Nous avons évoqué, dans nos précédents articles, le conflit qui mena l’organisation de l’exposition anniversaire « Made In Belgium » à ne pas faire figurer « Les Aventures de Tintin » parmi les produits culturels qui ont marqué le plat pays. Devant l’exigence de la Fondation Hergé et de Moulinsart, les organisateurs de ce jubilée qui honore les 175 ans de la création de la Belgique, avaient fini par répondre « Tintin » ! La réaction des médias et du public ne s’est pas faite attendre : de partout, les gestionnaires de l’œuvre d’Hergé se sont fait traiter de « moules à gaufre », « pacte-à-quatre » et autres charmantes injures puisées dans le vocabulaire fleuri du Capitaine Haddock. Il n’est pas jusqu’au neveu homonyme de l’artiste qui ne soit allé de son couplet.
Scandale
Aujourd’hui, bien embarrassés, la Fondation Hergé et Moulinsart répliquent. Tout cela est bien triste, expliquent-ils en substance, mais ils ne changent pas pour autant de position, considérant que le scandale est plutôt du côté des organisateurs. « Bien sûr que Tintin n’aurait pas dû manquer ce rendez-vous ! écrivent-ils dans leur communiqué, Nous en sommes plus que convaincus !! Et pourtant, c’est bien ce qui arriva... L’exposition s’ouvre comme Dupond sans Dupont, comme Haddock qui serait tout à coup muet, comme Milou qui aurait perdu Tintin... Quel dommage !!! » Pourtant, disent-ils pour leur défense, « on ne pourra pas dire que la Fondation Hergé n’aura pas ouvert les portes ! »
Ils mettent en avant que leur premier souci était de montrer l’œuvre d’Hergé plutôt que des maquettes proposées par les organisateurs : « La Fondation Hergé a proposé de superbes documents aux organisateurs de l’exposition. Dans l’esprit de la Fondation, il est inconcevable de présenter Hergé sans montrer son travail, ses dessins, son coup de crayon ! N’est-il pas absurde de parler d’Hergé en montrant des maquettes réalisées par d’autres ? Bien sûr, ces maquettes parlent du monde de Tintin, mais elles ne sont jamais qu’une interprétation du travail réel d’Hergé ! ». Après un plaidoyer sur les qualités de l’œuvre d’Hergé, le communiqué exhorte les organisateurs à rejoindre leurs vues : « Nous avons tous un peu de Tintin en nous, disent-ils. Nous sommes tous un peu Tintin... Alors, une exposition "Made in Belgium" sans Tintin, c’est un peu comme si nous avions tous manqué un rendez-vous... En quelque sorte, le train est parti sans nous. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé ! » Ils concluent enfin : « Hergé est un très grand artiste. Tintin est le héros de nos enfances. Tous deux méritent le respect. La Fondation Hergé et Moulinsart se battent pour ce respect. Cela rend parfois notre tâche très dure et difficile, mais cela ne nous décourage pas pour poursuivre notre route. Nous avons l’esprit Tintin ! »
« Sire, il n’y a plus de Belges ! »
On sent bien que, de part et d’autre, chacun reste campé sur ses positions, chaque partie accusant l’autre d’être à l’origine du scandale. Il est regrettable que ces positions ne se soient pas retrouvées sur un accord amiable où chacune des parties aurait sauvé la face. Lors du vote des lois de régionalisation censées résoudre les conflits linguistiques en Belgique, le premier ministre d’alors, Gaston Eyskens, avait dit au roi : « Sire, il n’y a plus de Belges ». Hergé lui-même se sentait orphelin de cette décision : il affirmait ne pas être belge, mais « belgicain ». Le pays avait toujours réussi pourtant à sortir de l’impasse par des accords présumés impossibles, les fameux « accords à la belge ». Que l’on dépêche rapidement un diplomate auprès de nos belligérants pour aplanir la mésentente. Car il ne faudrait pas, caramba ! que la Belgique, déjà minée par un conflit linguistique, ajoute à ses divisions un conflit "tintinesque" !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Tintin et Milou arriveront-ils à rattraper le train d’une exposition, "Made In Belgium", partie sans eux ? (Dessin d’Hergé, (c) Moulinsart).
Participez à la discussion