Nous avons plus d’une fois mentionné l’humour caustique et empreint de dérision de Fabcaro dans une sélection d’albums (voir la liste de ces chroniques ci-dessous), et notamment l’association détonante qu’il avait formée avec James & BenGrrr dans la trilogie Amour, passion et CX diesel.
Dans Zaï zaï zaï zaï publié chez 6 pieds sous terre en mai dernier, l’auteur approfondit cette forme d’humour grinçant pointant les incongruités de notre société. Il y décrit la cavale folle d’un auteur de BD pris en flagrant délit d’avoir oublié la carte de fidélité de son supermarché : un incident qui va bouleverser la France entière ! Voici ce que en nous écrivions alors : « "Zaï zaï zaï zaï" mêle dérision, satire de la société de consommation et des rapports artificiels qu’elle engendre, humour absurde, réflexion alambiquée sur le milieu de la bande dessinée, critique des médias et de leur exagération des faits, amplification des raccourcis de la pensée, stigmatisation d’un racisme latent, humour de situation, etc. Les registres abordés par Fabcaro dans cet étonnant road-movie sont aussi drôles qu’intéressants. »
« Après un prologue de trois pages, cette dénonciation de nos travers quotidiens tient au rythme d’une situation par page, souvent dans un gaufrier de six cases. Chaque planche (ou double-planche) présente un récit qui progresse au gré de la cavale sans issue du héros, de son rapport à ses proches, à des personnages récurrents ou intermittents. En dépit d’une petite baisse de régime en deuxième partie du récit, c’est avant tout pour son ton décalé que cet album nous a conquis. Ce récit burlesque et absurde est aussi désopilant qu’intéressant. Quel magnifique exercice de style ! »
« Un album détonnant qui va encore faire parler de lui ! », écrivions-nous en conclusion de notre article. En effet, quelques mois plus tard, en octobre dernier, était remis le Prix Landerneau BD 2015 des des Espaces Culturels E.Leclerc. Philippe Geluck, le président de ce jury avait insisté pour que son coup de cœur Zaï zaï zaï zaï, soit primé. Il avait découvert, selon ses mots, « Un genre d’humour qu’il ne connaissait pas », un sacré compliment de la part d’un orfèvre qui décline toutes les gammes de la dérision dans ses livres, ses spectacles et ses chroniques, et ceci depuis plus de quarante ans ! Mais l’humoristique belge dut se plier au vote démocratique de la majorité du jury de libraires Leclerc et accepter que le Prix soit décerné à Manu Larcenet pour Le Rapport de Brodeck (Dargaud) d’après le roman de Philippe Claudel, un choix tout aussi justifié, il est vrai.
Le papa du Chat fut cependant à ce point séduit par la lecture de l’album de Fabcaro qu’il avait décidé de lui adresser un prix spécial. Voici ce qu’il nous en a dit il y a quelques jours encore : « J’ai décider d’attribuer à "Zaï Zaï Zaï Zaï" le Prix Philippe Geluck 2015, d’une valeur de mille euros accompagné d’un dessin original, que je remettrai personnellement à Fabcaro le jour où nous nous rencontrerons. C’est la première (et peut-être dernière, on ne sait jamais) édition de ce prix. »
Auprès des libraires, le buzz n’en était pas moins probant lorsque l’album se retrouva dans la short-list du Prix de l’association des critiques et des journalistes de bande dessinée (ACBD), figurant au Festival BD-Boum de Blois parmi les cinq finalistes de leur Grand Prix de la critique 2016 : Catharsis de Luz, (Futuropolis), Ici de Richard McGuire (Gallimard), Le Piano oriental de Zeina Abirached (Casterman) ; Tungstène de Marcello Quintanilha (Çà et là), et … Zaï zaï zaï zaï de Fabcaro (6 Pieds sous terre) !
En début de semaine, l’ACBD, forte de 87 membres, a tranché en récompensant cette fable pseudo-autobiographique d’un auteur de bande dessinée au moment où cette profession n’a jamais été autant fragilisée.
« D’un trait réaliste, mais léger, explique l’ACBD pour motiver son choix, en usant d’un dessin minimaliste dans lequel les postures comptent plus que les visages et les détails, où les décors sont à peine posés, Fabcaro raconte une fuite en avant devant le réel qui joue sur les codes de notre quotidien, les détourne par l’absurde et nous interpelle. « Zaï zaï zaï zaï » est le miroir grinçant et drôle de nos petites vies confortables et apeurées. Journalistes, retraités, gendarmes, caissières, députés, vous et moi, chacun en prend pour son grade. Fabcaro n’épargne même pas le héros à boucle d’oreille dans lequel on reconnaît l’auteur. »
Alors que, Carnet du Pérou, le précédent ouvrage de Fabcaro paru chez 6 pieds sous terre, avait été sélectionné au précédent festival d’Angoulême, il nous semble incontournable que Zaï zaï zaï zaï figure dans la sélection de cette année… Quitte à devenir L’Album de l’année ainsi que Fabcaro titrait avec une pointe d’ironie un précédent album paru à La Cafetière.
Cela dit, Zaï zaï zaï zaï rafle tous les prix en ce moment, au point que l’on peut parler de phénomène : Prix Ouest-France/Quai des Bulles 2015, Prix "coup de cœur" Landerneau 2015, BD RTL du mois de mai 2015. Il est également dans les sélections du Prix des libraires de bande dessinée 2016, du Prix SNCF du Polar 2016, du Prix Libr’à nous 2016 et du Prix Cézam Pays-de-Loire 2016.
Avec, in fine, des lauriers à Angoulême ?
Premier élément de réponse : ce mardi 15 décembre pour la présentation officielle de la sélection du 43e Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême.
(par Charles-Louis Detournay)
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Toutes les illustrations sont issues Zaï zaï zaï zaï par Fabcaro (6 pieds sous terre).
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Lire la chronique de Zaï zaï zaï zaï, ainsi que notre article concernant la remise du Prix Landerneau BD 2015 des des Espaces Culturels E.Leclerc
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