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Yvan Delporte, la barbe la plus célèbre de la BD...

Par le 6 mars 2007                      Lien  
{{Alain De Kuyssche}}, qui fut rédacteur en chef du magazine Spirou, rend hommage à son prédécesseur dans trois textes qui seront publiés le 4 avril prochain, dans le numéro du journal Spirou consacré à {{[Yvan Delporte->4868]}}. Des textes émouvants qui nous permettent de mieux comprendre ce malicieux scénariste.

La barbe la plus célèbre de la BD

A croire qu’il fut le seul bébé à naître barbu ! On trouve difficilement une photo d’Yvan Delporte rasé de près et de frais. A-t-il voulu les faire disparaître ? On se demanderait bien pourquoi. Simplement, cette barbe, c’était le symbole de sa pudeur : il ne parlait pas beaucoup de lui-même. Une misère pour les amateurs d’infos people.

Rares sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir recueilli des confidences intimes de la part de ce personnage, par ailleurs flamboyant dès qu’il parlait boulot, copains, musique, souvenirs professionnels.

Yvan Delporte, la barbe la plus célèbre de la BD...
Delporte par Franquin
(c) Franquin, Dupuis et Marsu-Productions.

Donc, abandonnant la stupide idée de vouloir publier une photo d’un Delporte glabre. Car si une barbe a marqué l’histoire de la bande dessinée et des Editions Dupuis, c’est bien celle-là. Retrouvez-la dans les aventures de Spirou. Bill (le chien de Boule) a poussé un kaï de frayeur lorsque le barbu a surgi dans un gag imaginé par Roba. On l’a vu dans Lucky Luke, et Rantanplan ne s’en est pas encore remis. Même topo chez Natacha – sauf qu’elle n’a pas poussé un kaï.

Collectionneurs, spécialistes, historiens, fouineurs, pinailleurs, à vos neurones : la barbe de Delporte est la guest star la plus célèbre des petits miquets !

La barbe d’Yvan, c’était le nez de Cléopâtre, ou si l’on préfère une comparaison moins audacieuse, elle devint aussi célèbre que la barbe fleurie de Charlemagne.

Objet préservé, aussi. Ce n’est pas Delporte que l’on aurait surpris à lancer de stupides défis du genre : ‘Si j’ai tort, je me coupe la barbe’, ‘J’en mettrais ma barbe au feu’, ‘Donnez-leur un poil, ils vous prennent la barbe’, ‘Qui vole un poil, vole une barbe’.
C’est aussi un grand mystère. Fumeur compulsif (on l’a vu allumer une cigarette avec le mégot incandescent de la précédente), il a réussi la prouesse de ne jamais livrer sa pilosité aux flammes. Mais il avait un truc : il ne fumait que la moitié des cibiches. Dès que l’extrémité brûlante du petit cylindre à nicotine approchait de la lisière des poils de menton, Yvan passait à la suivante. Il est ainsi devenu le bienfaiteur des fabricants de cigarettes : c’est comme s’il fumait la moitié d’un paquet et jetait l’autre. Ou, si vous préférez, il achetait deux fois plus de cigarettes qu’il n’en fumait.
Ca n’en restait pas moins très mauvais pour santé, mais ça préservait la barbe.
Confidence de cette dernière : ‘J’ai souvent eu chaud, j’ai beaucoup crâné, mais je n’ai jamais cramé’.

Gaston Delporte ?

Delporte par Franquin. Le modèle du gaffeur ?
(c) Franquin, Dupuis et Marsu-Productions.

Il faut avoir connu Yvan vers les années 1956-57 pour ne plus douter du fait qu’il a fortement inspiré le personnage de Gaston, au moins pour son accoutrement. Quelques exemples :
Le pull de laine verte à col roulé : emblématique ! Avec les chemises à carreaux, Yvan Delporte ne portait que des pulls tricotés, informes, parfois rapiécés, tout le contraire d’un justaucorps bien serrant. Si la barbe n’a pas eu trop à souffrir des cigarettes, les pulls ont connu les cendres, négligemment écrasées et s’incrustant du coup dans les mailles du tricot ; il y eut aussi l’une ou l’autre braise tombant sur le vêtement pour y creuser son trou. Les pulls de Delporte présentaient, eux aussi, un grand mystère : chauds en hiver, frais sous la canicule. Je dis ça sans les avoir essayés. Simplement, je n’ai jamais vu Yvan suer à cause de ses pulls en laine.

Les jeans : pas très original comme accessoire, sauf que dans les années 50, ça faisait encore très zazou. Comme ceux de Gaston, les jeans du rédacteur en chef n’ont pas eu le bonheur de faire la connaissance d’un fer à repasser. Même neufs, ils donnaient l’impression d’avoir traversé trois galaxies.

Delporte et son éternel duffel-coat
(c) Franquin & Marsu Productions.

Le duffel-coat : une invention anglaise. C’était un manteau taillé, à l’origine, dans du tissu de récupération. Il fallait que ça soit chaud, increvable, pratique. La couleur était d’un jaune sable dans lequel la poussière n’apparaissait pas trop vite. Les poches étaient appliquées, c’est-à-dire cousues à hauteur des hanches. Elles ne comportaient pas de rabat, ce qui fit le bonheur des pickpockets d’après guerre. Il y avait aussi un capuchon qui donnait un air de moine à celui qui le passait par temps de pluie. En revanche, il n’y avait pas de boutons de fermeture, ce qui permettait d’éviter de tailler des boutonnières. Le fabricant avait préféré des bouts de bois qui s’accrochaient dans une boucle de corde pour fermer le vêtement. Autre précision : le tissu des duffel-coats était d’une solidité à toute épreuve. Un petit malin accrocha un duffel-coat entre une locomotive et un wagon. Le vêtement ne rompit pas !

La cuisine amusante : le thon à la confiture, le cassoulet au chocolat, les hamburgers pas très nets, c’est pas Gaston qui a inventé ces machines à indigestion, c’est bien Yvan Delporte. Mon estomac peut témoigner. Yvan avait une conception assez personnelle de la cuisine, pourrait-on dire. Admirateur en secret de l’american way of life, il fut un grand consommateur de MacDo. Le seul problème, c’est qu’il menait rarement ses expériences culinaires dans une cuisine – pas la sienne, en tout cas, parfois celle des autres. Petit avis aux occupants actuels de l’ancienne rédaction de Spirou : s’il flotte une odeur que tous les traitements ne sont pas parvenus à éradiquer, ne vous inquiétez pas. Certains plats cuisinés par Yvan sur un coin de bureau dégageaient une odeur très tenace.

Les inventions sublimes et inutiles : la ville de Bruxelles vient d’inaugurer une fresque murale représentant Gaston lançant un yoyo de la fenêtre du deuxième étage… sur la tête d’un passant. Je me souviens de Franquin et Delporte, en visite chez Morris. C’est le père de Gaston qui lança : ‘Je me demande jusqu’à quelle longueur de ficelle un yoyo est capable de remonter jusque dans la main de celui qui le lance ?’. Très grave, Morris se plongea dans une réflexion profonde, tandis qu’Yvan, mine de rien : ‘Faudrait essayer…’. Dix minutes plus tard, Morris était debout sur le toit de sa villa et lançait un yoyo au bout d’une ficelle de quinze mètres de long. Du sol, Franquin et Delporte étaient prêts à recueillir les résultats de cette expérience bouleversante. C’est Franquin qui prit le yoyo sur la tête.

Comment devient-on Yvan Delporte ?

Il était né le 24 juin 1928, mais jusque dans ses dernières années, il a pensé plus jeune que nombre de petits jeunes nés le 24 juin 1982. Quelques fils d’argent avaient envahi la barbe, mais les neurones fonctionnaient à merveille. Un peu comme ces voitures, dont la carrosserie a connu quelques aléas, mais dont le moteur ne bouge. Chez Delporte, le moteur toussait, tout au plus, mais c’était pas sa faute. La cigarette, si vous voyez ce que je veux dire…

Yvan Delporte - Autoportrait
Réalisé pour le festival d’Amiens.

Avec Maurice Rosy, il forma l’équipe de choc qui fit de Spirou un journal légendaire. Je reste persuadé que si Spirou a survécu à tous ses concurrents, il faut en être reconnaissant à Delporte. Quand on parle d’un magazine de BD, il faut, à un moment ou l’autre, le comparer au Spirou des années 55 et 68, les années Delporte.
Quelques bribes de souvenirs. Le premier journal à l’encre parfumée ? Un Spécial Printemps de Spirou. Objectivement, ça ne sentait pas très bon, mais j’en garde un doux parfum dans ma mémoire. Le premier magazine dont la couverture changeait de couleur si on le glissait dans un frigo ? Encore Spirou. La première couverture métallique, imaginée par Michel Matagne ? Ben oui, vous avez compris.

Et les mini-récits, ce réservoir de futurs géants de la BD, c’est bien dans Spirou que cela se trouvait. D’ailleurs, sans les mini-récits, Boule et Bill n’auraient peut-être pas vu le jour.

Comment devient-on Yvan Delporte ? Par exemple (ce n’est qu’un exemple, j’insiste), en entrant aux Editions Dupuis, à 17 ans, en 1945.
Par exemple, en effectuant avec soin son premier boulot : rhabiller Jane dans les planches américaines de Tarzan, que le curé de Marcinelle trouvait trop troublante (Tome et Janry n’ont rien inventé !).
Par exemple, on s’essayant au scénario, en produisant un Valhardi pour Eddy Paape.
Par exemple, en créant avec René Hausman, la première BD préhistorique, Saki et Zunie – plus tard, il retâtera du Pléistocène avec Onkr, dans le Journal de Mickey, et, cette fois, avec Tenas.
Par exemple, en s’envoyant dans les airs, et plus exactement le cosmos, avec les aventures d’Alain Cardan, dessinées par Gérald Forton.
Puis, en collaborant avec Peyo (Schtroumpfs, Benoît Brisefer), Roba (La Ribambelle), Follet (les Zingari), Will (Isabelle), Jannin (Arnest Ringard). Ce ne sont là que des exemples.

Si on veut devenir Yvan Delporte, il faut aussi savoir imaginer le Trombone illustré (et avoir 49 ans pour y arriver – nous sommes en 1977), ce diabolique supplément, qui ne vécut que 30 numéros, mais tout le monde parle encore.
J’allais oublier la musique (ah, les collectors du Boy’s Band Dessiné…) et le dessin animé, puisqu’il a adapté les Schtroumpfs pour la télé.
Ce ne sont là que les jalons les plus marquants dans une carrière bien remplie. Unique. Car pour devenir Yvan Delporte, il faut d’abord être Yvan Delporte, non mais, par exemple !

Textes d’Alain De Kuyssche

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5 Messages :
  • Yvan Delporte, la barbe la plus célèbre de la BD...
    6 mars 2007 21:39, par jean-yves

    l’age d’or de la BD , pour moi en tout cas . La période la plus farfelue/fantaisiste de Spirou.

    Un immense regret : que ce sacré bonhomme n’est pas ecrit des mémoires : quelle perte pour l’histoire de la bd , quelle plaisir manqué de ne pas lire toutes les anecdotes qui ont du remplir sa vie .Et pas seulement des anecdoctes bien sur !

    J’esperes vraiment qd meme trouver un jour un ouvrage sur lui , a base d’interviews de gens qui l’ont connus ou/et reprenant des interviews de lui

    dans le meme ordre d’idée , je pense a rosy , tj vivant et qui lui aussi a amener sa pierre a l’edifice spirou : a quand une interview conséquente ?

    je repenserais encore plus a delporte quand je retomberais sur sa silhouette glissée dans les séries de roba, franquin and co

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    • Répondu par JPR75 le 7 mars 2007 à  00:29 :

      Delporte n’a pas écrit ses mémoires sans doute par modestie. Un travers (ou une qualité) que partagent pas mal d’auteurs de sa génération, pour qui la BD était un artisanat et une source d’amusement plus qu’un art ou un vulgaire business.

      Ce qui reste impardonnable, c’est la légèreté (pour ne pas dire plus...) des fameux journalistes professionnels. Car il me semble que depuis trente ans, ce sont surtout des fanzines (tirés entre 500 et 2000 exemplaires) qui ont recueilli les confidences d’Yvan. Maintenant qu’il n’est plus,il ne reste plus qu’à regretter le grand livre qui aurait pu témoigner sur une grande période Dupuis. Bien qu’avec un peu de travail, un journaliste-pro pourrait compiler toutes ces interviews parues ici et là pour nous pondre un bel ouvrage grand-public.

      Je dois avoir un trou de mémoire, quels albums de Delporte ont été couronnés par un prix ? Il faut dire que son nom n’était pas forcèment écrit en gros sur les couvertures de séries bien vendeuses d’auteurs parfois en panne d’inspiration scénaristique.

      Le grand problème de Delporte c’est d’avoir eu trop de talent et trop d’idées bien trop tôt. C’est le contraire des jeunes auteurs récents qui paradent avec deux albums publiés et un prix récolté au festival BD de Gif-sur-Yvette (902 visiteurs).

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    • Répondu le 7 mars 2007 à  08:58 :

      Pour ce qui est de ses mémoires, nous préparons, Christelle et moi, une monographie sur Yvan depuis 4 ans (maintes fois interrompue, hélas). Fort heureusement, les entretiens avec Yvan étaient finalisés...Reste à recueillir encore quelques témoignages et à mettre en forme et en pages, ce qui n’est pas la mondre des choses. La parution devrait se faire chez Granit.
      Christelle & Bertrand Pissavy-Yvernault

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      • Répondu par BD75Paris le 7 mars 2007 à  19:11 :

        Mieux vaut tard que jamais, comme disait l’autre. j’espère juste que la pagination ne sera pas alourdie par des dizaines d’hommages posthumes (l’oeuvre de Delporte est suffisamment vivante pour échapper à ça).

        Message aux éditeurs en panne d’inspiration : plutôt que de nous refourguer votre énième présentation de Qwerty ou XYZ (séries vendeuses...), ou le dernier clone de tel auteur à la mode, si vous en profitiez pour une édition en album de l’Onkrakrikru ? Publiée dans les années soixante dans les pages de Mickey à raison de deux pages par semaine, cette série originale et drôle n’a jamais été reprise en albums... le gamin de six ans que j’étais en garde pourtant un délicieux souvenir, mais je ne veux pas acheter des dizaines de reliures juste pour cette série atypique !

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      • Répondu par MD le 7 mars 2007 à  20:04 :

        J’ai connu - peu - il y a longtemps, Yvan, drôle de "doux dingue"... chez qui j’ai eu la "chance" (et l’étaonnement de rencontrer une "jeune" femme - elle devait l’être moins que moi - et un pigeon, un vrai... La "jeune femme, c’était Claire Brétécher - que je ne connaissais pas encore, avant que de lui vouer un "culte" !!! J’ai failli connaître le "petit lion", etc.
        J’ai surtout connu son fils Bertrand qui fut mon copain, mon ami peut-être - qui est mort suicidé à New-York il y a quelques années... Il était fou de rock - et incollable en la matière !!!

        Il nous a fait gagner des dizaines de places de concert - et Claude Delacroix aurait pu en parler longuement... Bien à vous. Bien à vous, Yvan, après Bertrand... Marc Dubois

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