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Yoshihiro Tatsumi : du dérisoire au dramatique

Par Guillaume Boutet le 10 mars 2015                      Lien  
Figure historique majeure de la bande dessinée indépendante nippone, Yoshihiro Tatsumi nous a quitté le samedi 7 mars 2015, à l’âge de 79 ans. Retour sur ce géant, inventeur d'une forme adulte de manga social et engagé.

Né le 10 juin 1935 à Osaka, c’est à l’âge 15 ans que Yoshihiro Tatsumi fait une rencontre décisive, celle de l’homme incontournable de l’époque lorsqu’il est question de bande dessinée au Japon : Osamu Tezuka, le « Dieu du manga ». Débute alors une longue carrière, qui va cependant rapidement prendre ses distances avec le style du « maître ».

En 1952, à 17 ans, il publie son premier manga, L’Île aux enfants, puis se rend bientôt compte que ce genre d’histoires destinées aux plus jeunes, nimbées de merveilleux et de naïveté, ne lui convient pas. C’est ainsi que dès 1957 il invente pour qualifier le style d’histoire qu’il veut dessiner le terme de gekiga, qui signifie « images dramatiques », par opposition avec celui de manga, signifiant « images dérisoires ».

Yoshihiro Tatsumi : du dérisoire au dramatique
Tatsumi en 1956.
Courtesy of Drawn & Quaterly

C’est ainsi que loin de l’imagerie des contes et des récits au jeune public, Yoshihiro Tatsumi va développer une bande dessinée ancrée dans son époque, évoluant dans des contextes sociaux réalistes, le plus souvent désenchantés. Ses histoires sont peuplées d’alcooliques, de prostituées et de personnages frappés par la dureté de la vie. Il n’hésite pas à décrire des scènes violentes et crues, et accorde une place centrale à la psychologie.

Ce style va donner lieu à un courant adulte de bande dessinée dont Yoshihiro Tatsumi devient le chef de file, et dont l’influence sera décisive dans l’évolution et le développement de la bande dessinée nippone, proposant une production alternative ne se vendant au début que dans le réseau des bibliothèques de prêt basées autour d’Osaka - contrairement au réseau des grands éditeurs de Tokyo.

Extrait de "Où abandonner les siens à Tokyo".
Extrait de "Good Bye" chez Drawn & Quaterly

En 1959, il crée un « atelier du gekiga » avec sept autres auteurs : Shôichi Sakurai, Fumiyasu Ishikawa, Masahiko Matsumoto, Kei Motomitsu, Susumu Yamamori, Masaaki Satô et l’incontournable Takao Saitô, auteur du futur manga de référence du gekiga, Golgo 13 (débuté en 1968 et toujours en cours !). L’expérience ne dure que deux ans, mais elle suffit pour codifier le genre, narrativement mais aussi graphiquement, et lui donner une impulsion qui va se connaître son essor dans les années 1960 et 1970.

Le développement du gekiga est à rapprocher des mouvements sociaux et étudiants de l’époque, qui vont y trouver une forme de contre-culture en adéquation avec leurs attentes et leurs revendications.

Extrait de « Night falls again » [La nuit tombe à nouveau] chez Drawn & Quaterly

De son côté, Yoshihiro Tatsumi ne va cesser de produire des récits dans ce style adulte à la diversité thématique étonnante... dont Tezuka ira jusqu’à désapprouver la démarche artistique ! Du moins dans les premiers temps, car le maître va lui aussi finir par dessiner du gekiga, avec certaines histoires de sa saga Phoenix, mais surtout avec L’Histoire des 3 Adolf (1983-1985). Dans ce récit Tezuka assimile le style de Tatsumi et l’institutionnalise en quelque sorte avec pour conséquence d’intégrer ses codes à l’industrie du manga telle que nous la connaissons de nos jours.

Notons que Yoshihiro Tatsumi fut publié en France dans Le Cri qui tue (1978-1981), puis en 1983, avec deux histoires courtes, Good bye et L’Enfer, éditées sous le titre de Hiroshima, chez Artefact, par Atoss Takemoto, créateur du Cri.

Extrait de "Où abandonner les siens à Tokyo".

Dans les années 2000, d’autres de ses œuvres sont publiées En France, chez Vertige Graphic et Cornélius : Coups d’éclat, Les Larmes de la bête, Good bye, sans oublier Une Vie dans les marges, un récit autobiographique qui a reçu le Prix regards sur le monde au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême 2012.

Une Vie dans les marges a également donné lieu à un long métrage d’animation réalisé par Eric Khoo (Be With Me, My Magic), nommé Tatsumi, sorti à Singapour en septembre 2011, après avoir été présenté au festival de Cannes 2011 dans la compétition Un certain regard. Le film est ensuite sorti en France le 1er février 2012.

Le film "Tatsumi, une Vie dans les marges" s’ouvre sur un hommage à Osamu Tezuka dont il fut l’assistant.

Enfin signalons que depuis 2002, l’éditeur canadien Drawn and Quarterly, en collaboration avec le bédéiste américain d’origine japonaise Adrian Tomine, s’est attelé à une publication annuelle et en plusieurs volumes des œuvres de Yoshihiro Tatsumi, divisées par périodes, et depuis 1969. Un travail exceptionnel et impressionnant disponible dans la langue de Shakespeare.

C’est donc un auteur fondamental qui disparaît aujourd’hui dont l’œuvre restera non seulement pour la qualité de sa représentation, débarrassée des oripeaux de la fiction du Japon contemporain , une représentation sans fard où l’individu est représenté dans un monde moderne, impitoyable et écrasant, mais aussi par la qualité graphique de son travail, qui magnifie et en même temps modernise le courant classique du manga impulsé par Tezuka. Une forme de récit que l’on regroupe aujourd’hui sous le vocable de "roman graphique" lui est pour une bonne part redevable.

Son travail a été récompensé -tardivement- par de nombreux prix internationaux : Inkpot Award (2006), Harvey Award (2007), Prix Culturel Osamu Tezuka (2009), Eisner Award (2010), Prix Regard sur le Monde (2012). Le Festival d’Angoulême lui avait remis un prix d’honneur en 2005. https://cheapigfollowers.com/buy-instagram-followers/

Yoshihiro Tatsumi a été invité par le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (où il a reçu un "Prix d’honneur") et par la Maison du Japon à Paris en 2005.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Très peu disponible en français en raison de l’arrêt des éditions Vertige Graphic, ses œuvres sont publiées par les éditions Cornélius qui sortiront en mai prochain l’un de ses derniers ouvrages traduits en français : Cette ville te tuera, en mai 2015.

Extrait de The Push-Man chez Drawn & Quaterly
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(par Guillaume Boutet)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Les œuvres de Yoshihiro Tatsumi publiées en France :

- Hiroshima chez Artefact,
- Coups d’éclat chez Vertige Graphic,
- Les Larmes de la bête chez Vertige Graphic,
- Good bye chez Vertige Graphic,
- L’Enfer chez Cornélius,
- Une Vie dans les marges chez Cornélius,
- Cette Ville te tuera (à paraître en mai 2015) chez Cornélius,

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Yoshihiro Tatsumi sur ActuaBD :

- Lire la chronique de Coups d’éclat,
- Lire la chronique de Les Larmes de la bête,
- Eric Khoo adapte Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi.

D’autres œuvres gekiga sur ActuaBD :

- Kamui-den 1/2
- Kamui-den 2/2
- L’âme du kyudo
- La Loi du temps
- Best 13 of Golgo 13

Toutes les illustrations, sauf mention contraire sont (c) Yoshihiro Tatsumi et ses éditeurs.

Les photos de Tatsumi sont, sauf mention contraire, de D. Pasamonik (L’Agence BD)

 
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1 Message :
  • Yoshihiro Tatsumi : du dérisoire au dramatique
    11 mars 2015 00:30, par La PLume Occulte

    C’est rien de dire que c’est un monument du 9 ème art qui nous a quitté, l’élan que Tatsumi a donné au manga ne date pas d’hier, vraiment pas. Dans d’autres écoles de la BD dans le monde c’était encore avant ; tout ça pour ceux qui insistent encore pour répéter jusqu’à l’absurde que ce style de récits n’existe que depuis vingt ans.

    Répondre à ce message

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