passé les siècles pour s’imposer, à l’exclusion de tout autre, pour combler les croyances de millions d’êtres humains ? Mais comme dirait l’autre, « Ceci est une autre histoire ».
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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