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Midam (Kid Paddle) : « Plus on écrit de gags, moins ils viennent facilement ! ».

Par Nicolas Anspach le 24 août 2005               Kid Paddle) : « Plus on écrit de gags, moins ils viennent facilement ! »." data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
"Kid Paddle" est l'une des séries-phare du catalogue Dupuis. Ce petit personnage fondu de jeux vidéo est un des rares de chez Dupuis à avoir son propre mensuel (publié par Cyber Press Publishing). Le personnage de {{Midam}} intéresse de plus en plus les sociétés qui n'hésitent pas à louer la licence pour associer l'image de Kid à des skate-boards, chaussettes, jeans et divers gadgets. Ces produits doivent correspondre à une charte très précise, respectant le graphisme si particulier de l'auteur. La sortie du dixième album est soutenue par une promotion sans précédent. Nous avons rencontré le papa de cet insupportable {hard gamer}.

La publication de Dark J’adore, le dixième album de Kid Paddle, coïncide presque avec la sortie de La Revanche des Sith, le dernier film de Star Wars.

En effet ! Le titre de l’album et le dessin de couverture sont très opportunistes. J’assume totalement ce choix. La plupart des titres des albums de Kid Paddle font références à des monuments cinématographiques que Kid apprécierait !

Les enfants font-ils le lien entre ces titres et les films ?

Je ne crois pas. Ils ne m’ont encore jamais posé la question. Même s’ils peuvent facilement identifier certains titres (Waterminator, Paddle my name is Kid Paddle), d’autres le sont beaucoup moins pour des enfants (Apocalypse Boy, Full Metal Casquette).
Lorsque j’ai dessiné la couverture de ce dixième album, je pensais l’intituler « Blork In The Dark ». Mais je me suis aperçu que cela ne fonctionnait pas ! Autant Kid Paddle commence à être connu par le grand public, autant les blorks ne représentent pas grand-chose... J’ai donc trouvé ce titre. Il me paraissait évident de rajouter un blork, habillé avec les vêtements de Dark Vador pour renforcer ce clin d’œil à Star Wars...

Midam (<i>Kid Paddle</i>) : « Plus on écrit de gags, moins ils viennent facilement ! ».

Vous avez publié près de quatre cents gags de Kid Paddle. N’avez-vous pas peur de tomber dans une certaine routine ?

Non. Chaque gag est un nouveau défi. Il est beaucoup plus facile d’écrire le premier album d’une série que le dixième ! Si on imagine que l’on peut traiter un sujet en un certain nombre de gags, on court inévitablement au désastre.
Une fois que l’on a trouvé le bon ton, on peut raconter n’importe quel gag, même s’il est d’une qualité très moyenne. Le ton, l’ambiance et les bons dialogues permettent de sauver un gag moyen et de rendre sa lecture agréable.
Il existe des gens qui pensent que plus j’écris de gags, plus ils viennent facilement, que je tiens mon crayon d’une main, et une coupe de champagne avec l’autre ...

Tout cela, au bord de votre piscine...

Alors que j’habite dans la banlieue de Bruxelles... Je vois le ring [1] de ma fenêtre ! (Rires). Si j’ai réalisé cet album en dix-huit mois, c’est bien parce que je me suis refusé beaucoup de gags. C’est sans doute la raison principale du « retard » de publication de Dark, J’adore.

Zep nous a dit qu’il scénarisait d’avance chacun des gags de Titeuf. Il a ainsi inventé 115 gags différents pour La Loi du Préau et n’en a gardé que 45...

Je ne comprends pas cette méthode de travail. Comment peut-on mettre autant d’énergie dans l’écriture d’une page sans l’utiliser ? Lorsque j’ai une idée, je sais intuitivement et rapidement si elle est bonne ou mauvaise.
Je réalise un story-board lorsque je sais que le gag sera bon, ou que je détiens une piste qui mérite d’être creusée. Cela peut être trois cases, une séquence ou même trois ou quatre mots...

Vous arrive-t-il de revenir sur ces pistes pour les retravailler ?

Fréquemment ! Certains gags mettent deux ou trois ans à germer. Il y en a un qui me tient particulièrement à cœur et pourtant je ne lui ai pas encore trouvé de chute. Je vais vous le raconter : Kid aime expliquer certaines choses incongrues à son ami Horace. Il tente de trouver une explication aux présences de grains de riz dans les salières. Kid pense que ces grains de riz sont en réalité des œufs d’extra-terrestres. La texture des grains est translucide et peut rappeler un œuf d’insecte, par exemple. Dans l’esprit de Kid, les extra-terrestres, pour envahir notre planète, doivent pondre leurs œufs dans un milieu salé, et pour qu’ils éclosent, les oeufs doivent être secoués de temps en temps...
Je cale à ce stade là du scénario. Pourtant c’est une bonne une idée, mais je trouve pas la chute... C’est frustrant !

Avez-vous déjà songé au moment où vous vous trouvez confronté à la panne sèche, où vous deviendriez moins bon ?

Non. Mon atelier ressemble de plus en plus à un laboratoire de recherche. Je ne crois pas avoir un ego surdimensionné. Lorsque Augustin et Adam, qui travaillent sur une série parallèle à Kid Paddle, me proposent un gag, je le mentionne dans l’album. Je ne fais pas partie de ces auteurs qui cachent le nom de leurs collaborateurs, par peur de perdre une partie de leur identité.
J’ai provoqué récemment une réunion avec une dizaine de jouteurs de la ligue d’improvisation. Ils devaient inventer des situations autour de l’univers de Kid Paddle. L’une des règles d’or de la ligue est que toutes les trois secondes, un des participants doit lancer une idée. Cela fonctionnait, et c’était très enrichissant !
Je ne pense pas être dans une phase où je perds le sens du gag. Sinon, j’accepterais mes mauvaises idées et surtout, je prendrais plus de gags de la part d’Augustin ! Le co-scénariste de Game Over a écrit au moins cent gags pour cette série. Je n’en ai retenu que le tiers, sinon le quart !

Les directeurs de collection et les éditeurs ont-il le courage de dire à un auteur à succès qu’il devient mauvais ?

Beaucoup d’auteurs en ont peur ! Il y a quelques années, on me disait sans aucune gêne qu’une page n’était pas amusante. Aujourd’hui, cela n’arrive plus...

Comment se déroule votre collaboration avec Adam et Augustin ?

Je pensais que mon travail était plus accessible. J’ai parfois l’impression de les emmerder : je vois des choses qui me semblent évidentes à changer, alors que d’autres ne les discernent pas. Thierry Tinlot, l’ancien rédacteur en chef de Spirou, par exemple, était incapable de distinguer une planche que j’avais dessinée d’une autre réalisée par Adam ! Ce qui ne plaide pas en sa faveur...

Adam s’en tire plutôt bien dans "Game Over".

Il travaille dans mon atelier deux jours par semaine. C’est un bon dessinateur et il est capable de faire des choses personnelles particulièrement remarquables. Je songe notamment à une histoire complète parue dans Spirou. Mais il n’est pas sur la note la plus juste avec l’univers de Kid Paddle. Je pensais naïvement que mon graphisme était très accessible : je n’utilise pas de plans audacieux et je ne dessine quasiment pas de décors. Je croyais donc qu’il suffisait de savoir dessiner le petit barbare et une dizaine de mains différentes pour s’en tirer. Cependant, il y arrive difficilement. Heureusement, il a fait d’énorme progrès, depuis quelques mois et commence à trouver le bon rythme.
Le deuxième album de Game Over sortira l’année prochaine. Le but de cette série est de faire patienter les lecteurs entre deux albums de Kid Paddle et d’attirer les enfants plus jeunes vers cette série. Elle ne contient aucun dialogue. Tout est visuel.

extrait d’un story-board d’un gag.

Quel a été l’accueil de Game Over ?

Anormalement favorable ! Cela n’aurait pas dû se vendre autant. Le tirage du premier album avoisinait les 80.000 exemplaires et l’éditeur en avait vendu immédiatement plus de la moitié. La série s’est très bien vendue au Québec. Ils sont très friands de Kid Paddle.

Kid Paddle est devenu un véritable phénomène éditorial avec près de trois millions d’albums vendus [2]. Les journalistes vont commencer à vous parler de votre succès, plutôt que votre travail artistique...

C’est vrai. Plus la notoriété de Kid Paddle augmente, plus les questions des journalistes deviennent superficielles. Je m’entends répéter à longueur d’interviews les mêmes réponses. J’essaie donc de les décliner différemment. J’apprécie de les relire car cela me permet de nourrir ma propre réflexion et de trouver d’autres manières pour approcher un sujet. Comme je suis de nature très bavarde, je n’ai aucun mal à parler de la construction d’un scénario ou de techniques graphiques, s’il m’en prend l’envie.

La diffusion de la première saison des dessins animés de Kid Paddle a-t-elle eu une répercussion sur les ventes de la bande dessinée ?

Assez peu, bizarrement ! Le tome 9 s’est bien évidement mieux vendu que le précédent, mais la progression a été assez mesurée. En revanche, le dessin animé a fait connaître le personnage de Kid Paddle et cela s’est ressenti dans la vente des anciens albums de la série. Avant le dessin animé, on écoulait vingt mille exemplaires de chaque titre lorsqu’une nouveauté sortait. La présence du personnage à la télé a permis de porter ce chiffre à cinquante mille exemplaires.
Savez-vous quelles sont les séries qui sont dans le top 3 des meilleures ventes des anciens titres d’une série ? Titeuf, Joe Bar Team et Kid Paddle ! C’est incroyable car on aurait pu s’attendre à y voir des séries historiques telles que Astérix, Tintin, Blake & Mortimer...

Vous ne parlez pas de sexe dans Kid Paddle...

Les gags orientés sur le sexe contenus dans une bande dessinée tout public ne me font pas rire. Il y a immanquablement un sens du gag chez Tome, Janry et Zep. Mais je ne comprends pas que l’on rigole en voyant une jolie fille. Pour ma part, ce ne sont pas mes zygomatiques qui se manifestent lorsque j’en vois une !
Je suis extrêmement prude dans mon travail. La raison en est fort simple : je raconte l’enfance d’un gosse au travers de ses jeux. Quand j’avais l’âge de Kid, les copains primaient, et les filles ne représentaient aucun intérêt.
La curiosité sexuelle d’un enfant vient à la pré-adolescence. Je n’ai donc jamais parlé de sexe dans Kid Paddle, et c’est sans doute ce qui différencie ma série de Titeuf ou du Petit Spirou.

Midam en compagnie de Kid et de Blorks

Que pensez-vous du rachat de Dupuis par le groupe Média Participations ?

Ce fut une gifle ! Mais on a tous courbé le dos. Je l’ai dit à l’époque, et je le redis aujourd’hui : c’était la meilleure chose qui pouvait arriver à Dupuis, car la gestion était devenue catastrophique. Il n’empêche que ce fut une humiliation pour les auteurs et le personnel de la maison d’édition. C’est un peu comme si les employés de France 2 apprenaient qu’ils avaient été rachetés par TF1 ! Un comble...
La concurrence entre les sociétés du groupe est encore plus forte qu’auparavant. Mais cela n’a aucun intérêt pour les auteurs.
Si ce dixième album de Kid Paddle a été le fruit d’une collaboration entre Dupuis et Dargaud, c’est formidable. A l’époque, Dupuis n’aurait jamais pensé monter une campagne publicitaire suffisante autour de Kid Paddle. Ils économisaient le moindre euro. Que cela soit chez eux ou vis-à-vis des auteurs. Dimitri Kennes, le nouveau directeur général de Dupuis, y met les moyens car il bénéficie de la confiance de son actionnaire.

Le petit barbare de "Game Over"
(c) Adam & Midam.

Avez-vous des projets ?

J’en ai un que je vais probablement réaliser avec Adam. Lors de mes dernières vacances, j’avais pris la résolution de ne pas travailler sur Kid Paddle. J’avais envie d’écrire autre chose. Par défi, je me suis mis à raconter une histoire avec un autre personnage. Assez étrangement, l’histoire est venue toute seule. J’ai eu beaucoup de plaisir à inventer un autre univers, d’autres personnages et d’utiliser un autre type de narration. Je découpe actuellement la première histoire qui devrait tenir en dix ou douze planches. Un format atypique rendant difficile la publication de ces récits dans la presse. Les éditeurs recevront le projet d’ici la fin de l’année.

découvrez le storyboard d’un gag de Kid Paddle.
(c) Midam / Dupuis

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Photo de Midam en médaillon (c) Nicolas Anspach
Les autres documents sont (c) Midam / Dupuis, sauf mention contraire.

[1C’est ainsi que se nomme le périphérique en Belgique.

[2En comptant les ventes supposées du tome 10.

 
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