Je me souviens de l’indignation des adorateurs d’Hergé lors de la parution de l’ouvrage de Jean-Paul Tomasi et Michel Deligne, Tintin chez Jules Verne [1]. Dans les pages d’ActuaBD même, Patrick Albray s’étranglait presque devant ce sacrilège : « A les lire, Hergé a carrément repris, pour chacun de ses albums, des passages précis de certains romans, comme s’il avait eu en permanence les romans de Jules Verne sous les yeux. » Et de dénoncer cette « énumération malsaine où l’on sent un manque de recul sur sa propre analyse. » Quand on interrogea le philosophe Michel Serre, par ailleurs membre du conseil d’administration de la Fondation Hergé, sur le bien-fondé de cette analyse, celui-ci la qualifia d’« ineptie ». Benoit Peeters, quant à lui, était plus mesuré. Jugeant les analyses de Tomasi et Deligne « souvent excessives », il admet cependant que ces rapprochements sont « parfois convaincants », non sans signaler que Jules Verne n’était qu’une des sources de l’œuvre d’Hergé : Gaston Leroux, Paul d’Ivoi, etc. se prêtant aussi bien que l’auteur nantais au jeu des ressemblances [2]. Les deux spécialistes bruxellois dénombrèrent « pas moins de deux cents » coïncidences entre les deux œuvres et ce travail pionnier est à porter à leur actif.
Une analyse tronquée
Je me souviens aussi d’avoir rencontré Bob Garcia à Lille. Il avait la même fièvre que Michel Deligne quand il parlait de ces deux auteurs qu’il collectionne également. C’est le propre de la passion. Il cherchait alors à publier ses travaux. Je lui avais recommandé de se rapprocher des Editions Moulinsart s’il voulait publier des images d’Hergé. Les portes du château ne se sont probablement pas ouvertes puisque les dessins de Tintin figurant dans le livre sont signées... Golo et Frank, extraites d’une parodie publiée par Casterman dans un fascicule en hommage à Hergé. Nous verrons si la Fondation se laissera abuser par la manœuvre... En revanche, par effet de compensation sans doute, l’iconographie vernienne abonde. Tout vient à point pour appuyer la comparaison. L’auteur se défend d’accuser Hergé de s’être approprié ou d’avoir détourné l’œuvre du romancier pour « alimenter » les aventures de Tintin. Mais il n’hésite pas à avancer des analyses douteuses comme lorsqu’il prétend que l’ « on peut avancer sans se tromper que les aventures de Tintin sont plus connues des lecteurs actuels - surtout du jeune public- que les récits de Jules Verne. »
Curiosité
Sans doute, s’il avait eu accès aux images du maître de l’Ecole de Bruxelles, aurait-il pu resserrer un peu mieux ses « rimes d’images » (un terme qu’il emprunte, sans le lui rendre, à Huibrecht van Opstal [3]), car le plaisir des comparaisons s’éloigne trop souvent du sujet original, comme lorsqu’il met côte à côte un dessin d’Hokusaï face à un autre de Rioux, l’illustrateur attitré des publications Hetzel. De Hergé, en l’occurrence, il n’est dans cet exemple pas question. De même, quand il met en parallèle -et ceci à raison- des photographies de Fernand Legros et de Elmir de Hory avec Tintin et l’Alphart, il oublie qu’il se trouve dans un ouvrage consacré à Jules Verne. Pour ces raisons et bien d’autres, cet ouvrage, qui vient grossir le corpus critique de l’œuvre d’Hergé déjà très inflatoire, donne plutôt l’impression, comme souvent quand on écrit sur le maître bruxellois, d’être moins un livre d’exégèse qu’une curiosité.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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