La nouvelle est passée un peu inaperçue en cette période de vacances... Le Syndicat national de l’Edition s’est félicité de la condamnation d’un internaute, fautif d’avoir diffusé 2288 bandes dessinées via Internet depuis un ordinateur monté en serveur. (voir communiqué du SNE). Le prévenu a été condamné au paiement d’un euro symbolique.
C’est bien là un signal d’alarme significatif pour tous ceux qui ne voient dans la toile qu’un vaste champ de libre-échange. Les pirates devraient prendre garde car ils s’exposent tout de même, selon l’article L335-2 du code de la propriété intellectuelle, à une condamnation pouvant aller jusqu’à 300.000 euros d’amende et trois ans de prison. Lorsque les délits ont été commis en bande organisée, les peines maximales sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 500.000 euros d’amende ! Dans le cas cité plus haut, le jugement est donc plutôt clément. On comprend alors que l’internaute pincé ait eu l’intelligence d’accepter la sentence et de ne pas faire appel...
« Cette condamnation est avant tout symbolique. Il n’y a aucune sanction à la clé », déclare Pierre Bellet (directeur multimédia du groupe Dargaud/Lombard). « C’est la première et nous espérons que cela va dissuader les pirates, c’est-à- dire ceux qui mettent en ligne et partagent massivement des albums. » [1]
En effet, tout le monde n’est pas pirate, et il faut distinguer 2 catégories d’internautes :
les internautes "passionnés" qui réalisent des sites perso ou des sites non officiels (ils sont souvent connus des éditeurs qui n’hésitent pas à les encourager et à indexer leurs sites sur leurs propres sites lorsqu’ils le méritent).
Pierre Bellet se veut "constructif" : « Bien sûr, ces internautes sont soumis à une certaine déontologie et au respect du copyright, mais tant qu’ils n’entrent pas dans une sphère commerciale, nous les voyons plutôt comme des soutiens que comme des parasites. Certains nous aident même à développer nos propres sites officiels. »
les pirates qui mettent en ligne l’intégralité des catalogues uniquement pour permettre d’échapper à l’achat. Spécialistes des réseaux "peer to peer", ils proposent pratiquement 100% des nouveautés et sans doute
50% du fond ! Difficile pour autant de parler de manque à gagner pour les maisons d’édition puisque les ventes continuent à progresser.
Lire une BD sur un ordinateur ?
Pour Pierre Bellet, « il n’y a pas de menace à court terme, car le support "livre" reste un support d’avenir, largement plébiscité par nos lecteurs. Cela ne doit pas nous dissuader de lutter contre les mauvaises habitudes prises par certains, qui pourraient contaminer à plus ou moins long terme notre secteur. »
Le plaisir d’avoir l’ouvrage entre les mains est encore trop fort pour le lecteur. Mais dans une longue interview accordée à Pcinpact, Bruno Bellamy (dessinateur de Sylfeline) anticipe l’évolution technologique :
« Aujourd’hui, l’idée de lire une BD sur l’écran de l’ordinateur fait sourire la plupart des gens concernés. On tend à croire que ce mode de lecture ne concerne pas le bédéphile "classique" qui, lui, reste fidèle à l’album en papier. (...) Mais comment ne pas supposer que dans, au grand maximum, dix autres années (à mon avis bien avant !) les ordinateurs ne seront pas des objets ultra-légers (mettons... de la taille et du poids d’un album de BD )), ne consommant presque rien, affichant les images avec des résolutions équivalentes, en finesse et en fidélité, à celles des meilleures impressions quadrichromiques actuelles, et connectés à l’Internet avec un tel débit qu’ils pourront sans peine accéder à toutes les BD jamais publiées ?
Qui, alors, sera encore assez idiot, si les mentalités n’ont pas changé d’ici là, pour accepter de payer une version papier d’un album qu’on pourra avoir gratos, peut-être même avec une meilleure qualité d’affichage (sans parler de la possibilité de zoomer, etc), sur son portable ? » [2]
Contrairement aux producteurs de films ou de disques, les maisons d’édition ont encore du mal à définir exactement les effets de ce qu’elles considèrent comme une menace. Elles préfèrent prévenir que guérir car les pratiques d’aujourd’hui ne seront pas forcément celles de demain. C’est pourquoi elles restent vigilantes et surveillent de très très près le media "internet". Nous avions déjà eu l’occasion de parler de la charte de bonne conduite mise en place par Dargaud. Elle fixe « les règles d’utilisation partielle, raisonnable et raisonnée, des bandes dessinées ».
Mais attention aux dérives qui consistent à vouloir tout contrôler, avec un comportement purement mercantile qui n’a rien à voir avec la protection des droits des auteurs ou du copyright.
Même si, pour le moment, le groupe Dargaud/Lombard n’a constaté « aucun impact sur les ventes », l’éditeur a décidé d’apporter une réponse très différente de celles des autres acteurs de l’industrie culturelle en créant une cellule multimédia. Parmi les développements les plus
significatfis de ce département, on trouve le site "Read-Box.com". Avec celui-ci, Dargaud et Lombard, n’hésitent pas à proposer de la BD en ligne pour faciliter la prévente.
Pierre Bellet : « Read-Box est une bibliothèque d’extraits de BD en ligne. Nous publions 15 planches en moyenne, afin que l’internaute se fasse une vraie idée du contenu de l’histoire. Cet outil est destiné à préparer l’achat en ligne ou en librairie. Nous publions parfois un tome 1 en entier, lorsqu’il s’agit de série à suite comme Le Scorpion ou XIII.
Avec plus de 10.000 visiteurs par mois générant 150.000 pages vues, Read-Box est donc un service qui répond à une demande d’information des internautes. Nous espérons aussi qu’ils seront amenés à découvrir des albums auxquels ils n’auraient pas pensé autrement.
Read-Box, c’est finalement un outil de marketing relationnel complémentaire de nos outils papiers comme "Avant Première", destiné à donner à notre production toutes ses chances de visibilité auprès du public. Ce n’est pas inutile dans le contexte de surproduction que connaît actuellement le secteur. »
Vers une consommation numérique...
En fait, c’est bien plus les contrefaçons des produits dérivés qui inquiètent les maisons d’édition. Les séries à succès (Titeuf, Kid Paddle, Largo Winch...) trouvent toutes une déclinaison dans le merchandising. Et là, les enjeux financiers ne sont plus les mêmes.
La politique de licence avec des télévisions, mais aussi des fournisseurs d’accès à internet et des opérateurs ou des prestataires de services de téléphonie mobile, pour l’utilisation de héros et logos des BD a explosé ces dernières années.
Actuellement, plus de deux cents contrats sont en cours chez Dupuis et plus de mille produits sont sur le marché. Les plus grandes entreprises se sont associées à Cédric, Kid Paddle, Le Petit Spirou et Largo Winch : Abélia, Ubi Soft, Hachette Livres, Tilsit, Panini, Lansay, Carta Mundi, Disney Hachette Presse, ...
Autre exemple, le groupe Dargaud/Lombard a signé un contrat de licence avec le prestataire Mobivillage, pour des fonds d’écran ou des logos pour portable avec le personnage de XIII. Ces contrats sont une manne financière très importante pour les éditeurs. D’où la procédure juridique immédiate dès la découverte d’une commercialisation effectuée sans leur autorisation.
La téléphonie mobile n’a d’ailleurs pas fini de délivrer toutes ses promesses. L’envoi de BD très courtes et humoristiques risque fort de devenir la prochaine poule aux œufs d’or...
(par Laurent Boileau)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Dessin en médaillon © Gillon/Malka/Glénat
[1] Dans cette perspective, cette première condamnation sert de jurisprudence pour condamner rapidement les contrefacteurs suivants. NDLR
[2] Signalons qu’à Honk-Kong, où le haut débit est gratuit, les internautes peuvent déjà accéder à ce type de service. NDLR
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