BD d’Asie

La revanche d’Osamu Tezuka

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 janvier 2004                      Lien  
Les Japonais l'appellent « Le Dieu des Mangas » (Manga no kamisama). Un surnom qui n'est pas usurpé : Avec une production de plus de 150.000 planches de BD, 500 albums vendus à plus de 100 millions d'exemplaires et 88 dessins animés et séries d'animation, Osamu Tezuka (1928-1989) est un titan, probablement le plus grand auteur de BD de tous les temps. Pour la première fois cette année, il est nominé au Festival d'Angoulême, tandis que ses œuvres sont enfin disponibles les librairies françaises.

Angoulême 1982. Paul Gillon est président. La visite de Jack Lang et de Georges Filloud émoustille le Festival. Yves Mourousi fait le voyage et consacre le Journal de 13 heures de TF1 à cette ville de province qui fait des bulles avec un succès grandissant. L’ineffable ministre de la Culture de François Mitterrand découvre à cette occasion au Musée municipal les planches originales des plus grands auteurs de BD. Le futur CNBDI a peut-être été imaginé ce jour-là. Dans les bacs, les amateurs découvrent « Pervers Pépère » de Gotlib, « Les Idées noires » de Franquin, le premier album de « Canardo » de Sokal, « Ranx Xerox à New-York » de Liberatore et Tamburini. Le thème du 9ème Salon ? « La BD et son avenir. » Tout un programme.

Dans l’indifférence totale

Dans les allées, un petit homme se promène. Il n’est pas de chez nous, mais il porte un béret basque, en hommage à Foujita de Montparnasse. Il ne parle pas le français et son anglais est sommaire : Il est japonais. C’est Osamu Tezuka. Il vient présenter dans une salle de cinéma de la ville son dernier film Phoenix 2772 (Hi no Tori 2772), le long métrage d’animation le plus cher jamais réalisé au Japon. Comme lors de l’avant-première de Métropolis vingt ans plus tard, la salle est quasi vide. Personne ne s’intéresse à ce dessinateur inconnu. Il passe un peu de temps sur le stand du premier magazine consacré aux mangas en France : Le Cri Qui Tue. Il obtient de rencontrer Moebius, un auteur qu’il a découvert grâce à Katsuhiro Otomo et qu’il admire sincèrement. Il invite l’auteur de L’Incal à Kyoto pour le mois de juillet de l’année suivante pour qu’il y présente la première des « Maîtres du Temps ». Le jeune scénariste François Corteggiani qui le rencontre presque par hasard lors de ce Festival et avec lequel il sympathise, aura lui aussi les honneurs d’une invitation dans sa maison de Kurume-Shi.

La revanche d'Osamu Tezuka
Une nouvelle édition chez Asuka
Publiée précédemment chez Glénat, cette oeuvre de Tezuka retrouve les librairies grâce à un nouvelle éditeur.

Tezuka, mode d’emploi.

22 ans après cet épisode, les mangas font un triomphe en France. Ils occupent 30% de la production nationale. En écrivant leur histoire, on redécouvre Tezuka. Les éditions Glénat traduisent ses œuvres les plus notoires : Astro Boy, Le Roi Léo, Black Jack et Tonkam, celles jugées plus difficiles : « L’Histoire des trois Adolf », « Bouddha », « Phénix », « Le Cratère »... Mieux : avec Ayako dont le troisième volume sort ces jours-ci chez Delcourt pour la première fois, une des ses œuvres figure parmi les nominés du Festival. Par ailleurs, une foule de nouvelles éditions arrivent sur le marché ces jours-ci : BlackJack chez Asuka, une nouvelle maison d’édition qui a décidé de mettre Tezuka à son programme, en reprenant cette série abandonnée par Glénat.
Si vous ne connaissez pas le maître japonais, nous vous proposons de lire en premier lieu les trois œuvres suivantes.

L’Histoire des 3 Adolf
Un chef d’oeuvre qui parle de la Shoah.

L’Histoire des 3 Adolf, la Shoah racontée par un Japonais.

Publié en 1983, L’Histoire des 3 Adolf est un point de vue d’exception : il est le seul exemple connu en bandes dessinées d’un récit de la Shoah narré par un Japonais. Une œuvre singulière qui met en parallèle l’histoire du Japon et celle de l’Allemagne pendant le deuxième conflit mondial. Ce regard, radicalement différent de celui des Occidentaux davantage enclins à produire des métaphores ou à peser leurs mots quand il s’agit d’évoquer l’horreur, invente un dialogue inédit entre nos deux cultures et sert de toile de fond à un récit profond et à des personnages d’une intense émotion.

Bouddha
La biographie passionnante du fondateur du Bouddhisme

Bouddha, l’éveil par le plaisir

Faire un récit à partir d’un corpus religieux est toujours un art délicat. L’histoire de Siddhârta, ce prince d’un royaume situé entre le Népal et l’Inde, a profondément marqué la culture asiatique. La figure fondatrice du Bouddhisme n’a pas sous le crayon de Tezuka le caractère figé d’une iconographie saint-sulpicienne. Le Bouddha de Tezuka (chez Tonkam) est une aventure palpitante, simple et fraîche comme le Bambi de Walt Disney, un voyage initiatique cependant de près de 3000 pages qui apporte au lecteur un regard sur la vie et une réflexion existentielle qui le bouleverse. Sans être prosélyte, cette approche du Bouddha historique est un excellent premier pas vers une éventuelle conversion à cet éveil spirituel. Une œuvre unique, sans équivalent franco-belge.

La série Ayako
Pour la première fois, Tezuka est nominé à Angoulême

Ayako, une tragédie japonaise.

Nominée au tout nouveau « Prix du Patrimoine » d’Angoulême, on ne voit pas comment il ne pourrait pas l’emporter. L’histoire se passe dans le Japon de l’après-guerre. La régence américaine est dure et sans pitié, à la mesure de la cruauté d’une dictature militaire à l’origine de la guerre. Mais le peuple japonais en a été également victime. C’est ce qu’oublie la nouvelle puissance régnante qui organise sur l’archipel une chasse aux Communistes dont les règles sont un peu moins démocratiques que dans le monde libre. Les Japonais sont montés les uns contre les autres. Dans cette nation anéantie, certains sont prêts à tout pour survivre et s’enrichir, tandis que d’autres s’accrochent aux valeurs dépassées sans s’apercevoir que le monde a changé. Le décor dressé, Tezuka nous raconte une tragédie familiale particulièrement sordide : un patriarche fait du chantage à l’héritage à son propre fils afin que celui-ci lui permette de coucher avec sa belle-fille ; La petite Ayako est née de cet relation incestueuse. Les autres enfants ne sont pas mieux lotis : une fille est rejetée car elle fréquente un membre du Parti communiste, lequel est assassiné par son frère, le second fils de la famille, par ailleurs homme de main des services secrets américains. La femme du vieux potentat est contrainte d’accepter la réclusion à vie de la jeune Ayako car celle-ci a assisté au meurtre d’une servante un peu simple témoin de l’assassinat. Tezuka tisse dans Ayako des entrelacs de tragédies individuelles dont les accents renvoient aux meilleurs pages de Shakespeare ou de Dostoïevski, en particulier celui de Crimes et Châtiments.

Vous pouvez en conclure, après l’énumération des chef-d’œuvres que nous venons d’évoquer, que Tezuka est un auteur absolument indispensable à votre bibliothèque.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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