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Fin de partie pour le Musée Jijé.

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 janvier 2005                      Lien  
Mauvaise nouvelle : Le Musée Jijé à Bruxelles devrait fermer ses portes en mars 2005. Créé en 2003 par un entrepreneur privé, François Deneyer, ce musée consacré à l'Ecole de Marcinelle n'aura vécu que deux années. Cet échec est aussi bien à attribuer à l'absence d'une politique culturelle concernant la BD de la part des pouvoirs publics belges, qu'à un entrepreneur qui prenait peut-être ses désirs pour des réalités.

Rachetant une ancienne imprimerie au cœur de Bruxelles, François Deneyer avait eu l’idée d’y créer un Musée jijé. Pourquoi pas ? Après tout, avec la perspective d’un Musée Hergé à Ottignies/Louvain-La-Neuve, et un Centre Belge un peu endormi sur ses lauriers, il y avait la place pour une nouvelle institution consacrée à la BD à Bruxelles. « Cette aventure représente un investissement privé de 450.000 euros » confiait-il alors à notre confrère, le quotidien belge « Le Soir ». Les pièces exposées venaient de la collection particulière du fondateur à laquelle la famille de Joseph Gillain, alias Jijé avait ajouté quelques joyaux. Le lieu était bien situé, la scénographie agréable et les pièces exposées d’une exceptionnelle qualité. Nous avons tout de suite exprimé notre enthousiasme pour ce projet, au point de publier, pour le soutenir, une « carte blanche » dans le principal quotidien bruxellois.

Un projet d’une folle témérité.

Las, des 450.000 euros annoncés, c’est une facture finale de 1.150.000 euros qui s’avance, à laquelle s’ajoutent des frais de fonctionnement de 200.000 euros en un an et demi. Très vite, pour le fondateur, les ennuis s’accumulent. Ils ont plusieurs causes. D’abord sa précipitation. Celui-ci s’est lancé dans l’aventure sans même attendre de la part des institutions dont il sollicitait les subsides, une nécessaire instruction du dossier. « Trois ministres ont successivement refusé de le subsidier » note « Le Soir » de Bruxelles du 9 janvier 2005. Les observateurs font remarquer que les structures d’aide publique pour ce genre d’initiative culturelle n’existaient pas. Comment le Musée Jijé aurait-il reçu de conséquents subsides alors que le Centre Belge, à l’origine soutenu par toute la profession et touchant une cible bien plus large, reçoit moins de 7% de fonds publics ? Cela aurait créé un précédent que les politiques ne pouvaient pas assumer. D’après nos informations, François Deneyer n’aurait pas été non plus, dans ses démarches, très diplomate, braquant contre lui jusqu’aux meilleures bonnes volontés. Dès lors, lancer une telle entreprise sans attendre les décisions des pouvoirs publics, n’était-ce pas faire transformer un sympathique volontarisme en folle témérité ?

Recettes insuffisantes.

Par ailleurs, les recettes attendues n’ont pas suivi. Là aussi, on peut aussi légitimement se poser des questions sur la préparation en amont du projet. Comment un dessinateur, certes crucial dans l’histoire de l’Ecole belge de BD, aurait-il pu rassembler un nombre suffisamment important de visiteurs sur son nom alors que sa notoriété est quand même très réduite en Francophonie et pour ainsi dire nulle à l’étranger ? Dans « Le Soir » du 9 janvier 2005, François Deneyer confie à notre confrère Jean-Claude Vantroyen qu’il avait tablé sur une fréquentation de « 30.000 visiteurs après quatre ans » et que son score actuel était de 20.000. Mais comment fait-on alors pour tenir financièrement pendant la période de décollage ? Il ne semble pas que notre promoteur l’ait correctement anticipé.

Le Musée n’a cependant pas démérité multipliant les expositions temporaires d’un grand intérêt comme une rétrospective du dessinateur de Buck Danny Victor Hubinon, du très attachant créateur de Timour, Sirius, ou encore en accueillant actuellement l’exposition Rosinski, montrée précédemment à Angoulême et à Paris. Des expositions que l’on n’aurait pas vues au Centre Belge dont les cimaises (et les budgets) sont limités.

Fin de partie.

Les ennuis financiers du musée ont très vite commencé à apparaître, les créanciers assignant l’institution en justice. « La fermeture du musée avait été évitée de justesse à l’été 2003, grâce à un geste de solidarité des auteurs de bandes dessinées » (Nous vous en avions, en son temps, longuement parlé), note le journal « Le Soir » qui annonce que, cette fois, contrairement à ce que nous affirmait françois Deneyer il y a encore quelques jours, « la fermeture semble inéluctable » Le journal cite François Deneyer : « Je veux revendre les locaux pour ne pas être forcé de dilapider les collections. » Mais les locaux appartiennent-ils au musée ? Rien n’est moins sûr. Selon la déclaration du fondateur, le Musée Jijé deviendrait dès lors une collection itinérante multipliant les expositions temporaires. Il évoque la possibilité de trouver une terre d’accueil en Wallonie, à Charleroi, où les édiles ont l’intention de mettre en chantier un musée des arts wallons qui ferait à la BD une petite (et légitime) place. La Communauté Française avait d’ailleurs acheté dans cette intention, à François Deneyer, quelques œuvres de Jijé (laissées en dépôt à Bruxelles), signe que les pouvoirs publics n’ont pas toujours été de mauvaise volonté.

Incohérence des pouvoirs publics belges.

En réalité, l’erreur majeure de François Deneyer, outre ses maladresses, a peut-être été d’avoir choisi Bruxelles plutôt que la Wallonie. La capitale belge, du fait de la charge que constitue la Communauté Européenne, a structurellement des difficultés budgétaires et un budget très réduit pour la culture. Sa marge de manœuvre est mince car il n’y a tout simplement pas d’argent. Les musées nationaux, en dehors de ceux qui existent depuis longtemps, ne sont techniquement plus envisageables depuis que le pays a entamé, à partir des années 60, une communautarisation qui revient à laisser aux régions, et à elles seules, le soin de financer leur politique culturelle. Comment les Flamands ou les Germanophones peuvent-ils envisager de subsidier un art wallon ?

Forte de sa légitimité historique, la ville de Charleroi, qui a vu naître les éditions Dupuis et l’Ecole de Marcinelle, a montré en revanche depuis quelques années, grâce au travail de fond de son échevin à la Culture Christian Renard, un intérêt pour maintenir la BD dans le giron wallon. La rencontre récente du bourgmestre de la ville avec les responsables de Média-Participations, leur cycle annuel d’expositions au Palais des Beaux-Arts (Munoz/Breccia puis Alan Moore), leur participation à la Charte des Villes BD et, si l’on en croit le mensuel BoDoï, le mandat donné récemment à Thierry Tinlot pour créer une fête populaire de la BD dans l’ancienne capitale minière, sont autant de signes qui montrent que cette ville est une bonne candidate pour accueillir un tel fond. Encore faut-il que les intentions du créateur du musée Jijé soient plus réalistes et, sans doute, un peu plus transparentes.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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3 Messages :
  • > Fin de partie pour le Musée Jijé.
    10 janvier 2005 11:23, par francois deneyer

    Je souhaite apporter quelques éclaircissements quant à cet article qui comporte quelques erreurs :
    l’investissement initial pour le poste rénovation et aménagement était prévu pour un montant de 450.000 euro ceci SANS prendre en compte l’investissement immobilier de 500.000 euro (achat des locaux abritant le musée). il y a donc eu un surcoût de 200.000 euro causés partiellement par une méconnaissance du dossier par notre architecte. D’autre part il y a une désinformation récurrente de la part de la Communauté Française à ce sujet dans le sens où l’on invoque toujours le fait que la demande de subsides a été introduite après avoir commencé les travaux (cfr. interview d’Annick Vilain, cabinet de la Ministre de la Culture Fadila Laanan, diffusée à la RTBF radio ce lundi 10 janvier). Déjà le Ministre Dupont invoquait cette excuse lors de notre première entrevue en octobre 2003 où j’ai pu lui montrer tous les documents attestant que la demande de subsides était introduite en septembre 2001.

    Je rejoins l’auteur de l’article pour ce qui est du manque de soutien de la bande dessinée en Belgique et, notre dossier, entre autres, est victime d’un immobilisme savamment calculé par les Ministres successifs. Je tiens à souligner ici que ma décision prise il y a quelques jours seulement résulte d’un courrier officiel (reçu le 6 janvier) de la Ministre Laanan m’informant que la Communauté Française ne peut débloquer de l’argent pour notre projet, ni sur le budget 2004, ni en 2005. Elle m’invite aussi à faire une demande de subsides sur frais de fonctionnement en 2006 ou 2007 après la constitution d’un Conseil des Musées durant l’année 2006.

    Je ne suis pas d’accord avec l’auteur de l’article concernant la notoriété de Jijé et le contenu du Musée. Le projet du Musée Jijé consiste à exposer en permanence les auteurs de l’Ecole de Marcinelle dans un lieu qui porte le nom de son chef de file. J’ouvre ici une parenthèse sur le fait qu’un projet similaire se trouve dans les cartons de l’échevin de la Culture de Charleroi, Christian Renard, avec un "Espace Jijé". Si durant la première année d’existence du Musée, le contenu de l’exposition permanente était à 90% consacré aux œuvres de Joseph Gillain, il faut souligner que depuis juin 2004, 50% de l’espace est consacré à d’autres auteurs dont, entre autres, Franquin, Will, Morris, Hubinon, Mitacq, Sirius… Il en est de même pour les expositions temporaires où nous avons accrochés à nos cimaises des œuvres de Derib, Ersel, des classiques franco-belges, d’Hubinon, de la jeune école de Marcinelle, d’une rétrospective Spirou et aujourd’hui de Grzegorz Rosinsli, sans oublier le 3D à l’occasion des 20 ans de Lebon-Delienne. Il est bon d’insister aussi sur le fait que 40% de notre fréquentation vient de l’étranger, principalement de France (Nord et île de France).

    Pour ce qui est du manque de diplomatie, je ne me reconnais pas du tout dans cette description si ce n’est à une reprise vis-à-vis d’une institution bd belge qui nous a toujours considéré comme concurrents plutôt que complémentaires. Mes demandes répétées pour faire ne fut-ce qu’un billet d’entrée commun sont restées lettre morte à la rue des sables…

    Pour le déficit budgétaire, notre plan financier prévoyait d’atteindre le seuil de rentabilité à partir de la quatrième année. J’avais donc prévu de combler ce déficit sur fonds propres. Malheureusement, ces fonds ont dû être affectés au paiement du surcoût des travaux de rénovation et aménagement. De plus, le plan financier prévoyait la moitié seulement des subsides de fonctionnement prévus par l’arrêté royal de 1958 mais, notre dossier a été saboté par la mise en place d’un décret sur la subsidiation des musées rentrant en vigueur en janvier 2003 mais dont les arrêtés d’application, à l’heure actuelle, ne sont toujours pas rédigés. En clair : une loi en remplace une autre, mais on ne peut l’exécuter car ses textes ne sont pas rédigés et, en attendant, l’ancienne loi n’est plus d’application. Ce phénomène dont nous sommes victimes a d’ailleurs été invoqué comme excuse par le Ministre Dupont lors d’une interview dans le journal Le Soir (septembre 2003).

    Pour ce qui est de la vente des locaux abritant le Musée Jijé, l’asbl du Musée en est locataire et j’en suis propriétaire. En raison de l’aménagement spécifique des locaux en lieu culturel, à moins de trouver un repreneur ayant le même type d’activité, il est impensable de récupérer la mise initiale investie, ceci pour faire taire ceux qui pensent que je réalise une bonne opération immobilière. On en est loin du compte… La vente des locaux sera affectée au remboursement des banques et des créanciers.

    Je confirme également avoir pris contact avec les pouvoirs publics wallons pour envisager une relocalisation de l’exposition permanente en terre wallonne. Je ne peux rien dire de plus actuellement.

    dont acte.

    Francois Deneyer, fondateur du Musée Jijé qui reste ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 heures.

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    • Répondu par jean-yves le 13 janvier 2005 à  22:05 :

      déjà ,bravo pour ce site ou le droit de réponse veut bien dire qq chose.
      Ces précisions sont interessantes et rectifient l’article précédent.
      Je pense malgré tout qu’il est tj mieux d’avoir d’abord l’argent ( et pas sa promesse ) pour lancer un tel projet ! Et si le musée était depuis le début destiné à " l’école " jijé et non pas seulement à jijé , alors il y a eu une déplorable communication sur ce sujet : de france et depuis qq années , sur tous les support d’information que j’ai eu sous les yeux , c’est tj le musée jijé , sur jijé uniquement ( au mieux avec de petites mentions de participations autres que l’auteur)qui était cité .
      Et comme déjà dit , jijé est TOTALEMENT inconnu du grand public , en france du moins , même si les connaisseurs savent son importance pour la BD franco-belge.
      Des lors , lancer une telle entreprise que l’on sait par avance difficile et perilleuse ( il suffit de voir le " succes " des autres pour s’en convaincre !) sur quelqu’un d’inconnu....
      On croise les doigts pour Charleroi ( ou d’autres ), ne serait-ce que pour ne pas perdre toute cette FORMIDABLE énergie déjà dépensée . Et pour la qualité du travail de ce Maitre et de ses ô combien talentueux élèves !
      Merci a vous d’entretenir la flamme ( bien que celle-ci doit être entretenue non pas par de la bonne volonté mais par du buisness !)

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      • Répondu par Hervé Jean le 27 janvier 2005 à  12:26 :

        Bonjour,
        Permettez à un simple lecteur de ce site et modeste amateur de Bd français, habitant un petit village de Bourgogne de s’exprimer sur cette fermeture. Je suis profondément triste de voir ce musée fermer ses portes. Jijé est bien connu par tout les collections et amateurs de bd en France. J’ai 35 ans et dans la famille, le journal de Spirou est une institution. La quatrième génération le dévore chaque semaine. Accuser les uns ou les autres, manque de fonds, lieux non propice, critique contre le créateur, tout cela me paraît profondément dérisoire. Je ne vois qu’une chose : un lieu de mémoire consacré à des hommes comme Jijé qui ont travaillé toute leur vie à leur passion disparait. Je suis surpris de voir comment toute cette affaire a été traitée (vu de la France). J’ai l’impression, peut-être fausse, du désintérêt des politiques en Belgique alors que la BD est une vitrine formidable pour ce pays. Le désintérêt manifeste (vu de mon beau pays) du rachat de Dupuis et le manque d’aides pour les actions culturelles relative à la BD me laissent songeur. En France, je suis conseiller municipal depuis de nombreuses années et je ne pense pas que nous aurions pu laisser tomber un tel musée. Dernièrement, le conseil général de mon département a aidé financièrement, sur plusieurs années, un musée d’art populaire privé qui avait de grave problème financier. Le but de l’opération n’est pas de favoriser telle ou telle personne mais de sauvegarder un patrimoine pour le mettre à la portée du plus grand nombre. Un lieu de mémoire pour les nouvelles générations.
        Jijé n’est peut-être plus populaire en Belgique mais en France, c’est un mythe. Mes enfants dévorent toujours ses albums (et moi aussi). Même si ses oeuvres sont partiellement édités, les amateurs de bd propagent sa mémoire (nous avons toute les semaines des débats agités chez mon libraire de bd mais quand on parle de Jijé, c’est alors l’unanimité). Je suis très triste de la fermeture de ce musée. Je comptais me rendre en Belgique pour aller le visiter avec ma famille. Jijé mérite d’être mis plus en valeur, mais cela c’est l’affaire des ayant-droits. Je ne leur jette pas la pierre. Moi, je gère l’oeuvre littéraire d’une femme poète française et je sais l’énorme travail que cela comporte(et les tracas)afin que les éditeurs rééditent en respectant l’oeuvre.
        Voilà, mon propos n’intéressera probablement personne. Ceci est juste quelques réflexions d’un modeste lecteur de bd qui préfère, au-delà les personnes et des polémiques, qu’on sauve, respecte, et diffuse notre patrimoine culturelle : la bande dessinée pour les prochaines générations.

        P.S. Lorsque j’ai appris les premiers tracas financiers du musée, j’ai pensé (naïvement sans doute) que la collectivité aiderait le musée et j’avais même pensé que si un appel au peuple avait été lancé dans les journaux de Bd en France (Spirou, Bodoï, etc.)ou l’édition d’une oeuvre originale vendu au profit du musée chez nos libraires, nous aurions pu (modestes amateurs de bd aux modestes revenus)participer financièrement au redressement du musée. Mais, vous l’aurez compris, je suis naïf et utopique.
        Hervé Jean

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