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Zhang Weijun : « Pour nous, Tintin, c’est le San Mao des Belges ! »

Par Laurent Melikian le 22 mars 2014                      Lien  
Le cadet des enfants de Zhang Leping, décédé en 1992, gère avec sa famille le futur du plus populaire personnage de bande dessinée chinoise. Alors que San Mao est enfin publié en français, il explique à quel point le petit orphelin des rues de Shanghai est une référence dans son pays et comment il perpétue sa mémoire et celle de son père.

Avant de parcourir cet interview, il est recommandé de lire notre article concernant San Mao

Les Européens ont tendance à comparer San Mao avec un autre orphelin de Shanghai, Tchang l’ami de Tintin. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que San Mao ressemble surtout à Tintin. Zhang Chongren (transcription actuelle de Tchang Tchong-jen, l’ami d’Hergé ayant servi de modèle pour le personnage de Tchang, ndlr) qui était ami avec mon père, lui a parlé d’un personnage de bande dessinée en Europe s’appelant Tintin et qui ressemble un peu à San Mao. Pour nous, Tintin, c’est le San Mao des Belges.

Pensez-vous que tout chinois se reconnaît en San Mao ?

Oui, beaucoup ! Beaucoup de Chinois ont vécu une misère équivalente dans leur enfance. Ceux qui ont connu l’armée se reconnaissent aussi dans San Mao à l’armée. Aujourd’hui les parents se réfèrent à lui pour sermonner leurs enfants : «  Regarde ! San Mao n’avait rien. Toi tu as tout et tu refuses de manger !  » On se reconnaît aussi en lui par sa bonne humeur et son optimisme même dans les moments les plus dramatiques.

Zhang Weijun : « Pour nous, Tintin, c'est le San Mao des Belges ! »
Un extrait de San Mao, le petit vagabond
© Zhang Leping

Estimez-vous être le petit frère de San Mao ?

Tout le monde me dit ça ! C’est un peu encombrant. J’ai étudié les beaux-arts et entrepris une courte carrière de peintre avant de me tourner vers la décoration intérieure, c’est ma passion. Aujourd’hui ma vie se partage entre la décoration et la gestion des documents laissés par mon père. Nous entretenons un musée à sa mémoire situé à Hai Yan, sa ville natale à 100 kilomètres au sud de Shanghai.

Quelle a été la vie de votre père après San Mao ?

Après les années 1950, San Mao a continué d’exister. Il s’agissait de travaux de commande dont mon père devait s’acquitter. Il ne les aimait pas, on lui dictait les scénarios. Avant la révolution culturelle, il a été accusé de dérives droitières, il a été sauvé par le fait d’avoir créé San Mao qui était déjà très populaire. Pendant la Révolution culturelle, il s’est de nouveau retrouvé sur la sellette pour San Mao à l’armée, car il a représenté l’armée nationaliste du Kuomintang [antagonistes du Parti communiste chinois, NDLR] avec laquelle mon père a combattu contre les Japonais. Cela a été une grande douleur. San Mao à la guerre n’avait d’ailleurs pas été réédité dans les années 1950. Il a fallu attendre la fin de la Révolution culturelle pour les Chinois puissent le lire à nouveau.

Un exemple de gag de San Mao des années 1950
© Zhang Leping

Quand on visite une librairie chinoise, on est impressionné par le nombre d’éditions différentes réalisées avec San Mao. Pouvez-vous contrôler tout ce qui est produit avec ce personnage ?

Mon frère Sujun et moi, nous en chargeons. Il y a encore quelques années, il n’existait aucune règle en Chine vis-à-vis du droit d’auteur. Aujourd’hui nous y parvenons mieux. Et pour tout vous dire, certaines éditions m’ont choqué, notamment des recueils mis en couleur de manière très médiocre.

Un recueil actuel des premières aventures de San Mao

Statue de Zhang Leping avec San Mao devant le musée dédié à Zhang Leping à Hai Yang
© DR

Comment se compose votre famille ?

Nous sommes sept frères et sœurs, toutes les décisions courantes sont prises en commun. Pour les questions plus importantes, nous nous réunissons aussi avec les enfants adoptifs de mon père.

Avez-vous approuvé les récents dessins animés produits par la télévision où San Mao se retrouve dans l’espace ?

Je les ai approuvés, même si je n’en suis pas très satisfait.

Est-il envisageable de réaliser une suite aux aventures de San Mao en bande dessinée ?

Oui, c’est possible. Nous avons toujours cherché quelqu’un pour le dessiner. De nouvelles histoires permettraient au personnage de continuer à vivre. Mais il faut en garder l’esprit, ce qui n’est pas facile. Nous avons déjà eu des réunions familiales à pour nous accorder sur cette question. Un de mes frères a commencé à le dessiner, mais il est tombé malade. San Mao est trop précieux dans l’imaginaire chinois pour faire n’importe quoi.

Que sont devenues les planches originales de San Mao ?

Il en reste très peu. Avec notre accord, mon père en a fait don au Musée des beaux-arts de Shanghai.

Un extrait de San Mao, le petit vagabond où suivant l’exemple d’un paysan forcé de vendre ses enfants, San Mao se vend lui-même, un reflet terrible du quotidien de Shanghai dans les années 1930 et 1940.
© Zhang Leping

En France, les éditions Fei ont choisi de ne publier que deux histoires, San Mao le petit vagabond et San Mao à l’armée. Qu’en pensez-vous ?

Pour mon père, il s’agissait du meilleur de San Mao. Ces deux histoires reflétaient complètement sa pensée. Elles suffisent à San Mao.

S’agit-il de la première adaptation de San Mao en langue occidentale ?

Il y a eu une édition en Anglais produite à Hong Kong. Pour l’Europe, c’est une première. Je suis très heureux de cette initiative, je me suis d’abord dit que ce livre allait intéresser les Chinois de la diaspora. Ensuite je suis venu au Festival d’Angoulême et je me rends compte qu’il existe un climat très vivifiant pour la bande dessinée en France. Je suis très heureux de cette initiative.

Merci à Christine Yayun Wang pour sa précieuse traduction

(par Laurent Melikian)

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Photo en Médaillon : Laurent Mélikian

 
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2 Messages :
  • Je me réjouis de cette belle édition française de San Mao ! Ces gags à l’envers, qui commencent par un sourire et terminent souvent en larmes, sont terrifiants. Merci pour ces deux articles !

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    • Répondu par Philippe Capart le 6 avril 2014 à  16:26 :

      J’ai lu l’ouvrage et il est très bien. Côté présentation historique, il manque un certain recul et de références. Il me semble que le personnage nord américain d’Henry de Carl Anderson (1932, en dessin animé en 1935) est une influence directe (mime, chauve, simplicité). Et la propagande par la bande et la montée de le militantisme du dessin de presse (dont la bande dessinée fait partie) de la fin des années 20 et début 30 fait partie intégrante du cocktail (dont Tchang et Hergé sont aussi issus). L’histoire de la bande dessinée est encore un peu trop engoncée dans les frontières d’états.

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